lundi 12 février 2018

L'enfance encore vient déranger

Résultat de recherche d'images pour "salvador dali miroir"L'enfance encore vient déranger le silence. On ne sait pas s'en prémunir. On regarde comme au théâtre le défilé des souvenirs. A-t-on vraiment joué dans cette pièce ? L'a-t-on seulement regardée depuis des coulisses ? On a eu cinq ans puis dix ans. On a en soixante-deux. Les paysages retouchés mentent un peu. La solitude était déjà là, dans le sang. Des brassées d'oiseaux traversaient le ciel et les brumes. Le vent dans les blés de juillet tenait d'étranges conciliabules et on avait peur. Et on prenait du plaisir à cette peur qui faisait vivre la peau. Les blés ont disparu de l'imagier. Le vent n'a que le seringat du jardin pour horizon. Les oiseaux volent par deux à ras de terre. On vieillit. Le corps ne remplit plus tout à fait le corps. La mort travaille le vide.

*

Il y a une semaine on traversait la ville la nuit. Les boulevards baignaient dans un jaune usé. Les abribus étaient déserts. Un long trait de jazz aurait pu suivre le trajet de la maison à l'hôpital. Tout allait bien. La mélancolie se tenait loin des regards et des chiens. Quelques trouées claires entre les nuages allégeaient le poids du ciel. L'accueil était prêt sous les lampes du bloc. Des écrans veillaient. Des lignes vertes couraient avec des lignes bleues. Des visages passaient. Des voix parlaient. Un ballet de bleu de vert de blanc. A-t-on inventé aussi un peu de rose sur le mur soudain ajouré d'un fenestron ? A-t-on rêvé la vie de l'anesthésiste qui venait de Lituanie ? A-t-on seulement pensé dans le passage au noir ?

*

Nettoyer. Désinfecter. Maintenir le corps propre. On épure les gestes. L'oeil cherche un raccourci dans les distances. La main effleure avant de prendre. Le temps au ralenti n'égare pas l'esprit. Un reflet pourtant, d'où vient-il, compose un visage au miroir. On s'arrête. On cherche l'équilibre de la pause. L'image a comme des impatiences dans ses bougés. Lumière du reflet contre lumière du tain. On manque de mouvement pour saisir les lignes. Le visage n'est pas sûr. Aucune langue ne viendra jusqu'à lui. On reprend le travail d'ablution qui paraît plus lent. La fatigue passe dans la peau. On s'est attardé au miroir sans nommer les contours. On a refusé de s'y reconnaître. A quoi bon ce vain combat ? Aurait-on besoin de souffrir davantage ?

(Merci à Salvador que j'ai tant aimé.)

samedi 27 janvier 2018

La compagne aimée demande

Résultat de recherche d'images pour "planches d'entomologie"La compagne aimée demande si la douleur n'est pas trop forte. Ses lèvres dessinent des papillons roses et butinent les calices du bouquet dans son vase. Il faudrait qu'il ait un col de cygne pour que l'image soit totalement sucrée. On sourit et la douleur reflue. On pense aux années déjà partagées, à celles qui viendront encore. Avec leurs mots pour épauler les corps. En attendant.

*

Le poète Joe Bousquet est resté alité de 1918 à 1950. On imagine mal l'insurrection de sa jeunesse fauchée par un fusil quelques mois avant la fin de la guerre. On ignore comment ont pu avoir lieu des accommodements raisonnables avec l'absurde. Les grandes douleurs sont-elles vraiment muettes ? Quel poète serait devenu Joe Bousquet si la tragédie avait surgi d'un autre hasard ? On passe avec cette question un moment filandreux. Qui épaissit l'esprit. Le corps aussi s'engourdit. On tirerait volontiers les rideaux dans la chambre. Que soient submergées toutes les ombres sous le lit et la peau ! Joe Bousquet aura souhaité cela parmi des milliers d'autres souhaits. Dans la colère. Dans la malédiction de toutes les boucheries humaines. Etre cloué à vingt ans comme un coléoptère sur une planche ! Puis dans quelque chose comme un apaisement nécessaire. Un apaisement qui ne s'est pas résigné. Qui a continué à faire vivre les restes du corps. Inexorablement.

