Qui êtes-vous ?

Mon blog est celui d'un butineur effaré dans tous les champs du savoir. Et c'est ce même butinage qui m'a conduit à écrire des livres.

samedi 20 septembre 2025

Bohumil Hrabal, La chevelure sacrifiée


Comme Une trop bruyante solitude, La chevelure sacrifiée de Bohumil Hrabal est un joyeux bric-à-brac. C'est une vraie délectation que de relire ce roman où les éléments de la cocasserie font la nique aux éléments du fantastique et du poétique. 

La narratrice, Maryška, est un personnage autant rabelaisien que chagallien. Elle boit la bière "au goulot d'une bouteille d'un litre", sans vergogne aucune devant son mari timoré, et dévore à s'en souiller le corsage des ribambelles de boudins et saucisses. Mais que serait cette ogresse sans ses cheveux ? Ce sont là "des milliers d'abeilles d'or, des milliers de vers luisants, des milliers de minuscules cristaux d'ambre étincelants". Et quand l'impétueuse gravit une cheminée haute de soixante mètres, c'est un incendie qui domine le paysage à l'entour emporté par le vent. Maryška se prend "pour la déesse Diane avec son javelot" et pourrait s'envoler. 

L'oncle Jo, cordonnier de haute pointure et ancien soldat aux exploits imaginaires, a le verbe tonitruant et de surcroît il chante. Pour un peu, il se prendrait pour Caruso mais est-il vraiment dupe de lui-même ? Quelle tragique lucidité se cache derrière toutes ses excentricités ? Le réel est une farce, une farce à en pleurer.

Et puis il y a Francin, le mari de la belle échevelée et gérant de la brasserie où se déplie ce théâtre grotesque et grinçant. Il aimerait tant que Maryška soit "une femme convenable" comme les autres. Seulement voilà, même sa moto ne l'est pas, convenable, à tomber en panne tous les quatre matins. Un jour, sur cette drôle de machine, il ramène de Prague un étrange appareil. C'est l'époque magique de la Fée électricité. "Ici nous avons ces étincelles thérapeutiques qui se transforment en santé, des hautes fréquences qui donnent une nouvelle joie de vivre, un nouveau courage dans la vie... " Maryška, c'est sûr, guérira de l'hystérie et de l'épilepsie, des nerfs et des migraines, des muscles aussi, des oreilles encore. Sauf qu'une autre invention se propage partout : la radio. La radio qui raccourcit les distances jusqu'à les abolir. Alors, bien des idées passent par la tête de l'indomptable épouse. Même le chien de la maison en saura quelque chose. Quant à la chevelure, qui ne pèse pas moins de deux kilos, le titre du roman est assez éloquent...

Éloquent aussi le traitement de la lumière dans cette œuvre à nulle autre pareille. Sauf erreur de comptage, le mot lampe apparaît 27 fois dans le premier chapitre et le mot lumière 12 fois. Les deux se retrouvent régulièrement tout du long et le mot bougie les accompagne dans le chapitre trois.

"Lorsque Francin tournait une page, les deux lampes ventrues, scandalisées par tout mouvement qui menaçait de les éteindre, se mettaient à jaser comme deux grands oiseaux tirés de leur sommeil, vraiment ces deux lampes tendaient méchamment leurs longs cous, éparpillaient sur le plafond des jeux d'ombres, le halètement incessant d'animaux antédiluviens ; moi, dans ces découpages d'ombres projetées au plafond, je voyais toujours des oreilles d'éléphant servant d'éventail, le thorax de squelettes soulevés par une lourde respiration, deux grands papillons de nuit épinglés par le faisceau lumineux que le cylindre de verre braquait droit au plafond ; là, au-dessus de chacune des lampes, brillait un petit miroir rond et aveuglant, une monnaie d'argent violemment éclairée, bougeant insensiblement, mais bougeant quand même sans relâche, exprimant de la sorte l'humeur de chacune des lampes." 

La lumière, nous le savons, voile autant qu'elle dévoile, dedans comme dehors. Elle n'ouvre pas de chemin quand elle brouille les lignes. Le roman se déroulant dans les années 1920, alors que la Tchécoslovaquie vient de naître sur les décombres de l'empire austro-hongrois avec des contours à confirmer, Bohumil Hrabal aura qui sait pensé à cette géographie incertaine en dépliant ses jeux de lumière.

La chevelure sacrifiée est disponible en édition de poche chez Gallimard.

 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire