Dès l'édito intitulé Au bord de l'abîme, Alban Lécuyer n'y va pas par quatre chemins : "Un roi dégénéré, des infants malades, des idiots, des nains, des infirmes, quelques pitres monstrueux vêtus en princes..." C'est là une citation d'Élie Faure évoquant Velásquez, reprise par Godard brocardant "la France putréfiée à la veille de Mai 68". Il serait tentant de mettre des noms sur ce roi, ces infants et ces idiots mais la liste n'en finirait pas...
19 textes, comme d'habitude, constituent le corps principal de cette quarante-neuvième livraison. Dans Tisonner les plaies, Marc Bonetto sonde l'enfer qui est en nous et procure un "bonheur insane" malgré le dégoût. L'humain, toujours, retourne au "bourbier qui nous cracha dans la merde".
Agnès Petri aborde La fêlure du réel où la langue même échoue à s'assembler. C'est Le saut perpétuel dans un monde qui sans cesse recommence "mais avec un bug" où tout se défigure. Le vide aspire jusqu'aux paupières.
Pour Auns Darouaz-Khechine, l'enfer, ce n'est pas les autres mais soi. La langue est une gigogne où tout est enfermé et nous en sommes les geôliers. "je suis mon propre cadenas / je suis la gorge fermée / qui continue de crier / à l'intérieur".
Highway to Hell, écrit Jean-Christophe Belleveaux. Voilà une autoroute où les vitesses ne tournent pas rond et où les cadavres ne sont pas seulement ceux des bouteilles de l'inconsolable. "l'éternité retrouvée" de Rimbaud n'aura ni mer ni soleil.
Dans la débâcle du monde, les humains selon Agnès Nageotte sont une marchandise comme les autres, et pas que dans les rayons des supermarchés. "S'éteindre", dit-elle. L'ultime désir vrai peut-être, quand l'impuissance est un naufrage, quand toute lutte est dérisoire.
Éclats est un ensemble du collectif d'écrivaines Éclipses (Oiara Bonilla / Emmanuelle Safi / Emna Zina Thabet). Une semaine passe et ne passe pas dans l'ordinaire d'une mère de famille. En off, piètre résistance à l'absurdité des jours, une princesse que personne n'entend et qui n'a pas envie qu'on l'embrasse sur la bouche... Et même les oiseaux sont sourds dans le jardin.
Jane Angué se souvient dans Ressemblances de ce que toutes les guerres ont en commun "sous les barrages d'artillerie" et "le ciel suffoqué". En 1914 ou en 2025, "l'odeur de charogne" poursuit longtemps les rescapés dans leur solitude.
Dans ses discursions, la revue donne la parole à la poétesse Milène Tournier : "J'écris en me fiant profondément au hasard de la marche. Ce que je vois, ce que j'entends. L'apparition égrenée de la ville, les rues, les phrases." Son dernier recueil, Et m'ont murmuré les campagnes, est publié au Castor astral.
Alexis Gloaguen rend un vibrant hommage à Anita Lane, Humble sous le ciel. Compositrice et chanteuse, elle écrivit plusieurs chansons pour Nick Cave. "Sa discographie fut rare et espacée - deux albums solo et une poignée de singles - mais d'une puissance telle qu'en l'écoutant on ne peut que regretter et chérir... Lorsqu'elle aborde les expériences de l'amour dans la vraie vie, les émotions dardent comme des ronces."
Puis, dans la rubrique des coups de cœur, mentionnons la note de lecture de Jean-Christophe Belleveaux sur L'odeur du graillon de Rémi Letourneur (éditions Cheyne) et celle de Tristan Felix sur Poèmes dévalés suivi de Ivre de cabanes de Pierre Gondran dit Remoux (éditions PhB). Ces deux poètes, faisant partie de nos querencias, sont chroniqués sur ce blog et dans la revue Europe.
Enfin, en sa dyschronie, Jean-Marc Flapp passe au peigne fin les épouvantes de l'été 2025. Qui sont les mêmes, toujours les mêmes : des rois dégénérés, des infants de plus en plus malades, des idiots et des nains malfaisants. Avec cependant une trouée d'espoir datée du 17 avril : "Hirondelles revenues et glycine toute en fleur : peut-être tout pas foutu..."
Et donnons le dernier mot à la grande poétesse Claude Favre. "Il y a un jour après l'enfer c'est un ami qui me l'a dit en soulevant le couvercle il faut danser avec les rats dans la cuisine jusqu'à l'épuisement des rats".
Cette quarante-neuvième livraison de Dissonances, illustrée par Claudio Parentela en son art "bizarre, élégant, anarchique, brut, rêveur, tordu..." compte 64 pages grand format et coûte le prix modique de 8 €.
Image : Anita Lane & Barry Adamson dans le clip These Boots Are Made for Walking, 1991.


Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire