mercredi 18 janvier 2017

36 choses à faire avant de mourir

Hervé Bougel, éditeur néo bordelais au Pré carré, propose à qui le souhaite de rédiger une liste numérotée de 36 choses à faire avant de mourir. Je trouve l'idée séduisante. J'en aime le caractère injonctif. Plus qu'un désir, il exprime une volonté. Une volonté avant la mort. Dont l'urgence est évidemment plus marquée si le rédacteur entre dans l'âge avancé.
C'est mon cas. Bientôt soixante-deux ans. Mais je rencontre un problème avec cette liste. Je peux éventuellement désirer faire trente-six choses avant le gong final (manger une deuxième fois de la lamproie bordelaise mitonnée à la maison par une excellente cuisinière, visiter le musée de l'Ermitage en mettant mes pas dans ceux de Dostoïevski, revoir tel ou tel copain de collège...)
En revanche, s'il s'agit de figer dans le grain du papier une volonté, une volonté presque dernière, ma liste n'atteindra pas le numéro trente-six. Loin de là. Est-ce à dire que, fort peu désirant, enclin qui sait au renoncement, ma volonté se réduit chaque jour davantage ? C'est probable. Mes proches connaissent mes penchants crépusculaires. La lucidité sur le monde et sur soi a un prix lourd à payer. L'amenuisement déjà me ronge. Dans quinze ans, il n'y aura plus rien. Alors voilà ma liste. Forcément tragique.

1 - Aider ma compagne à guérir de sa maladie
2 - Aider mon vieil ami à guérir de sa maladie
3 - Aider mon frère à guérir de sa maladie
4 - Publier un autre roman chez Gallimard
5 - Retourner à Venise avec ma compagne
6 - Donner le goût de la lecture à mon petit-fils adoptif
7 - Trouver des héritiers pour nos livres et nos tableaux
8 - Publier un dernier recueil de poèmes
9 - Faire un voyage à Amsterdam avec ma compagne
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Si vous souhaitez en savoir plus sur l'entreprise des éditions Pré carré fondées en 1997 par Hervé Bougel, visitez leur site precarrediteur.fr

Image precarrediteur.fr

mardi 17 janvier 2017

Miguel Hernàndez, Recueils d'absences

«  Qu’ai-je donc fait pour que l’on mette
dans ma vie autant de prisons ? »
1939 en Espagne pendant la guerre civile. Le poète Miguel Hernández, engagé dans les rangs des Républicains et membre du parti communiste, est condamné à la réclusion perpétuelle par le régime franquiste. Il meurt trois ans plus tard dans sa cellule. Tuberculose. Il a trente-deux ans. Un poète assassiné. Un de plus. Les dictatures n’aiment pas les mots qui ont des ailes.
Jean-Marc Undriener publie aux éditions Centrifuges sa traduction de la dernière œuvre du poète Cancionero y romancero de ausencias / Recueils d’absences. Il s’agit d’un ensemble inachevé, où se mêlent tercets dépouillés à l’extrême, sonnets  et poèmes au long cours, incantatoires. Seize textes raturés, poignants dans leur inachèvement même, prolongent ce livre des absences.
L’absence du corps de l’aimée, du corps amoureux et nourricier. L’absence du fils mort à dix mois. L’absence de liberté. L’absence d’espoir et de perspective. De sens ?
« C’est pour cela que les gares
ont le goût de la mort, tout comme les ports.
C’est pour cela qu’à notre départ
les mouchoirs s’effeuillent.
Nous sommes tels des cadavres ambulants
dans l’horizon, loin. »

Résultat de recherche d'images pour "miguel hernandez poemas"La genèse de ce magnifique recueil d’ombre et de lumière, de lait et de miel, de vent et de cendre est rigoureusement établie par Jean-Marc Undriener : « …les Recueils d’absences constituent l’ultime et fascinant témoignage d’un poète saisi par l’urgence, un poète en quête de sens, en constante évolution, en constante interrogation, un poète dont l’œuvre la plus aboutie est, paradoxalement, celle qui n’aura jamais vu le jour. »
Plusieurs encres du peintre Fusco accompagnent l’ouvrage des mots. Elles représentent un corps d’homme flottant dans l’air (l’éther ?). Ses bras sont écartés. Un rayon de lumière noire traverse (crucifie ?) ce corps offert. Le mystère demeure. Comment pourrait-il en être autrement quand triomphent  les forces du mal ?
Les lecteurs hispanophones trouveront l’original de ce Cancionero y romancero de ausencias sur le site mhernandez.narod.ru/poesia.htm
Extraits :

