samedi 13 juillet 2013

Eté philo avec Spinoza

Quelques becquées du Traité de la réforme de l'entendement. J'y pense car je crois nécessaire une nouvelle réforme de l'entendement, à la lumière, ou tout au moins au lumignon de la modernité dans la perspective fuyante de la mondialisation. 

" Il faudra en outre s'appliquer à une philosophie morale et à une théorie de l'éducation des enfants ; et parce que la santé n'est pas un moindre moyen pour atteindre cette fin, il faudra élaborer une saine médecine ; et parce que la technique rend bien plus faciles les choses difficiles, parce qu'elle permet de gagner beaucoup de temps et de commodité dans la vie, on ne négligera nullement la mécanique.

... Je m'appliquerai tout d'abord à ce qui doit se faire avant tout : améliorer l'intellect et le rendre apte à comprendre les choses d'une manière conforme à l'obtention de notre but. [un vrai bien pour soi et un bien suprême pour le plus grand nombre] Pour cela, l'ordre naturel exige que je récapitule ici tous les modes de perception dont j'ai fait usage jusqu'à présent pour affirmer ou nier quelque chose avec certitude, afin de choisir le meilleur de tous ; ainsi commencerai-je en même temps à connaître mes forces et à connaître ma nature, que je désire parfaire."

vendredi 12 juillet 2013

Eté philo avec Marc Augé, fin

" Nous avons tous le sentiment d'être colonisés, mais sans savoir par qui, et les anciens colonisés n'ont pas de conseils à nous donner car, qu'ils le veuillent ou non, ils sont maintenant embarqués dans la même aventure que nous. Avoir peur de l'histoire n'a ni plus ni moins de sens aujourd'hui qu'hier, mais l'enjeu est clair : si nous ne réussissons pas à la vivre ensemble, si nous en excluons une partie de l'humanité, nous ne la maîtriserons pas et sombrerons dans la violence avec ceux que nous aurons exclus. Un seul impératif donc : nous opposer- chacun pour notre part, à la mesure de nos moyens, patiemment, jour après jour, en prêchant d'exemple- à la gigantesque dislocation des forces sociales qui accompagne la globalisation de l'économie. Une volonté individuelle n'est ni plus ni moins dérisoire que mille ou dix mille autres. Où commence et où s'achève le dérisoire dans l'infini de l'Univers ?

On ne peut oublier non plus les grandes concentrations d'exclus à la surface du globe, les camps où s'entassent des réfugiés, des sans territoire chassés par la guerre ou la famine. Leur existence témoigne de l'incapacité des politiques, partagés entre résignation et cynisme, à traiter ces apparentes paralysies de l'histoire qui annoncent pourtant de nouvelles convulsions. Nous pressentons l'urgence, mais constatons l'impuissance..."

jeudi 11 juillet 2013

Jacques Louvain: Eté philo avec Marc Augé, 2

Jacques Louvain: Eté philo avec Marc Augé, 2: " La peur a toujours été une composante de la vie, un facteur de progrès en définitive. Elle a souvent su réveiller les individus endo...

Eté philo avec Marc Augé, 2

" La peur a toujours été une composante de la vie, un facteur de progrès en définitive. Elle a souvent su réveiller les individus endormis par l'habitude et tracer de nouvelles lignes de fuite. On peut apprendre à surmonter sa peur, à s'en libérer. Mais, aujourd'hui, ce qui nous menace d'abord, c'est la rupture du lien social et, plus largement, l'affaissement du symbolique dans son ensemble, autrement dit de la pensée de la relation ; nous n'avons pas encore appris à maîtriser le changement d'échelle spatiale et temporelle qui s'impose à nous. Le sol où s'enracinaient nos certitudes s'est mis à trembler. Les peurs nouvelles ne sont pas si nouvelles, mais elles se diffusent instantanément et partout. Comme l'écrit Paul Virilio, le temps réel, Le live, est mis en valeur "au détriment de l'espace réel". Nous pressentons que ces peurs "se tiennent" et que, prises toutes ensemble, elles acquièrent une signification qui nous échappe et par là même ajoute à nos frayeurs.

