J'ai découvert De la déception pure, manifeste froid il y a cinquante ans. Serge Sautreau, André Velter, Jean-Christophe bailly et Yves Buin en sont les auteurs enfiévrés. Il m'est revenu en mémoire quand j'ai chroniqué Tardigrades et intrigues d'Étienne Vaunac (éditions Épousées par l'écorce).
Cet ouvrage est d'emblée singulier avec sa préface qui court sur deux pages et quatre mots écrits gros :
Rien Le même
Le vide L'autre
Et ce n'est pas un manifeste. Dans Le Monde du 22 novembre 1973, André Velter le dit. Et Serge Sautreau abonde : "Il n'y a pas de groupe possible entre nous. Chacun d'entre nous volatilise la prétention collective à énoncer l'individu pour le mettre entre parenthèses... L'impossibilité du groupe vient de la déception pure." Et il ajoute que la déception pure est "un sentiment lié à la cruauté de l'énigme".
Et le terme "froid", pourquoi ? André Velter dit : "Le froid, c'est peut-être l'espace de notre rendez-vous ; c'est une prise de distance par rapport à soi, par rapport à tout". Et Jean-Christophe Bailly enfonce le clou : "Le rendez-vous implique une connivence à un moment donné, mais non l'appartenance à un groupe. Chacun vient au rendez-vous et repart seul dans le monde de son esprit."
"Nous évacuons toute idéologie", dit Serge Sautreau. "Le froid, c'est d'abord une prise de distance par rapport aux émotions tièdes des idéologues", dit Jean-Christophe Bailly.
Le seul élément qui réunit les quatre textes, (Éloge de l'indifférence, L'étendue des dégâts, Les îles de la Sonde, Fou-l'art-noir) est le tableau en première de couverture, signé Caspar David Friedrich, La Mer de glace.
Alors je pense à la phrase de Kafka :"Un livre doit être la hache qui fend la mer gelée en nous." Mais il n'y a pas de rapprochement pertinent à établir. La déception pure n'est pas un désespoir qui se raccrocherait, tel un naufragé, à une hypothétique mission de la littérature. André Velter évoque Jacques Vaché et Arthur Cravan et dit que leur époque est pareille à celle de 1918-1919, "au bord du vide". On pourrait ajouter Jacques Rigaut qui m'a inspiré mon texte "Je ne serai pas un grand mort".
Pour mémoire : Jacques Vaché (1895-1919), Arthur Cravan (1887-1918), Jacques Rigaut (1898-1929). Fauchés par le vide qui n'est pas rien, et l'énigme du même dans les tréfonds de l'autre. Et encore je me souviens de Jacques Boiffard (1956-1985) dont l'ancêtre était photographe chez les surréalistes.
Et tout ceci écrit, je ne sais que penser de mon effroi froid. La fin du dix-neuvième siècle et le début du vingtième ont connu la fée Électricité et les chants magnétiques, le cubisme, le dadaïsme et le surréalisme, le fauvisme, la psychanalyse, le cinéma, le jazz... Ils ont connu Proust et Apollinaire, Picasso, Musil, et tant de voix portées par un regain sans précédent des humanismes après la boucherie de 14, dont celles de Jaurès même mort et Briand.
Alors que nous qu'est-ce qu'on connaît ? Le crépuscule. Partout. Et disant cela, je ne signifie que notre impuissance à penser l'homme et le monde. Et je ne vois rien à ajouter à ce texte tout de brique à braque. Même l'art ne peut plus nous sauver du mal absolu qui vient. Voilà.

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