mercredi 18 avril 2018

Réaménagez vos combles pour huit euros, 1

Résultat de recherche d'images pour "bétaillère"Comme d'aucuns le savent, j'ai auto publié mon roman La tentation des combles sur la plateforme numérique du groupe Kobo. Le prix est modique, huit euros, mais l'ouvrage n'a aucune visibilité car il figure sur le site parmi des centaines de milliers d'autres. De plus, mon lectorat est davantage habitué à lire sur papier que sur écran. C'est aussi mon cas même si je possède une liseuse. N'ayant vendu en trois semaines que trois exemplaires, (je connais les noms des acheteurs !), je me résigne à faire un peu de publicité en vous offrant cet extrait dit de la bétaillère :

Je serais bien incapable de dire en quelle année j'ai rencontré Catherine tant j'ai l'impression de l'avoir toujours connue. Avais-je déjà, à cette époque, commencé à espionner mes voisins avec des jumelles ? Je n'en sais rien non plus. Je garde en revanche un souvenir précis de l'endroit et des circonstances. J'avais décidé d'aller à M***, une station balnéaire où le tapage était presque supportable, pour me promener au bord de la mer. Je n'étais pas spécialement attiré par les houles océanes, je détestais les baigneurs transformés en sardines à l'huile, les joueurs de frisbee et leurs bonds ridicules,  mais j'aimais voir bouger la ligne d'horizon. Ses rapprochements, ses éloignements au hasard de la marche me procuraient une inexplicable sensation de paix intérieure.
         Pendant longtemps j'ai roulé derrière une bétaillère qui transportait des cochons. Véhicule poussif. Route sinueuse et bande médiane effacée. Bas-côtés trop sablonneux. Il m'était impossible de doubler sans risque. Les animaux semblaient dormir debout. Leurs têtes avaient les tressautements réguliers des jouets mécaniques. La bétaillère exhalait un énorme nuage de fumée et mon pare-brise se recouvrait de particules charbonneuses. Les essuie-glaces de la voiture, même avec le soutien d'un liquide savonneux qui fleurait bon la fraise des bois, peinaient à les balayer. J'aurais dû m'arrêter car mon champ visuel rétrécissait dangereusement. Mais quelque chose en moi souhaitait rester en contact avec ces cochons qui dodelinaient. Comme si la condition humaine et la condition porcine entretenaient depuis des temps immémoriaux une liaison secrète. Je me suis rapproché autant que j'ai pu de la bétaillère. J'ai essayé de fixer les yeux rouges d'un verrat qui venait de se réveiller. J'ai voulu surprendre le regard du chauffeur dans le rétroviseur, deviner en lui un rapport intime avec ses animaux. Quand j'ai abandonné cette question que le docteur Klamm aurait expédiée d'un trait sur un avion en papier, la bétaillère avait disparu.
Résultat de recherche d'images pour "blockhaus mimizan"         J'ai continué à rouler en fumant des cigarettes et en écoutant la radio. De vieilles chansons françaises diffusaient leur nostalgie de bastringue. Elles m'étourdissaient. Une fatigue sournoise montait en moi, s'agrippait à mon cou. Je me suis arrêté à une station-service pour boire un café et manger un sandwich. Mais il n'y avait ni café ni sandwichs. Seulement de la bière dont la mousse sentait l'éther. J'ai vidé deux canettes et j'ai repris la route encore plus étourdi. Le soleil commençait à cogner dur sur le paysage. Des villages, des silos à grains, des coupes de pins dans des sentiers forestiers ont défilé sans que je m'en aperçoive. Puis je suis arrivé à M***. J'ai garé la voiture sur le front de mer et j'ai couru vers les flots. Les touristes me regardaient un peu comme un extraterrestre. Je portais des souliers jaunes et des chaussettes noires en tire-bouchon sur mes chevilles. Ma chemise était boutonnée de travers et ses pans froissés grimaçaient sur mon pantalon trop large. Qu'importe ! La brise marine secouait ma torpeur. L'horizon dansait au loin et j'aimais ça. J'ai marché jusqu'aux rochers les plus proches, croisé quelques rondouillards à la peau rouge, des joueurs de volley et des joueurs de badminton tout aussi ridicules que les adeptes du frisbee, une chienne qui tirait sa langue toute bleue en rotant et je me suis assis sur la plus haute pierre. J'étais maintenant complètement réveillé. Mon cerveau avait retrouvé toute sa plasticité et j'ai repensé à la bétaillère. Les cochons partaient sans doute à l'abattoir. Ils n'avaient aucune conscience de leur fin prochaine. Et nous, me suis-je demandé ? Où se trouve l'abattoir vers lequel nous nous dirigeons ? Combien d'entre nous ont vraiment conscience de leur fin prochaine, une conscience aiguë qui transfigure leurs perceptions, leurs émotions, leurs actes ? J'ai observé des gens qui mangeaient des œufs trempés de mayonnaise, assis en rond autour d'une serviette. Ils n'étaient pas laids. Ils se tenaient sans s'avachir et leurs gestes étaient presque délicats quand ils portaient les victuailles à la bouche. Ils gardaient le contrôle de la mayonnaise qui gouttait parfois. Ils ne parlaient pas fort et leurs plaisanteries, même un peu lestes, restaient dans la limite de la décence. J'ai cependant pensé qu'ils étaient des porcs. Je les ai imaginés en train de faire l'amour, se grimpant dessus, se suçant dessous, dans une cacophonie de gloussements caoutchouteux. J'ai eu bien du mal à me retenir de rire. Il m'apparaissait que j'étais aussi animal qu'eux et c'est dans cet état inconfortable de la comparaison que j'ai rencontré Catherine.