Le lecteur me pardonnera la coupure abrupte et dépourvue de sens dans le texte Eté philo avec Marc Augé, 1. Elle n'est pas l'effet d'une moindre vigilance mais le résultat d'un excès de chaleur...

mercredi 10 juillet 2013

Eté philo avec Marc Augé, 1

Dans la collection Manuels Payot, Marc Augé vient de publier Les nouvelles peurs. Ces nouvelles peurs, liées aux violences politiques et sociales, technologiques, ressemblent par bien des traits aux anciennes peurs mais elles se diffusent beaucoup plus vite et génèrent des angoisses particulières.

" Il y a en effet deux sortes de peurs : celles qui sont induites par l'ignorance et celles qui sont déduites de la connaissance, ou, plus exactement, celles qui sont induites par le fait de croire qu'on croit, c'est-à-dire par la foi, et celles qui sont déduites du fait de savoir qu'on ne sait pas, c'est-à-dire de l'esprit critique et scientifique.
L'ignorance est complexe, et la peur naît souvent d'un excès de rationalité apparente et de mises en relation abusives : dans la recherche des causes, raison et déraison se conjuguent et se confondent. C'est le phénomène bien connu de la chasse aux sorcières, qui part de constats objectifs ( une mort, une maladie, un dérèglement climatique) et d'observations précises ( la bonne santé d'un autre, sa mauvaise entente avec le malade ou le disparu, éventuellement son humeur bizarre et des paroles imprudemment sibyllines) pour en conclure à une relation de cause à effet : court-circuit de la pensée dont procèdent tous les obscurantismes et tous les mouvements de panique...

La connaissance, elle aussi, est complexe parce qu'elle est constamment au contact de ce qui lui échappe et la provoque. Dans le domaine des sciences de la nature, les hypothèses et leur vérification permettent de progresser en déplaçant les frontières de l'inconnu. Dans le domaine de l'économie en général et de la gestion des hommes en particulier, l'ignorance et ses certitudes sont tentantes et faciles, la connaissance et ses doutes beaucoup moins. Quand on parle d'une politique passée comme d'une "expérience", l'expérience communiste par exemple, on use d'un langage trompeusement métaphorique ; le communisme n'a jamais été vécu ni conçu par ses responsables comme une expérience au sens scientifique du terme, c'est-à-dire comme la mise à l'épreuve d'une hypothèse provisoire et révisable... Le terme "expérience" ne peut pas s'appliquer non plus aux "leçons de l'histoire" qui permettraient d'établir un bilan et de faire le tri entre le positif et le négatif...

lundi 8 juillet 2013

Dernier extrait du livre de Pascal Chabot, pris dans son chapitre Manifeste funambule. Ce titre démontre une fois encore que la philosophie peut s'aventurer sur les terres incertaines de la poésie.

" Si au moins les choses étaient claires, il n'y aurait pas burn-out, mais combat. Les ennemis seraient désignés, les responsabilités assignées. Mais la postmodernité, comme toutes les époques intéressantes, est marquée par la plus haute ambiguïté. Aucun manichéisme lui convient, car une condamnation globale des sphères techniques et économiques apparaîtrait la moins crédible des réponses à cette maladie de civilisation. C'est en effet aussi à leur montée en puissance que l'on doit certains des aspects admirables de notre monde...

Que peut faire le philosophe avec ses livres et ses concepts ? Comment sortir de ce découragement ? Comme dans toute guérison de burn-out, il doit se recentrer sur ce qui lui importe le plus et lui rester fidèle... Revivre est bien sûr possible, pour autant que la personne trouve le moyen de changer et de se débarrasser des pressions et des croyances nocives. L'égoïsme est parfois salutaire. Le " Courage, fuyons ! " de Deleuze peut s'avérer nécessaire, même si l'on ne fuit jamais que pour recréer, ailleurs, des conditions qui permettent d'exprimer plus sereinement nos désirs. En cela, un burn-out "réussi"... débouche sur une métamorphose. La personne se reconnecte à ce qui fait sens pour elle, dans des retrouvailles qu'il faut imaginer heureuses...