Dis-moi depuis là-bas, en bas,
les mots je t’aime.
Parles-tu sous la terre ?
Je parle comme le silence.
Aimes-tu sous la terre ?
Sous la terre j’aime
parce que là où tu traverses
mon corps aussi veut traverser.
Je brûle de puis là-bas, dessous
et j’allume ton souvenir.

*

Je suis une fenêtre ouverte qui écoute,
par laquelle regarder la vie ténébreuse.
Mais il y a toujours, dans le combat, un rayon de soleil
Qui finit par laisser l’ombre pour morte.

*

Emmenez-moi au cimetière
des vieilles chaussures.
Passez-moi à toute heure
le chiendent du balai.
Semez-moi comme on sème
des statues au regard rigide.
Dans un jardin de bouches,
futures et dorées,
mon ombre s’illuminera.


Recueils d’absences de Miguel Hernández, (plus de deux cents pages sur beau papier coquille d’œuf, couverture à rabat), est disponible chez votre libraire ou sur le site des éditions Centrifuges. Il coûte 15 euros.

Image 1 : cornadasparatodos.blogspot.com

Image 2 : www.fibrillations.net

samedi 7 janvier 2017

Murielle Compère-Demarcy, Dans la course, hors circuit

La poésie directement engagée dans le domaine du politique n'est pas morte. Elle est même bien vivante sous la plume de Murielle Compère-Demarcy. Le titre de son recueil Dans la course, hors circuit, publié aux éditions Tarmac est en soi un manifeste. Comment ne pas penser à l'allégorie smithienne de l'échelle avec sa multiplicité de barreaux... Tout en haut, ceux qui gagnent la course. Tout en bas ceux qui restent hors circuit.
Nous savons bien que cette réalité est plus que jamais d'actualité, plus que jamais brutale, plus que jamais cynique... Nous n'ignorons pas, un pape même l'a déclaré urbi et orbi, que l'homme est un déchet destiné à alimenter les intestins de la puissance financière. Tout nutriment incompatible est impitoyablement rejeté dans les égouts via les caniveaux de nos villes. Il y a, toujours, un barreau plus bas que le dernier barreau sur l'échelle d'Adam Smith...
La collection carnets de route des éditions Tarmac est une volonté militante de son animateur Jean-Claude Goiri. " Dire non à la barbarie sous toutes ses formes qui se débat à nos portes... Rien de pire que le silence."
Mais revenons au livre. Il est composé de deux longs poèmes à dire, à crier, à théâtraliser sur les agoras et dans les forums de la Cité démembrée, dépecée, éviscérée. Loin du simulacre des écrans qui organisent les émotions marchandisées, dans la zone du dehors chère à Alain Damasio.

Extraits :

Avale ton pain, réfléchis moins
travaille bien
Tu grimperas
tu iras loin
boulet de pauvreté
au pied de ta parcelle
de ton lopin de serf
Travaille bien, c'est bosser bien
gagner un peu moins, bosser bien
gagner moins
arme tes bras
bétonne tes reins
Exécute !

*

De nouveaux champignons
poussent
hybrides de terres incultes
en recyclage du remugle
au pied des futures maisons
médicales
Les mercenaires de la santé
déjà fouaillent
dépouillent vos entrailles
nos déprimes
aux stéthoscopes de l'intérim

Dans la course, hors circuit de Murielle Compère-Demarcy  est illustré par des dessins de Jacques Cauda. Il coûte huit euros. Vous pouvez le commander depuis ce blog en cliquant sur le lien des éditions Tarmac.