*

On vide toutes les heures une poche remplie d'urine et de sang. On mire la couleur du liquide comme autrefois on mirait les oeufs fécondés. Piètre comparaison. Où se trouve la vie dans ce caillot qui glisse si mal le long du tuyau en silicone ? Et la mort, que trame-t-elle dans les plis les plus sombres ? On s'agace. On referme le robinet de la poche. On s'en retourne à la couche. Tout est calme dans la maison. Les objets restent à leur place d'objets, ne contrarient pas les gestes rétrécis. Le bouton d'un tiroir jette un ou deux éclats de nacre. La lampe du salon n'organise aucun mystère avec des ombres fausses. On tiendra jusqu'au soir sans les tromperies des questions. On saura faire respirer l'esprit au creux du ventre.

(Ces textes font partie d'un ensemble imprévu, qui a commencé à s'écrire le 11 janvier. Et voilà qu'ils sont déjà une cinquantaine. 
Autre chose, mon recueil Le long des embrasures paraîtra fin avril aux éditions du Cygne que je remercie.)

image entomocollection-blogspot.com

mercredi 24 janvier 2018

Dormir pour apprivoiser

Résultat de recherche d'images pour "bouteille d'eau"Dormir pour apprivoiser ce qui résiste dans le corps. L'oiseau idéal drainera les sanies et le ciel sera un drap bleu au réveil. Sourire. Tenir avec les mots les plus simples. On l'a deviné il y a longtemps. Un grain de plâtre tombé du mur nous l'aura dit mais c'est plus tard qu'on l'aura compris. En suivant le chat qui jouait à la feuille morte. Un jour de novembre. Etait-ce vraiment l'automne  dans la terre meuble du seringat ? Le vent avait-il quelque saute à murmurer dans les branches ? Et voilà retrouvé, dans le fil des questions, le souffle du sang. La nuit peut tomber.

*

C'est un dimanche de lumière sale. On se réfugie sous une couverture de laine rouge. Tout sera plus long. Laver le corps. Désinfecter le corps. Habiller le corps. Détendre l'esprit dans sa grande solitude. On guette un mouvement par la fenêtre trop immobile. Rien ne bouge et rien ne bruit. La vie aura quitté le monde. L'oiseau las, le chat taciturne se seront dégoûtés du silence. On s'amuse un moment de cette image d'animaux qui renoncent. On se souvient de la dissipation de la vie dans un roman italien. Un seul témoin pour dire l'effroi du vide mais à qui ? Le silence n'est d'aucun secours s'il est trop silencieux. Le corps se remet à geindre. Il faudrait se lever. Dresser la liste des gestes qui ouvriraient le chemin jusqu'au fruit sur la table du salon, jusqu'à la bouteille d'eau à remplir encore. Il faudrait cela dans la lumière sale. Et la paix viendrait dans le sang. Mais un volet qui grince recompose l'espace de la chambre. Tout sera plus long. Plus loin.

*

On pense peu aux grands souffrants qui résistent toute une vie. Leurs actes sont des leçons. Leurs paroles sont des leçons. Construisez votre joie comme nous construisons la nôtre, disent-elles. Oui. Bien sûr. On donnerait de la force à l'oiseau contre le vent. La lumière blesserait moins les yeux tristes. La douleur aurait l'aiguillon plus doux. Bien sûr. Et pourtant. Cette réticence qu'on a. Le dépassement de soi tresse des lauriers à la chaîne. Frappe des médailles sur la poitrine des valeureux. On n'est pas valeureux. On craint le sang qui s'épanche. On redoute les urines retenues dans la vessie. Et l'oiseau ne tient pas debout sur le muret du jardin. Il a peur. La pluie pourrait tomber. Une branche casser. Et ce serait l'aubaine du chat tendu vers sa proie. L'autre leçon du pire.

image lematin.ch

samedi 20 janvier 2018

Le corps dépose parfois l'esprit

Résultat de recherche d'images pour "sonde urinaire"Le corps dépose parfois l'esprit dans une grande solitude. Les pensées manquent de mots. Les traverses sont trop loin de la fatigue. Le ventre pèse où macère le sang noir. On veut vivre pourtant. Les yeux s'en vont vers les oiseaux qui croisent au large. La lumière s'avive sous l'allège dans la chambre. On retrouve là les signes perdus de l'enfance. Une bille de terre s'invente au creux d'une rainure. Les restes d'une clisse luisent sombrement au souvenir du grenier. Le ciel est bas soudain et l'oiseau n'est plus une promesse. On veut vivre pourtant. Eprouver le mouvement qui retient les plis contre la peau. Pour un peu on rirait des mièvreries qu'on envisage. Une ombre passe au bout des cils. Elle ne dessine aucune ramure sur fond d'azur. Elle ne dit pas que c'était beau quand on avait dix ans. C'est avec elle qu'on se tiendra tout le long du jour. Dans le répit des chairs. On est vivant.