image de blockhaus à Capbreton, non loin de M***. Ce détail du blockhaus a son importance.

mardi 17 avril 2018

L'imagination prend le pouvoir


Résultat de recherche d'images pour "mai 68 affiche" (Le samedi 26 mai à onze heures à la bibliothèque de Bacalan à Bordeaux, Brigitte Giraud (voix), Gérard Hello (guitare, accordéon), Marc Buffan (contrebasse), et moi-même (voix), donnerons une lecture théâtralisée de textes sur et autour des événements de mai 1968.  Nous espérons que vous serez nombreux à venir boire notre bouillon. Ci-dessous ce petit montage en guise d'apéro.)

La lutte des travailleurs et des étudiants qui est née dans la rue s’étend maintenant aux lieux de travail et aux pseudo-valeurs de la société de consommation.
Le théâtre, le cinéma, la peinture, la littérature sont devenus des industries accaparées  par une élite dans un but d’aliénation et de mercantilisme.
Aliénation. Aliénation.
Mercantilisme. Mercantilisme.
Sabotez l’industrie culturelle !
Réinventez la vie !
L’art, c’est vous !
On ne matraque pas l’imagination.
Le bourgeois n’est pas un ouvrier qui a réussi : c’est un état d’esprit. Le problème est de changer les structures profondes, être des gens qui pensent. L’ouvrier américain a un grand confort mais il ne pense pas.
Quoi qu’il arrive, la flamme de la révolution populaire ne doit s’éteindre et ne s’éteindra pas. Demain comme aujourd’hui nous parlerons.
On ne matraque pas l’imagination.
L’art c’est vous ! Vous ! Vous ! Vous ! Vous !
Réinventez la vie !
Demain comme aujourd’hui nous parlerons.
Le théâtre est devenu une industrie. Le cinéma est devenu une industrie. La peinture est devenue une industrie. La littérature est devenue une industrie.
Une industrie accaparée. Accaparée par une élite dans un but d’aliénation et de mercantilisme.
Résultat de recherche d'images pour "mai 68 affiche"La flamme de la révolution populaire ne s’éteindra pas.
Ne s’éteindra pas.
Ne s’éteindra pas.
Le bourgeois est un état d’esprit.
Les valeurs de la société de consommation sont des pseudo valeurs.
Pseudo valeurs.
Pseudo valeurs.
Pseudo.
Pseudo.
L’art c’est vous. Et vous ! Et vous ! Ici c’est vous ! Là c’est vous ! Aujourd’hui c’est vous. Demain c’est vous. Demain c’est maintenant. Aujourd’hui et demain partout.
Dans la rue et sur les places.
Dans les usines.
Dans les bureaux.
Dans les gares et dans les cafés.
Dans les théâtres.
Dans les amphithéâtres.
Dans les champs et dans les jardins.
Vous et personne d’autre. Ou que ce soit et quand que ce soit.
On ne matraque pas l’imagination.
On ne matraque pas.
Pas ! Pas ! Pas ! Pas ! Pas ! Pas ! Pas ! Pas !
L’imagination.
L’imagination.
Réinventez la vie !
Prenez le pouvoir !