vendredi 6 janvier 2017

Jaume Cabré, Confiteor

La quête de la beauté est d’autant plus tragique que la banalité du mal, agi et subi, domine l’homme depuis ses commencements. Cette question philosophique majeure traverse de part en part, crible pourrait-on dire, le Confiteor de Jaume Cabré, roman de neuf cents pages. Hannah Arendt, Theodor Adorno,  Paul Celan, Primo Levi accompagnent évidemment le professeur Adrià Ardèvol dans ses recherches.
Auteur d’une volumineuse Histoire de la pensée européenne saluée par la critique, parviendra-t-il à écrire l’histoire du mal ? Aura-t-il le temps de se réconcilier avec l’insaisissable Sara Voltes-Epstein qu’il aime et qui l’aime ? Amènera-t-il son ami Bernat Plensa à renoncer à publier de mauvais romans  pour se consacrer exclusivement à la musique où il excelle ?
Il faudrait poser la question au shérif Carson et au glorieux Aigle-Noir de la tribu des Arapahos. Ils ont veillé sur Adrià quand il était enfant. Ils lui ont donné l’affection dont il manquait et continuent d’intervenir, en crachant par terre s’il le faut, dans les conversations auxquelles ils ne sont pas invités.
Autant le reconnaître d’emblée, cette œuvre de Jaume Cabré est totalement indéfinissable. Toutes sortes d’aventures y foisonnent, celle d’un violon Storioni notamment, depuis la forêt où son bois a poussé en Catalogne il y a plusieurs siècles jusqu’à une maison de retraite à Amsterdam dans les années deux mille, en passant par le camp d’extermination d’Auschwitz-Birkenau…
Les personnages, comment pourrait-il en être autrement, sont à la mesure des dédales qui brouillent et confondent les espaces (monastères, ateliers de luthiers, salles de tortures au Vatican et en Allemagne, cabinets de curiosités, bibliothèques, chambres à coucher, musée à Tübingen et rues de Barcelone, cimetière…) : on ne peut jamais être sûr qu’ils sont là et pas ailleurs, dans ce temps et pas dans un autre.
Jaume Cabré l’a voulu ainsi dans la structure de son ouvrage. Dans une même phrase, sans aucune transition, le narrateur Adrià passe du je au il en parlant de lui. Dans un même paragraphe, un bourreau de l’Inquisition au Moyen Age qui suspend un blasphémateur à un croc de boucher devient un bourreau allemand qui dépèce un enfant juif pour tester sa résistance à des produits chimiques. Le lecteur devine ce que les identités multiples ont en commun de volonté fanatique quand il s’agit d’exercer le mal y compris pour atteindre et s’approprier la beauté, celle de la musique tout particulièrement, laquelle est omniprésente dans ce terrifiant Confiteor. Personne ne sortira épargné de ce roman par ailleurs polyglotte et pour cause... Pas même les figurines de plomb du shérif et de l’Indien.Résultat de recherche d'images pour "jaume cabré"
Les personnes intéressées par l’univers de Jaume Cabré peuvent consulter les articles de Philippe Lefait et Laurent Mauvignier en cliquant sur les liens de l’encyclopédie Wikipédia. Il y a aussi des interviews.

Traduit du catalan par Edmond Raillard, Confiteor de Jaume Cabré est disponible dans la collection de poche Babel.

Image courrierinternational.com

lundi 2 janvier 2017

Edith Masson et William Mathieu dans Voleur de feu

La revue Voleur de feu, dont j'ai déjà eu le plaisir de parler ici, nous offre dans sa cinquième livraison les regards croisés d'Edith Masson et de William Mathieu sur les lieux où ils ont grandi en Lorraine. La "chair molle des champs retournés coupant des chaumes", travaillée jusqu'à la fatigue par la matière poétique massonienne, entretient avec les crassiers à la pointe sèche de William Mathieu une conversation élémentaire qui touche à l'universel de la terre comme lecture. Le Vendéen James Sacré ou l'Ardennais Guy Goffette, ces arpenteurs de lignes à réinventer sans cesse, trouveraient là des paysages et des émotions à partager.  
L'ensemble des poèmes d'Edith Masson s'intitule ce que disent les pies. Il a été traduit en allemand par François Dillinger et Lionel-Edouard Martin. Le lecteur pensera bien sûr à la grande hache de l'Histoire abattue sur cette région défigurée jusque dans ses entrailles. Edith Masson écrit :
tu puais
la guerre certains soirs tu puais
la guerre
de ton père la tienne et les autres
guerres toutes puent dans nos mains les frotter ne
sert à rien elles t'ont pissé dessus...

du stankest
nach krieg manchmal abends stankest du
nach dem krieg
deines vaters nach deinem und den anderen
kriegen alle stinken in unseren händen sauber reiben
nutzt nichts sie haben dir draufgepisst...