*

On vit depuis deux jours appareillé d'un tuyau au bas du ventre. Le temps s'écoule moins vite que les humeurs. Les gestes cherchent la mesure la plus sûre. Pour que le repos vienne dans l'attirail du corps. On ferme les yeux. Les bruits de la maison montent par l'escalier comme le chat effaré. L'émail est plus lourd, la céramique plus légère. Un froissement de chiffon en barbouille l'écho. On ferme les yeux. On devine le visage inquiet de la compagne aimée. Elle regarde le jardin se lever dans le matin. Quel tri pourrait-elle faire parmi les ombres à partager ? On reste longtemps avec cette question du fardeau qui leste nos pas. On pleurerait presque. On se retient. Des rumeurs viennent de la rue, qui nous étonnent.Elles ne sont pas exactement de ce monde. Plus sourdes ou plus feutrées, on reconnaît mal ce qu'elles disent des hautes solitudes. On ferme les yeux.

*

La douleur passe dans toute la chair. Elle ne s'attarde pas autour des fibres. Elle est comme un instant de lumière blanche égarée dans la nuit. La fatigue retourne longuement cette image après qu'elle a passé. La mémoire sème le trouble dans les souvenirs qui bégaient. On ne sait plus trop quand l'enfance a vécu un semblable empêchement. On s'attarde au trait de lumière blanche. On rejoue le film lent d'une détresse. Les phares d'une voiture peinent à trouer le brouillard sur une route de campagne. Des peupliers trop penchés dérobent le chemin. Une femme crie dans la voiture. Sa main tremble sur un accoudoir. Un homme à côté d'elle cherche un refuge. Le film pourrait durer encore. La lumière serait plus coupante. Des nuées de bêtes rouges viendraient y conspirer. La douleur de nouveau là taille dans le ventre. L'homme ne dira rien.

dimanche 7 janvier 2018

Rémi Caritey, Les vertiges de la forêt

Résultat de recherche d'images pour "rémi caritey"Enfant, déjà, Rémi Caritey répondait à "l'appel de la forêt" dans ses Vosges natales. Adulte, la magie des arbres est toujours sa compagne. Depuis les racines fouissant les humus jusqu'aux plus hautes branches qu'il explore afin de prélever des graines destinées au reboisement.

Biologiste et botaniste, Rémi Caritey est dans le même temps poète, historien des mythes sylvestres et philosophe proche de l'Américain Thoreau. Ses pérégrinations dans les forêts de France font écho aux lenteurs africaines où murmurent les arbres à palabres. En solitaire ou en groupe très restreint, il escalade aussi bien le fromager que le chêne, écoute le petit peuple des insectes sous l'écorce et le cerf qui brame, recueille les mille et un langages des troncs et des houppiers. Parfois, tout en partageant le vin et les histoires, il "construit un feu" qui ajoute encore au mystère de la création.

Les vertiges de la forêt de Rémi Caritey, introduit par un long exergue de Claude Lévi-Strauss, est un livre ardent dans son humilité même. L'homme n'est qu'un maillon parmi d'autres dans le grand agencement de l'univers. Mais, il faut plus que jamais le rappeler, le plus redoutable des prédateurs. Tel arbre dans la savane peut se défendre si un koudou trop gourmand dévore tous ses fruits. Il ne peut rien en revanche contre les tronçonneuses des multinationales de la filière bois.
Un jour qui sait, n'en pouvant plus des humains, Rémi Caritey imitera l'un de ses héros favoris, le baron perché d'Italo Calvino : il ne descendra plus de son arbre. C'est un bel endroit pour donner des leçons de sciences et de philosophie. Sur la longévité fragile de l'olivier ou du baobab. Sur les frémissements  de la lumière et des ombres éparpillées parmi les branches. Sur le visible et son revers à deviner.