Le plus grand gâchis serait que l'époque la plus favorisée sur le plan matériel soit aussi la plus dépourvue de sens et de spiritualité. Pour cette raison, les pensées de reconstruction, mêmes infimes, deviennent urgentes... 

L'équilibre est aujourd'hui devenu un moyen. Il n'est plus l'objet d'un désir personnel, artistique ou philosophique, mais un processus qui permet d'atteindre une norme définie extrinsèquement. C'est en effet de l'extérieur du système, dicté par exemple par des impératifs de performance, de rentabilité... que le but d'un comportement sera défini. L'équilibre normatif, qui peut se passer du juste milieu lorsqu'il est interprété en contraintes technologiques, a désormais détrôné l'équilibre intuitif. Leur disjonction s'enracine là, et ne fait que s'accroître parce que de nouvelles normes sont sans cesse édictées et qu'elles n'ont parfois plus de contre-partie vécue. L'intuition, cette boussole qui disait à l'individu ce qui était trop ou trop peu, n'a plus droit de cité. "

Equilibre intuitif : Selon Aristote, recherche d'un juste milieu inspiré par la nature, la compréhension des humeurs du corps et la méditation sur la stabilité des sociétés. Ce juste milieu crée une harmonie recherchée pour elle-même et procure joie et beauté.
Equilibre normatif : Il compose avec des normes collectives et les lois édictées par les autres.

Aller de l'un à l'autre de ces équilibres, voilà bien l'exercice du funambule.

dimanche 7 juillet 2013

Eté philo avec Pascal Chabot, 2

Pascal Chabot tisse des liens subtils entre l'acédie qui terrassait les moines du Moyen Age et le burn-out qui terrasse aujourd'hui les acteurs les plus engagés au sein de l'Entreprise. Pour faire court, l'acédie est un peu l'ancêtre de la mélancolie, entre spleen et neurasthénie.

" L'acédie fut pour l'Eglise ce que le burn-out est au monde de l'entreprise : un affect redouté qui touche l'individu, mais qui sape aussi la foi dans le système, ce qui explique qu'il soit pris au sérieux... L'acédie... surprend, parmi les moines, les perfectionnistes de la foi aux tâches réglées et aux prières quotidiennes, qui ne reculent ordinairement pas devant un jeûne supplémentaire, ni devant un office plus matinal encore, mais qui, parfois, s'effondrent. ..
Le burn-out est une nouvelle acédie. Les analogies sont frappantes. Mais la plus marquante est que les deux affections débouchent sur le même état : la perte de foi. Si l'Eglise, en tant qu'entreprise de croyance, a tant redouté l'acédie, c'est parce qu'elle inclinait le moine à douter de l'existence de Dieu... De même, le burn-out a sur l'entreprise contemporaine un effet dévastateur. Les valeurs sont remises en question. L'omniprésence du stress est perçue comme une tentative de manipulation. Le goût du travail disparaît, lui qui était le moteur de l'activité. La motivation s'érode. Comme le moine ne parvenant plus à prier un Dieu qui ne le réconforte plus, le travailleur baisse les bras, faute parfois de reconnaissance... La croyance dans le système est définitivement ébranlée. Le burn-out est toujours une remise en cause des valeurs dominantes : il génère les nouveaux athées du techno-capitalisme."

samedi 6 juillet 2013

Eté philo avec Pascal Chabot, 1

L'été. Les vacances. Pas se prendre la tête sur le transat. Lire le dernier polar recommandé par les hebdos.

Et si on faisait le contraire ! La vacance permet à l'être de se remplir d'autres choses que des cornets de glace et des paysages achetés à la coupe...

Alors, tout cet été, je recopierai ici des extraits de textes philosophiques, une façon de couper, encore, dans l'illisibilité du Tout, j'en conviens, mais avec l'intention d'emplir et non de vider.

Commençons avec Pascal Chabot et son Global burn-out récemment paru aux PUF.