Les dessins de William Mathieu, composés sur papier ou sur écran, disent l'amertume des jours et l'épuisement de l'horizon. L'Ouverture sur le monde ne sort pas du rectangle de la télévision en noir et blanc des années soixante. La grande pointeuse de l'usine et de la mine carillonne aussi au salon après les Soleils quotidiens trompeurs de l'estaminet. Pour tenir malgré l'Obsession spongieuse qui dévore les poumons de la bête humaine dans les galeries de la mort.Afficher l'image d'origine
Lisez cette belle revue dont la pagination est augmentée depuis le numéro quatre. Vous pouvez la commander en cliquant sur le lien affiché ici même.

Torche de William Mathieu sur le site williammathieu.eu

dimanche 18 décembre 2016

Dessaisissement de la conscience immédiate

La conscience immédiate est le seuil d'une maison qui comporte bien des couloirs qui distribuent bien des pièces et des étages pour peu qu'il y ait des escaliers. Reste à savoir ce qui se dessaisit en elle pour se couper du monde sensible et entrer ainsi dans  un état antiphénoménologique. Il faudrait d'abord s'assurer que la conscience est bien un lieu inscrit dans une substance, la chair par exemple, plutôt qu'une fumisterie de la transcendance.
Autant de chemins philosophiques qui égarent les agencements de mon entendement et suspendent des toiles d'araignées sous mon plafond. 
Mais l'expression "dessaisissement de la conscience immédiate", de Paul Ricoeur, me séduit. Elle fait écho à une autre expression, d'Antonin Artaud : " Je ne m'appartiens que par éclaircies."
Fondre ces deux expressions en une seule me caractérise assez bien.
Je ne m'appartiens que par éclaircies ; le reste du temps ma conscience immédiate se dessaisit.
J'aimerais pouvoir démonter les mécanismes de ce dessaisissement comme il me plairait d'élucider les éclaircies qui ouvrent un accès à la plénitude de l'appartenance à soi. 
Il s'agit là d'un désir qui restera lettre morte car il ne sera mu par aucune volonté. 
Le désir et la volonté, en leur opacité, empoisonnent l'être humain depuis les commencements. Au vingt-deuxième siècle, quand les grandes catastrophes auront détruit toutes les puissances biologiques, seule la condition d'être robot sera enviable. Sans âme qui dépose ses immondices avant même le seuil de la maison. L'âme est un piège inventé par des cerveaux malades qui ne supportaient pas d'avoir de la chair enfermée dans un corps corruptible. 