Extrait :

" Un souffle sur les cimes et me voici fourmi rivée à un brin d'herbe. La futaie ondule en balancements lents et décalés. L'arbre exprime ici sa capacité d'abandon aux caprices du vent, et sa confiance ultime dans la force de cohésion du groupe. J'aimerais entendre ce qui se passe au coeur du bois, les frictions micrométriques de chacune des fibres lignifiées dont les chaînes s'étirent et se contractent. Mais à vif, au contact de l'écorce, le message est physique : l'arbre se joue de mon poids. Je me grise de l'ondulation puissante, de la souplesse organique du tronc, comme agrippé au col d'un troll endormi, dodelinant d'un sommeil antique. "

Le lecteur appréciera ici le subtil mélange des notations scientifiques et des envolées poétiques ancrées à la cohorte des siècles. Des souvenirs lui viendront des lectures de Reclus et de Thoreau, accompagnés d'un peu de joie pour accomplir les besognes du jour.

Les vertiges de la forêt, sous-titrés "Petite déclaration d'amour aux mousses, aux fougères et aux arbres" est publié par les éditions Transboréal dans la collection "Petite philosophie du voyage". Il coûte 8 €.

image transboreal.fr


jeudi 4 janvier 2018

Jim Harrison, Nord-Michigan

Résultat de recherche d'images pour "nord michigan harrison"Joseph, fils d'immigrés suédois et estropié, enseigne sans conviction dans une école du Michigan. Il occupe son temps libre aux travaux de la ferme familiale mais préfère la pêche comme son père prématurément décédé. Il boit beaucoup aussi, en compagnie du médecin de famille, philosophe désenchanté. Il lit ses poètes préférés, Withman et Keats, écoute de la musique classique et répare obstinément le vieux cuir d'une vieille selle. Depuis plus de vingt ans, il a une liaison amoureuse avec sa collègue Rosealee. Une liaison trop tranquille. Qui finira par un mariage mais quand ?

L'irruption de Catherine dans le train train de Joseph chamboule tout. Elle est son élève, n'a que dix-sept ans et un corps de rêve. Elle aime faire l'amour dans toutes les positions et toutes les circonstances. Danger. Grand danger. La société rurale des années cinquante n'est pas portée sur la gaudriole, a fortiori avec des mineures. Tôt ou tard, les frasques de Joseph seront connues de tous... Danger. Grand danger.

Sachant que la mère de Jim Harrison était d'origine suédoise et que son père travaillait dans le domaine agricole, le lecteur peut deviner dans Nord-Michigan de nombreux éléments autobiographiques. La mort d'une jeune soeur notamment. Il appréciera aussi les descriptions de paysages giboyeux, les scènes de genre à la taverne ou à la chasse, les évocations de la guerre en Corée, les espoirs de vie meilleure après les privations de la crise économique.

Du bon Harrison. Disponible en 10/18.

dimanche 17 décembre 2017

Mario Rigoni Stern, Les saisons de Giacomo

Résultat de recherche d'images pour "les saisons de giacomo"Lire et relire Mario Rigoni Stern est toujours un enchantement. Dans Les saisons de Giacomo, il évoque la vie laborieuse d'un village de haute montagne en Vénétie pendant les années trente. Giacomo et sa mère récupèrent les métaux enfouis dans le sol depuis la fin de la Grande guerre, cependant que le père travaille en France pour améliorer, un peu, l'ordinaire à son retour. Le cuivre, particulièrement recherché, rapporte jusqu'à deux lires le kilo. Les cartouches, quand elles sont intactes et en nombre suffisant, constituent un gain appréciable. 
Souvent, autour d'un squelette, (et ils sont nombreux), un reste de vareuse ou un brodequin hors d'usage apparaissent. Plus rarement un médaillon, une montre. Les mines des récupérateurs se font plus graves. Des morts en souvenir. Des morts à venir. Une autre guerre se prépare, vingt ans à peine après la première. Giacomo, tout juste sorti de l'adolescence, y survivra-t-il ? Que deviendra Irene, son amoureuse, occupée à constituer petit à petit son trousseau de mariage ?
Mario Rigoni Stern, "documentariste" autant que romancier, décrit précisément les travaux des montagnards et leur gain, la construction d'un monument à la gloire des soldats morts au combat (et du Duce), les beautés des paysages sous la neige ou le chant du coucou lorsque le printemps reverdit. Il détaille aussi les ramifications administratives de l'Etat fasciste et son emprise sur les esprits dès l'école dont les enseignants en uniforme organisent des marches au pas de l'oie.
Primo Levi déclarait que "le fait que Mario Rigoni Stern existe est en soi miraculeux". Paolo Cognetti auteur de Les Huit montagnes lui voue une admiration sans bornes. Nous ne doutons pas, en effet, du caractère universel de cette oeuvre qui témoigne de l'humilité des hommes devant les fracas de l'Histoire avec sa grande hache.
Les saisons de Giacomo de Mario Rigoni Stern sont disponibles en Pavillons poche des éditions Robert Laffont pour la somme de 8, 50 €. Notons également que les belles éditions de La fosse aux ours ont récemment republié ses recueils de nouvelles.

image laffont.fr

mercredi 13 décembre 2017

Ecrivains, qu'avez-vous appris à l'école ?

