ce peu de soi de Michel Bourçon est constitué de quatre ensembles de proses fragmentées. Certaines n'excèdent pas deux lignes. Les plus longues en comptent une douzaine. Une datation entre parenthèses indique le commencement et la fin de l'écriture de chacun de ces ensembles. Est-ce là un détail qui nous dit à bas bruit une obsession du temps non égrainé, fondu comme du plomb dans la boîte crânienne ? Le lecteur s'emparera comme il pourra de cette idée, si elle lui passe "en tête".
Le premier ensemble, chasser du silence cette voix, "nous embourbe dans l'indécision". Ni le passage des jours ni les corps ne sont des lieux sûrs. Des éléments de décor et de paysages attestent parfois une présence au monde (un radiateur, une table, une fenêtre, des feuillages avec ou sans oiseaux, la pluie sur la ville...). Mais rien ne tient longtemps. Comment "tenir sur presque rien" ? Quand les mots comme la mémoire sont aussi incertains entre le dehors et le dedans, entre la présence et l'absence... La lassitude monte avec le vide. La voix est impuissante malgré sa prégnance. Qui est-elle au juste ? Où se trouve-t-elle exactement ? Mystère !
Le deuxième ensemble, qui donne son titre au recueil est le plus court. Il exprime l'homme et la langue à l'état d'ébauche, dans la tension de l'effacement qui vient. La peur peut poindre. Qu'avons-nous donc "en tête" ? Pourquoi Michel Bourçon préfère-t-il le mot tête au mot esprit ? La perspective de la mort est-elle ainsi plus supportable ? Mystère encore. "Une larve de capricorne" comme "une bête creusant des galeries" apportera qui sait une réponse un peu sûre.
Le troisième ensemble s'intitule pauvre légende. " Comment s'établir dans la durée, il n'y a pas de lieu pour ces corps dans l'attente", écrit Michel Bourçon. Et, quelques fragments plus loin, cette question terriblement philosophique : " Qu'y a-t-il de part et d'autre de cet intervalle où nous demeurons ?" Cet intervalle que la datation essaie de garder "en tête". Cet intervalle pétri d'absence et d'ignorance par les empêchements du corps et de la mémoire.
Le dernier ensemble, cette avide attente, reprend, avec d'autres, ces tracas de l'intervalle. " Entre ce qui se déploie et se resserre". Et nous sommes la proie de cette attente, avides dans le vide au fil des instants carnivores. Cette attente plus vaste que nos carcasses et qui nous survivra. Quand tout visage se sera défait.
J'aime, sur ce blog, m'amuser au jeu des appariements littéraires. Mais j'en devine tant ici qu'il faudrait écrire tout un ouvrage de littérature comparée. Alors, faisons bref pour clamer une évidence : ce peu de soi de Michel Bourçon est un très grand livre. Oui. J'insiste. Un très grand livre.
Il est publié aux éditions la tête à l'envers et coûte 16 euros. Un fragment de peinture de Renaud Allirand en ouvre le chemin.