mardi 13 décembre 2016

La Piscine, L'âme des lieux sans âme

Dans sa deuxième livraison, la revue graphique et littéraire La piscine dévoile L'âme des lieux sans âme. Un lieu sans âme échappe aux désignations ordinaires de l'espace et du temps. C'est un fragment mis entre parenthèses dans le tout du paysage. On peut l'appeler seuil, entrée, coulisse, abord, interstice, sortie, anfractuosité, ébauche, aparté, passage, rupture... Le regard en remanie sans arrêt les contours et s'y confronte à l'abandon, à la solitude, à l'effroi. Mais l'âme a le cuir solide. Même absente elle est toujours là. Blottie contre un parapet ou penchée sur un caniveau, dans un troisième sous-sol ou sur la plus haute tour, elle vous fait signe. Elle résiste.
Dans Gymnopédie N°1-Erik Satie, Olivier Morisse a pris dans son viseur un ensemble d'immeubles perchés sur une dalle, la nuit. Filaments de gris sur fond noir. Trois taches de lumière, éloignées les unes des autres, témoignent de présences humaines. On éprouve la sensation d'un vide qui naufrage la pensée. On se dit que les habitants ont quitté les lieux. On se dit que ceux qui restent sont en danger.
Dans L'ouvrier de la Défense-octobre 2013, Pascal Reydet montre la courbe d'une passerelle en altitude parmi des façades aux lignes anguleuses. Casque de chantier sur la tête et mains dans les poches, un individu fige son corps pour l'objectif du photographe. Autour de lui, des matériaux sur des palettes, également figés, évoquent le travail de la construction. L'ouvrier a laissé sa fragilité au vestiaire. La démesure du quartier n'aura pas sa peau.
L'image S'il y a lieu de Pierre Ménard pose, à la manière de Georges Perec, la question de ce que l'on voit sans voir et qui imprègne cependant la conscience floue. L'infra-ordinaire peut composer un lieu. Ou pas. Ici, à un carrefour abandonné dont les lignes s'effacent, le pictogramme du passage piétons dans son cadre jaune pourrait saluer le regard qui s'attarde. Si quelqu'un vient.
Hélène Desplechin a peut-être la nostalgie des écoles qui sentaient l'encre violette. Le couloir de La classe abandonnée, avec ses portemanteaux des années soixante, nous rappelle les récitations de Victor Hugo et les vieilles cartes de Vidal de La Blache. Des enfants d'aujourd'hui, qui sait, viennent y mêler leurs voix à celles qui se sont tues.
On ne sait pas où se trouve la dame brune en tenue d'été de Etat des lieux, Audrey. Hélène Katz laisse le spectateur à ses conjectures. A lui d'agrandir la bande ocre de l'image. Le noir à l'entour dévoilera quelque chose du décor. Mais qu'en est-il du regard en coin d'Audrey ? Que dit-il de son attente si elle attend, de son inquiétude si elle est inquiète ?
Il m'est évidemment impossible de mentionner tous les illustrateurs de La piscine. Notons les lumières minimalistes de Chloé Latouche, Indication, de Michel Mazzoni, Underground, Kyoto 2014, de Guillaume Le Baube, Hôtel Stars, photo issue de la série NoX. Autant d'invariants qui énoncent une certaine forme de détresse dans tous les paysages du monde. Dans un genre plus hopperien, les images de Christophe Dillinger, I sat there, et de Julie Verin, Fumoir, sont aussi remarquables avec leur présence en creux de l'humain.
De nombreux récits, accompagnent cette riche iconographie. On notera le saisissant je suis guichetier de Thierry Roquet, Bouche-cariée de Laurine Roux, Chambre d'hôtel pour gens pauvres de Marlène Tissot et Pays du dessous de Christophe Grossi.
La poésie est aussi présente avec, parmi d'autres, les beaux textes d'Edith Masson et Brigitte Giraud, laquelle constate que "c'est souvent par les jambes que la mémoire remonte".Résultat de recherche d'images pour "revue la piscine"
Puisque c'est bientôt Noël, j'invite mes lecteurs à marcher jusqu'à leur librairie préférée pour commander La piscine. La revue coûte quinze euros. Un cadeau pas cher et enrichissant pour celui qui offre comme pour celui qui reçoit.