Ci-dessous, une liste d'écrivains français et francophones du XXème siècle à aujourd'hui avec les études qu'ils ont faites, ou pas, avant de commencer ou de poursuivre leur oeuvre. La plupart des grands auteurs y figurent et cela dans tous les genres (roman, nouvelle, poésie, théâtre, essai). L'absence de certains s'explique par le manque de détails biographiques sur Internet (Edmond Jabès par exemple), ou par un oubli de ma part (Annie Saumont par exemple). Ne souhaitant pas dresser de barrière entre littérature savante et littérature populaire, des romanciers de science-fiction et de polar côtoient les oeuvres les plus prestigieuses de la littérature dite blanche. En revanche, j'ai banni de cette liste les machines industrielles que sont les inusables Musso, Pancol et autres Lévy...

Cette micro recension n'a aucune prétention scientifique et le lecteur l'interprétera comme bon lui semblera. La présence de 28 autodidactes (sur 200 auteurs) dans cette liste m'oblige cependant à préciser ce que j'entends par "autodidacte". Je comprends le terme au sens sociologique le plus large. Quelqu'un qui fait des études secondaires médiocres et obtient son bac au rattrapage voire l'année suivante peut être considéré comme autodidacte s'il ne poursuit aucunes études supérieures. Des écrivains aussi admirés que Camus ou Gide, du fait de parcours tourmentés avec de longues interruptions, pourraient être considérés comme autodidactes. Bien sûr, être autodidacte n'empêche nullement de briller dans tel ou tel domaine scolaire. Georges Simenon, comme un certain Rimbaud, était un excellent élève mais il ne supportait pas les contraintes de l'institution éducative. Il est loin d'être un cas isolé. Patrick Modiano s'est inscrit en études de lettres mais n'aurait assisté à aucun cours. Il me semble enfin important d'évoquer l'environnement culturel de ces autodidactes. Certains, comme Marguerite Yourcenar, bénéficiaient dans leur entourage immédiat de "leçons" au plus haut niveau, en feuilletant les ouvrages de la bibliothèque familiale avec le père ou la mère. Les rencontres, fortuites ou suscitées à l'adolescence, d'aînés ayant réussi "dans la carrière des lettres", ont largement favorisé l'éclosion de talents précoces.

Amusez-vous à butiner dans ces parcours parfois surprenants. Claude Simon aurait-il été le même Claude Simon s'il n'avait pas étudié et exercé la viticulture ? Frédéric Beigbeder se serait-il avéré meilleur écrivain s'il n'avait pas étudié le marketing ? Ce qui pose la question de la prise en compte ou non de la biographie dans l'approche d'une oeuvre...Vous noterez enfin une importante représentation des études de droit et de sciences politiques. Sans doute restent-elles la voie royale pour réussir dans les milieux les plus aisés... "Passe ton droit d'abord ; tu écriras ensuite."