(montage réalisé et augmenté à partir de paroles étudiantes et ouvrières au théâtre de l’Odéon en mai 1968)

linternaute.com
franceculture.com

dimanche 15 avril 2018

Un nouveau cadeau de Luciné

Résultat de recherche d'images pour "franco fontana"Luciné vit désormais à Pau avec sa famille car il n'y a plus de place dans les cadas* de la région bordelaise. Depuis peu, elle est accueillie dans un collège en classe de quatrième. Elle surprend ses professeurs par sa détermination à apprendre le français et se montre également douée en mathématiques. Nul doute que cette adolescente, si la demande d'asile est accordée à sa famille, réussira ses études et sa vie personnelle. Car Luciné a deux qualités fondamentales pour entrer dans tous les domaines de la connaissance : la curiosité et l'étonnement.

Résultat de recherche d'images pour "franco fontana"Je me souviens de sa visite chez nous avec son père et son oncle venus récupérer une table de camping. Les yeux de Luciné, tels des gyroscopes, ont balayé tous les murs de la maison avant de se transformer en regard. Les tableaux de Claude Bellan et d'Herta Lebk, ceux de Brigitte puis de quelques autres ont retenu son attention. Une tête de harpe égyptienne l'a particulièrement intéressée. Elle a posé des questions sur la matière de l'oeuvre et sa signification. Ensuite, elle a souhaité voir l'ouvrage d'art Terra da leggere du photographe Franco Fontana. J'ai lentement tourné les lourdes pages noires comme on ouvre les portes du buffet de Rimbaud. Luciné a suivi le mouvement des lignes des paysages et saisi le dépouillement de leur lecture. Elle a compris mes explications que son oncle lui traduisait. Et nous sentions que son intérêt était authentique.

Maintenant, et c'est un nouveau cadeau qu'elle s'offre et nous offre, elle lit et recopie sans faute ni rature mon recueil Dans la durée des oiseaux. Elle s'arrange pour le traduire en arménien (peut-être via le russe) afin de s'approcher au plus près du sens du texte.

Mille bravos, Luciné ! Brigitte et moi-même t'embrassons en cet avril prometteur.

cada : centre d'accueil des demandeurs d'asile
francofontanaphotographer.com

jeudi 29 mars 2018

L'image d'un coteau quand la lumière chavire


Résultat de recherche d'images pour "coteau"L'image d'un coteau quand la lumière chavire : l'enfant est seul sous l'arbre seul avec des mots sans suite. Et soudain monte le bruit des mantes comme un frisson d'échine. Aucun secours ne viendra de la fille aux tresses bleues en bas du chemin : elle fait des niches aux ronces et s’enivre de miel. L'effroi reste sans partage. L'oiseau s'est tu dans les plis du jardin. Une bête blanche rejoint l'ombre d'un caillou. L'enfant rit. Il va se consumer. Qu'a-t-il entendu du silence sous ses pas ? Comment s'en délivrer ? La fenêtre assombrit le plancher de sa chambre fermée ; un grain de plâtre tombera sur les poussières allongées près du lit et les ombres auront des charivaris. Je rassemble ici, entre chambre et coteau, mes enfances de berges et de margelles, de courtilières courant sous les humus, de corps figés dans la langue. Mais le cercle de la lampe se défait déjà. Le silence ne tient plus mes mémoires.
Les mots ont du sang sur mes lèvres.
Le regard ne tient plus dans la marche. Des plis de linge blanc traversent la mémoire. Il a fallu acharner sur eux le fer à chaud, oublier jusqu’à l’oubli des taches coupables. Le printemps porte l'aube des souvenirs quand sonnaient les beffrois et que l'enfance avait rétréci les gestes. L'arbre n'y pouvait rien dans sa relègue. Ses promesses étaient trompeuses dans le silence des dimanches raidis depuis toujours.
Il fallait boire jusqu'au fond du corps toute la lie.
Les oiseaux s'étaient couchés dans les guérets. Des sucs étranges pleuraient sous les écorces. Le ciel allait s'ouvrir et mes genoux tremblaient, ma peau prenait son mauvais grain des mauvais souvenirs. N'importe quoi pouvait surgir des taillis où crissaient les ronciers, courtilière noire et mante verte, nœud de serpent à mon cou.
Je n’ai plus dix ans depuis longtemps. Le silence reste à l’étroit sous les fenêtres du jardin.  L'herbe retient son souffle au passage des bêtes sans mémoire. L'oiseau se détourne encore du chant. J’ai fait trop de rêves trop rêches, mon corps s'est abruti si souvent comme une masse. Il faudrait courir dans le jour qui monte, adresser au ciel des élans et des joies, délivrer l'herbe et l'oiseau des signes trompeurs au fond des combes.
Le silence pourrait se déplier entre les peaux mortes. Les ombres n’auraient plus de faux bonds dans la marche. Un peu de paix s’écrirait dans les traverses du poème. Enfin.