Image liminaire.fr

jeudi 8 décembre 2016

La revue Phaéton, livraison 2016

La revue annuelle Phaéton est aussi bien une auberge espagnole (au bon sens du terme) qu'une tour de Babel avec ses résonances portugaises, russes, occitanes, anglaises et castillanes. Pluridisciplinaire, elle entretient un dialogue fécond entre les sciences humaines, les littératures et même la théologie.
Dans la livraison de l'année 2016 dédiée au regretté Henri Martin (fondateur de la librairie La machine à lire), Patrick Chastenet évoque la pensée de Jacques Ellul. Un chemin d'homme libre engagé dans sa foi protestante comme dans ses interprétations marxiennes du corps social. Un "écologiste" avant l'heure qui prônait une certaine ascèse mais pas la décroissance. Un visionnaire du rôle de la technique experte dans nos démocraties aujourd'hui confisquées par le libéralisme numérique...
Autre parcours singulier, celui de Juana Inés de la Cruz à Mexico au 17ème siècle. Paule Béterous nous livre un exercice d'admiration pour cette femme créole qui choisit le couvent afin d'écrire librement sa poésie tout en s'intéressant à l'observation scientifique et à la question de l'égalité des femmes, de leur accès à la connaissance.
Phaéton offre ensuite dans son cahier central une anthologie d'écrits de femmes (Sappho, Louise Labé, Emily Jane Brontë, Colette, Gabriela Mistral, Anna Akhmatova...) suivi d'un ensemble de poèmes intitulé Merles blancs. On y rencontre Jean-Luc Maxence, Florence Vanoli, le Guadeloupéen Daniel Maximin, la Brésilienne Cecilia Meireles, l'incomparable Bernard Manciet et Claire Massart dont j'aime la sensibilité aux éléments poreux des paysages qui fondent étroitement extériorité et intériorité.
La dernière partie de la revue, plus multiforme, mêle communications universitaires, nouvelles (La fleur ultime de Ronald Vega notamment, dont la chute est redoutable), récits brefs, extrait de pièce de théâtre (Courteline) et questionnaire de Proust (la danseuse et chorégraphe Concha Castillo). On retiendra l'article de Sophie Jaussi, La parole-fantôme : un écho hanté. Cette parole des gens de peu chers à Pierre Sansot, qui marque et qui fait mal, comme un membre amputé dont on garde la douleur jusqu'au dernier jour de l'absence...
Dans Le tigre et le papillon, Claire Mestre décrit l'oeuvre collective du photographe Arnaud Théval réalisée avec des surveillants de l'administration pénitentiaire. La déconstruction et la reconstruction de l'espace carcéral, de l'identité et de la fonction du surveillant, lui-même prisonnier des représentations symboliques de l'institution. 
Enfin, il faut noter la présence d'une iconographie très diverse : portait de Salvador Dali avec animal de compagnie par Libor Si, peinture d'Evelyne Petiteau en hommage aux femmes de lettres du monde, corps en mouvement de Roberto Giostra, diptyque au seuil du Taj Mahal signé Pierre Feytout...Afficher l'image d'origine
La revue Phaéton, qui a des correspondants sur tous les continents, est dirigée par Pierre Landete, écrivain et traducteur de l'espagnol. Disponible en librairie, elle coûte 20 euros.

Site : www.revue-phaeton.fr
Image entrevues.org

jeudi 1 décembre 2016

Graciliano Ramos, Vies arides

Fabiano, vacher, fuit avec sa famille la sécheresse du serta᷉o au nord est du Brésil et s'installe dans une ferme abandonnée au délabrement. La faim, la soif, la fatigue desserrent un moment leur étau. La subsistance s'accommode comme elle peut du dénuement. Sous le ciel redevenu presque accueillant, l'espoir pourrait retrouver des couleurs. Même la chienne Baleine le devine. Mais tout ici est hostile. La terre avare, les urubus qui décavent les yeux des cadavres, l'eau croupie au creux des craquelures et des calebasses, les épineux tordus comme si la douleur les avait pris depuis toujours. Les serpents et les hommes. Les hommes qui sont des serpents. Propriétaires blancs des lopins et des troupeaux. Petites frappes blanches de la police et tabellions fielleux de la préfecture, blancs aussi...
Comment, en pareille malédiction, ne pas se ravaler soi-même au niveau de la bête ? Condamnée à l'errance pour ne pas crever.
Cette terrible question confère à Vies arides du Brésilien Graciliano Ramos un caractère implacable dans son écriture même. Le ton est nu, quasiment clinique malgré la ritournelle du souvenir (le perroquet qu'il a fallu sacrifier pour ne pas mourir de faim, le lit confortable de monsieur Tomás alors qu'on couche sur des rondins perclus de nœuds...) Le style est dépouillé à l'extrême, ponctué de rares dialogues lapidaires en suspens, de grognements répétés comme se répète la misère (han ! han ! hum ! hum ! bien ! bien ! quoi ? quoi ? enfer ! enfer !). Une bête ne parle pas. Une bête crie, donne des coups de pied ou, soumise même quand se présente l'occasion de la revanche, courbe l'échine pour en recevoir...
Fabiano dit qu'il est comme une bête. S'insurge. Rêve qu'il se révoltera contre les soldats jaunes, les commerçants voleurs, les patrons affameurs, le monde entier. Dit qu'il est un homme. Oui. Oui. Un homme fort et rapide à manier son coutelas. Séducteur en plus. Il faut le voir sur un cheval à dompter, si beau si fier. Sa femme Vitória le sait, s'en souvient. Ô combien ! Puis, plus direct, terrassé par le mépris dont lui-même se dévore : "Je suis une bête." Ses talons crevassés ont durci comme les sabots des chèvres. Ses ongles sont des griffes pour atteindre l'eau sous le sable du fleuve à sec. Ses émotions et ses pensées minent jusqu'au sang son monologue intérieur. Font écho à celles de la chienne Baleine qui devient au fil du récit un personnage plus humain que les humains.Résultat de recherche d'images pour "graciliano ramos vidas secas"
Graciliano Ramos, écrivain engagé et proche des idées communistes, (il deviendra membre du parti), a publié Vies arides en 1938, après avoir connu les geôles de la dictature fasciste. Son roman a paru une première fois aux éditions Gallimard en 1964 sous le titre de Sécheresse (à mon avis préférable). La version dont je fais part a été traduite par Mathieu Dosse pour le compte des éditions Chandeigne en 2014. Une préface de Michel Riaudel l'accompagne ainsi qu'un glossaire sur la flore du Nordeste.