Andrevon Jean-Pierre : études d'arts décoratifs
Angot Christine : études d'anglais et de droit
Annocque Philippe : études de lettres (agrégation)
Apollinaire Guillaume : autodidacte
Aragon Louis : études de médecine
Artaud Antonin : autodidacte
Audeguy Stéphane : études d'arts plastiques et de cinéma
Audiberti Jacques : autodidacte
Avon Sophie : études d'art dramatique (cours Florent)
Barbery Muriel : études de philosophie (agrégation)
Barjavel René : autodidacte
Baroche Christiane : études d'ingénieur (Institut Curie)
Barthes Roland : études de lettres, grammaire et philologie
Bataille Georges : études de théologie et d'histoire
Beck Beatrix : études de droit
Beckett Samuel : études de lettres françaises, anglaises et italiennes
Beigbeder Frédéric : études de sciences politiques et de marketing-publicité
Belletto René : études de lettres
Ben Jelloun Tahar : études de philosophie et de psychologie
Bens Jacques : études de zoologie
Benson Stéphanie : études de psychologie et de russe
Bergounioux Pierre : études de lettres (agrégation)
Biga Daniel : études d'arts plastiques
Blanchot Maurice : études de philosophie et de médecine
Bobin Christian : études de philosophie
Bon François : études d'ingénieur mais n'obtient pas son diplôme
Bordage Pierre : études de lettres (échec à la maîtrise)
Bosco Henri : études de lettres, de musique et d'italien (agrégation)
Bouraoui Nina : études de philosophie et de droit
Bouvier Nicolas : études d'histoire, de sanskrit et de droit
Breton André : études de physique, chimie et sciences naturelles
Brussolo Serge : études de lettres et de psychologie
Bonnefoy Yves : études de mathématiques et de philosophie
Butor Michel : études de lettres et de philosophie
Caillois Roger : études de lettres et de grammaire (agrégation)
Calaferte Louis : autodidacte
Camus Albert : études chaotiques pour cause de maladie
Carco Francis : autodidacte
Carrère Emmanuel : études de sciences politiques
Caster Sylvie : études de journalisme et sciences politiques
Cavanna François : autodidacte
Céline Louis-Ferdinand : études de médecine
Cendrars Blaise : études de médecine
Césaire Aimé : études de lettres
Chardonne Jacques : études de droit et de sciences politiques
Chedid Andrée : études de journalisme
Chessex Jacques : études de lettres
Chevillard Eric : études de journalisme
Cioran Emil : études de philosophie
Claudel Paul : études de droit
Claudel Philippe : études de lettres (agrégation)
Clément Catherine : études de philosophie (agrégation)
Cohen Albert : études de droit
Condé Maryse : études d'anglais
Crevel René : études de lettres et de droit
Curval Philippe : autodidacte
Cusset Catherine : études de lettres (agrégation)
Daeninckx Didier : agrégation
Darrieussecq Marie : études de lettres (agrégation)
Deck Julia : études de lettres
Delaume Chloé : études de lettres
Delvaille Bernard : études de sciences politiques
Déon Michel : études de droit
Depussé Marie : études de lettres (agrégation)
Desbordes Michèle : études de lettres
Desnos Robert : autodidacte
Dhôtel André : études de philosophie
Didier Marie : études de médecine
Djian Philippe : études de journalisme
Dorgelès Roland : études d'architecture
Dubois Jean-Paul : études de sociologie
Dugain Marc : études de sciences politiques et de comptabilité
Duhamel Georges : études de médecine
Dupin Jacques : études de droit
Duras Marguerite : études de droit et sciences politiques
Emaz Antoine : études de lettres
Echenoz Jean : études de sociologie
Enard Mathias : études à l'Ecole du Louvre, d'arabe et de persan
Faye Estelle : études de théâtre
Ferney Alice : études de sciences économiques
Forêts Louis-René des : études de droit et de sciences politiques
Gary Romain : études de droit et préparation militaire
Gaudé Laurent : études de lettres
Genet Jean : autodidacte
Germain Sylvie : études de philosophie (avec Levinas)
Gide André : études chaotiques pour cause de maladie, bac philosophie
Giesbert Franz Olivier : études de droit et de journalisme
Giono Jean : autodidacte
Giovannoni Jean-Louis : études d'assistant social
Giraudoux : études de lettres et d'allemand
Glissant Edouard : études de philosophie (avec Bachelard)
Goffette Guy : études d'instituteur
Gracq Julien : études de philosophie, sciences politiques, histoire et géographie
Grainville Patrick : études de lettres (agrégation)
Granotier Sylvie : études de lettres et d'art dramatique
Grosjean Jean : études de théologie (prêtre)
Guitry Sacha : autodidacte
Holder Eric : autodidacte
Houellebecq Michel : études d'agronomie et de photographie
Huston Nancy : études en sciences sociales (avec Barthes)
Izzo Jean-Claude : autodidacte
Jaccottet Philippe : études de lettres
Jacob Max : études de droit