" Le syndrome du burn-out n'est pas uniquement un problème individuel. Il apparaît plutôt lié aux questions du progrès, de la technologie et des envies qui parcourent notre ère d'expérimentation... Les humains se voient modifiés par leurs outils. Le système imprime sa marque sur leurs mentalités et leurs espoirs... Eduqués, diplômés, travailleurs enthousiastes, ils sont les soutiens zélés de modes de vie contemporains. C'est par leur ardeur au travail... que le système tient en place. Et ce sont pourtant eux qui craquent.
Le burn-out est une maladie de civilisation. Nous épuisons la terre. La biosphère est transformée en une ressource. Face à la nature, nous n'avons plus l'attitude de contemplatifs mais d'exploitants qui cherchent en elle ce qui pourrait leur profiter, marquant ainsi toute la planète de leur empreinte...
L'humain est une ressource : qu'il dégorge, lui aussi, ses meilleures énergies, sa sueur, son temps. Il est, de toute façon, surnuméraire, et donc remplaçable. Resurgit alors un affect très profond que tous les humanismes ont cherché à bannir, et qu'exploite pourtant le pouvoir de certains : la peur. Il est étrange de voir, de nos jours, devant des bâtiments d'acier aux vitres rutilantes ou au milieu de chaînes robotisées, des visages effrayés. Ils sont le syndrome d'une régression...
Ce syndrome est une nébuleuse dont les contours sont flous et les traits différents pour chaque individu. Les facteurs sont également divers, même s'ils peuvent être regroupés en plusieurs catégories : l'essoufflement du perfectionnisme, l'épuisement de l'humanisme, la course à la reconnaissance, sans oublier les problèmes spécifiques qui touchent les femmes."

A suivre, toujours avec Pascal Chabot : De l'acédie au burn-out.

A suivre ensuite d'autres auteurs : Marc Augé, Edgar Morin, George Steiner, Yann Kerninon, Michela Marzano...

vendredi 28 juin 2013

Je n'ai jamais lu Dickens

Dans l'un de ses posts, comme on dit sur les réseaux sociaux, Francesco Pittau affirme préférer Dickens à Balzac. Je me souviens que je ne l'ai jamais lu. Je me souviens que je lis et relis Shakespeare mais que ma connaissance de la littérature anglaise se limite à quelques contemporains dont Coe et Mc Ewan.

Je me souviens que j'ai une culture à trous comme j'ai eu une enfance à trous. Ni père ni mère pour m'accompagner sur les chemins des lettres. Des études interrompues en première et reprisées comme des vieilles chaussettes.

Je pense à Lionel Bourg qui déclare avoir dû voler la langue quand il était adolescent. Je prends ses paroles à mon compte. J'ai volé la langue et, par chance, dans mes butinements désordonnés, des amoureux des littératures ont bien voulu me guider. Paraphrasant feu Maurice Nadeau, je dis : " Grâces leur soient rendues ! "

Je leur dois tant de trésors qui palpitent encore dans ma poitrine. Ils m'ont fait grandir avec des princes maladroits, des consuls ivrognes, des jouvenceaux conquérants, des âmes crépusculaires, des coquins obstinés...

Je leur dois d'avoir pu apprêter mon chant dans le creuset de mes silences.

Je leur dois d'être parvenu à rester vivant et d'avoir, oui, pu rencontrer l'amour.

Cependant, malgré quarante ans de lectures qui m'ont conduit à franchir tant de rives improbables, je demeure un petit garçon qui ne comprend rien.

Il me faut grandir encore et encore. Défricher le fouillis des émotions et des idées. Forger les outils nécessaires au regard ouvert et pénétrant.

Combler du sang des autres les trous de mon corps.

Dans la violence du calme

La rumeur des voix ne porte plus d'écho le long du parapet. Un lacet défait courbe sur le sol une ombre déjà fatiguée. Quelques boîtes rondes, cabossées par l'ennui, ont de vains roulements dans la mouise du caniveau.

Le vent retrousse un peu la Garonne qui vire au gris. Une pelle mécanique entame l'autre rive comme un gâteau de trois jours.

Un nourrisson pousse un cri qu'on pourrait croire sorti de la gorge d'un paon. 

Mais le paysage tient debout cependant. Les jambes des passants lui servent encore de béquilles.

Il faudra beaucoup de temps pour s'apercevoir que l'effondrement est déjà là.

P.S. : La violence du calme est un concept socio anthropologique de je ne sais plus qui.