Lisez ce roman considéré comme l'une des œuvres majeures du XXème siècle.

Image https://thefondreader.wordpress.com

dimanche 27 novembre 2016

La revue 17 secondes, N° 8

J'aime les revues qui entrent tout de go dans le vif du texte. Sans glose de patins ni de couffins. Ainsi en est-il de 17 secondes, revue de poésie contemporaine dirigée par Jérôme Pergolesi et Alexane Pointillon.
De format carré, au papier velouté pour mieux accueillir les illustrations, voilà un ensemble choisi sur le bref dans tous ses états. Le bref des choses telles qu'elles apparaissent. Le bref entrevu des paysages et des pensées, des désirs avouables ou pas.
Soixante-deux poètes et illustrateurs contribuent à cette huitième livraison annuelle. Le lecteur se réjouira des proses à flux tendu parfois déstructurées de Derek Munn et de Sophie Nicol. Il appréciera les souffles proches du haïku de Harry Szpilmann, Flora Botta ou Arthur Catherin. Il saluera l'humilité de Thierry Radière qui [ne parvient pas à redresser les mots au bon moment] et sourira de l'inquiétude de Laurine Roux [qui n'a même pas de rouge à lèvres alors qu'un grand bandit pourrait débarquer]...
Parmi bien d'autres curiosités minuscules de Sophie Brassart, Brigitte Giraud, Erick Jonquière et Marianne Desroziers... les images, photos ou dessins, peintures, tissent des résonances aux échos fragiles qui se propagent jusque dans les blancs des poèmes. 
Citons les paysages crépusculaires d'Esther Salmona, les toiles au mouvement orange et gris de Philippe Agostini, l'univers oppressant d'Adèle Nègre, les montages fracturés de Thierry Augé, sans oublier les "danseuses" au bord de l'effacement d'Olivia Del Proposto ni, bien sûr, les créations absolument originales de Jérôme Pergolesi.

Extraits :

Suspension des souffles
dans le jour qui grince.
L'on se réveille l'un
dans l'autre. Exténués 
par nos ombres. (Flora Botta)

le ciel rose est une tartine
de confiture à l'orange
qu'aurait perdu la notion
des couleurs devant mon appétit
d'homme attiré par les correspondances (Thierry Radière)

Nous prenons des chemins
où chaque fleur est un paysage en attente
une poudrière
Ton souffle les éparpille jusqu'à la serre
somnolente - bruit blanc (Jérôme Pergolesi)

L'automne joue
avec les ombres
mes pensées volages
se pavanent 
devant la glace
en robe légère
je ne peux soustraire
à ma mélancolie
l'enfant muet
confiné
dans l'ambre (Lydia Padellec)Résultat de recherche d'images pour "revue 17 secondes"

La revue 17 secondes est disponible à l'adresse suivante et coûte, c'est logique, 17 euros : revue17secondes.blogspot.fr

Image thebookedition.com