Jardin Alexandre : études de sciences politiques
Jauffré Régis : études de philosophie
Jenni Alexis : études de SVT (agrégation)
Jonquet Thierry : études de philosophie et d'ergothérapie
Jourde Pierre : études de lettres (agrégation)
Juliet Charles : études de médecine
Kérangal Maylis de : études d'histoire, de philosophie et d'ethnologie
Khadra Yasmina : études militaires interarmes
Koltès Bernard-Marie : autodidacte
Kundera Milan : études de lettres et d'esthétique
Lainé Pascal : études de philosophie (agrégation)
Lamarche Caroline : études de philologie romane
Lambrichs Louise : études de philosophie
Larbaud Valéry : études de lettres
Laurens Camille : études de lettres (agrégation)
Léautaud Paul : autodidacte
Le Clézio Jean-Marie Gustave : études de lettres, histoire et langues rares
Leduc Violette : autodidacte
Leiris Michel : études de philosophie et de chimie (abandonnées)
Lépront Catherine : études d'infirmière
Leroux Gaston : études de droit
Loti Pierre : études militaires (école Navale)
Louis Edouard : études d'histoire, philosophie et sciences sociales
Mabanckou Alain : études de droit
Maillet Antonine : études d'arts plastiques
Malet Léo : autodidacte
Malraux André : autodidacte (même pas le bac)
Manchette Jean-Patrick : autodidacte
Martin du Gard Roger : études de paléographie
Mauriac François : études de lettres
Mauvignier Laurent : études d'arts plastiques
Merle Robert : études de philosophie, lettres et anglais (agrégation)
Metz Thierry : autodidacte
Michaux Henri : abandon des études de médecine
Michon Pierre : études de lettres
Mingarelli Hubert : autodidacte (engagement dans la marine)
Modiano Patrick : études de lettres mais n'assiste à aucun cours
Moix Yann : études de commerce, philosophie et sciences politiques
Nothomb Amélie : études de droit et de philologie (agrégation)
Olmi Véronique : études d'art dramatique
Ormesson Jean d' : études de lettres histoire et philosophie (agrégation)
Ovaldé Véronique : études de lettres
Pagano Emmanuelle : études d'arts plastiques et de cinéma
Pagnol Marcel : études de lettres et d'anglais
Pancrazi Jean-Noël : études de lettres (agrégation)
Paulhan Jean : études de psychologie et de langue malgache
Pautrel Marc : études de droit
Pennac Daniel : études de lettres
Perec Georges : études de lettres
Perros Georges : études de piano et d'art dramatique
Picouly Daniel : études de comptabilité, droit et économie
Pinget Robert : études de droit
Pirotte Jean-Claude : études de lettres et de droit
Ponge Francis : études de philosophie (échec à la licence)
Pontalis Jean-Bertrand : études de philosophie (agrégation)
Prévert Jacques : autodidacte
Prigent Christian : études de lettres
Proust Marcel : études de sciences politiques et de philosophie (avec Bergson)
Queffélec Yann : études de navigation à voile
Quignard Pascal : études de philosophie
Rahmy Philippe : études d"égyptologie et de médecine
Réza Yasmina : études de théâtre et de sociologie
Robbe Grillet Alain : études d'agronomie
Rodanski Stanislas : autodidacte
Rolland Romain : études d'histoire (agrégation)
Romains Jules : études de philosophie (agrégation)
Rouaud Jean : études de lettres
Roubaud Jacques : études de mathématiques et de lettres
Roux Annelise : études de sciences politiques, histoire de l'art et ethnologie
Rouzeau Valérie : études de lettres
Sabatier Robert : autodidacte
Sagan Françoise : autodidacte
Saint-Exupéry Antoine (de) : études d'arts plastiques et d'architecture
Saint-John Perse : études de droit
Sallenave Danièle : études de lettres (agrégation)
Salvayre Lydie : études de lettres et de médecine (psychiatre)
Sansal Boualem : études d'ingénieur et d'économie
Sarraute Nathalie : études d'anglais, histoire, sociologie et droit
Sarrazin Albertine : études chaotiques pour cause de maladie
Sartre Jean-Paul : études de philosophie (agrégation)
Schneck Colombe : études de droit et de sciences politiques
Senghor Sédar Léopold : études de lettres et de grammaire (agrégation)
Serena Jacques : études d'arts plastiques
Simenon Georges : autodidacte
Siméon Jean-Pierre : études de lettres (agrégation)
Simon Claude : études de peinture et viticulture
Simonin Albert : autodidacte
Sollers Philippe : études de sciences économiques et de lettres
Supervielle Jules : études de lettres
Tesson Sylvain : études de géographie et de géopolitique
Valéry Paul : études de droit
Vautrin Jean : études de lettres et de cinéma
Vian Boris : études d'ingénieur (Centrale)
Vigan Delphine de : études de sciences de l'information et de la communication
Weyergans François : études de cinéma (IDHEC)
Wiasemsky Anne : études de philosophie (avec Francis Jeanson)
Yourcenar Marguerite : autodidacte        

samedi 9 décembre 2017

On a perdu aussi le chemin des fossés

Résultat de recherche d'images pour "oiseaux en vol"On a perdu aussi le chemin des fossés. Ils ne disent plus rien des enfances croupies. Il faudrait prendre les oiseaux de vitesse, secouer les rires alanguis de nos dix ans autour des margelles où l'ennui gauchissait la lumière. Inventer des idées de voyage dans le miroir de l'eau. Son visage arrêté. Des souvenirs de mantes encore sous l'horizon des coteaux. Leur attente dans l'herbe couchée, des lames au fond des yeux. Comment fuir quand le ciel même se dérobait ? En quel repli de soi découvrir un refuge ? Parfois, dans les contrebas du chemin, une silhouette passait sans me voir et mes gestes restaient coupés. Cette image-là toujours, que mes mots font durer.
Il reste beaucoup à traverser de soi jusqu'au soir, beaucoup à apprivoiser des faux silences.
L'herbe fait des faux plis dans la lumière. L'air couvera bientôt les braises du jour. Mon cœur se serre. Mon sang est une poix, le nuage du sable dans ma bouche. « Tu seras bientôt conscient d'une absence qui grandira près de toi comme un arbre ». L'absence du père disparu en des sables lointains, gorge tranchée. L'absence de la mère au ventre trop fiévreux. Fardeau de l'ormeau mort qu'on n'a pu essoucher, des gestes coupés avant le premier souffle. On y creuse avec des mots sans élan.
On attendra la mort pour grandir.
J'invente dans la marche des mémoires d'avant moi, des ombres penchées sur des silences, des bouches fermées contre des puits.  Un chien jaune y tourne et s'hypnotise. Les mots de ma mère ont trop manqué de gestes. La lumière ne fixe pas les marges du chemin. Aucune mémoire ne m'appartiendra jamais. Les heures vides se sont assourdies. La fatigue n'entend plus ni les feuilles ni l'eau, tous les corps s’égarent dans des traverses.

On reste comme un point sur une ligne sans fuite, on ne cherche aucun lieu sûr

image pixabay.com

vendredi 8 décembre 2017

Jean-Baptiste Pedini, Trouver refuge

Résultat de recherche d'images pour "trouver refuge pedini"Une sourde inquiétude traverse les paysages de l'arpenteur Jean-Baptiste Pedini dans son dernier recueil Trouver refuge. Le pas se fait lourd dans la glaise même si la vie est à peu près légère. Une peur pourrait venir. Elle vient. Et le silence comme une peau a d'étranges étirements.
Rien ne tonitrue dans la langue de Pedini. La mélancolie va à bas bruit avec l'enfance sur le dos. Celle qu'on a portée et porte encore. Celle qui nous prolonge. Mais on ne renonce à rien dans la marche des jours. Le refuge se trouve là où le veut la volonté en sa lucidité. "On fait avec ce qu'il reste", écrit l'arpenteur, "au chevet des souvenirs".
A l'égal de celle de Thierry Metz, la poésie de Pedini nous émeut par sa simplicité nue. Aucune tricherie dans ses notations souvent lapidaires qui dressent le constat du réel. Et c'est toute la vérité friable et puissante de l'humain qui nous apparaît. De là, peut-être, vient le vertige du lecteur, dans cette transparence à la limite du soutenable, avec tout ce tragique en embuscade, comme une bête ou un grain de poussière. "On ne sait pas ce qui coince."

Extraits :

Délier le paysage. Si l'angoisse de vivre tient. Si le désir s'étiole, on peut se contenter d'en picorer les miettes. Un rejet curieusement seul dans les branches du cerisier. Une langue sèche au fond du puits. Les paniques en fleurs. Et les ronces dedans. Et la fragilité des pierres.
On peut s'en contenter. Faire des fenêtres un temps mort.

*

Tant de regards pour rien. Tant de paysages rétrécis pour contenir la peur. Ecouler le peu de chaleur qui subsiste au-delà. Pour faire face peut-être.
Ici on manque d'air. Les champs gonflés d'obscurité remuent tout doucement. Une impression froisse les mots. On recule sans cesse les contours maigres de l'absence, mais ça ne change rien. 
La nuit au fond des yeux reste entière.

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Trouver refuge de Jean-Baptiste Pedini, préfacé par Jean-Claude Dubois, est publié aux prestigieuses éditions Cheyne. 17 €.