La tentation des combles

Franchir le pas de l'auto édition numérique demande une longue réflexion préalable et l'abandon de tout orgueil. J'ai écrit mon roman La tentation des combles il y a dix ans. Un éditeur l'a trouvé intéressant mais trop artificiel à la fin. Une éditrice m'a proposé de densifier certains passages avant de le soumettre à sa direction éditoriale. Mon application n'a pas suffi. Une autre éditrice a trouvé que l'ensemble manquait de pathos malgré ses qualités évidentes. 
Bref, j'en ai conclu que ce roman ne laissait pas indifférents les quelques éditeurs qui ont bien voulu m'adresser leurs remarques.
Récemment, grâce aux conseils avisés d'une amie universitaire spécialisée dans la littérature espagnole, j'ai repris le texte. Il est plus nerveux, plus rapide. Tout en gardant son étrangeté et ses cocasseries.
J'espère qu'il saura vous plaire si vous ne redoutez pas la lecture sur écran. En voici la quatrième de couverture :

"Catherine n'a rien perdu de son franc-parler. Elle n'aime pas les cons et encore moins les porcs. Elle n'aime pas sa mère non plus mais c'est une autre histoire. Encore que. La femme trouvée morte sur la plage de M*** a peut-être un rapport avec les mères qu'on n'aime pas. Comment savoir ? L'enquête de la gendarmerie piétine.
J'espionne mes voisins, je pédale à toute vitesse dans mon réduit aménagé sous les combles, je fais un long voyage avec un oiseau pour essayer de comprendre ce qui a pu arriver. Mais je ne comprends rien à rien. Catherine est superbe dans sa robe à fleurs et le gris de ses yeux me subjugue mais elle ne m'aide pas. Quant aux méthodes du docteur Klamm, elles sont vraiment trop spéciales !"

Le roman est disponible sur le site de la librairie Kobo au prix de 8 €.

vendredi 16 mars 2018

Le cadeau de Luciné

Résultat de recherche d'images pour "mont ararat"La vie a parfois des sourires dont on devine qu'on les gardera toujours en soi. Dans un étonnement qui ravive la croyance en l'humain.

Luciné, quatorze ans, vient de quitter l'Arménie avec sa famille. L'horizon ne tient plus ses promesses à l'entour du mont Ararat. L'asile en France pourrait lui redonner des couleurs...
En attendant la décision des autorités administratives, Luciné ne perd pas ses journées à pianoter sur une tablette, ne s'abrutit pas de vidéos postées sur les réseaux sociaux.

Luciné lit de la poésie. Luciné lit Passage au bleu de Brigitte Giraud et recopie des extraits sur des feuilles qu'elle assemble avec des agrafes. Elle s'applique à bien former les lettres. Elle veille à ce qu'il n'y ait aucune faute. Puis, grâce à Internet, elle s'arrange pour traduire les textes en arménien, avec l'infinie patience des chercheurs d'or.

Je suis très ému quand Luciné me montre son travail. Par l'intermédiaire de sa tante qui parle français, nous parvenons à échanger autour de la poésie. Je mentionne Parouir Sevak et le visage de l'adolescente s'illumine. Elle prend conscience que traduire de la poésie est quasiment une mission impossible car, me dit-elle en joignant le geste à la parole, la poésie c'est dans la tête, c'est de l'intériorité. Rien n'est plus difficile à traduire que l'intériorité. Puis Luciné me confie qu'elle veut lire aussi mes livres. Plus tard, peut-être, elle écrira.

Il fait nuit quand je quitte Luciné et sa famille. Je ne sens pas la pluie brassée par les sautes du vent. Je ne vois pas les feux rouges et les feux verts qui dansent sur le pare-brise. Je pense au moment rare que je viens de vivre. Une jeune fille, Luciné, aime la poésie et apprend le français avec elle. C'est un cadeau. Un sourire de la vie. Quelques touches de bleu ouvrent l'horizon. L'espoir n'est pas qu'un brin de paille. Vive la poésie. Vive Luciné.

mont Ararat geo.fr

mardi 13 mars 2018

Jean Azarel, Trans' Hôtel Express

Résultat de recherche d'images pour "jean azarel"Jean Azarel aime les "lieux transitoires" que sont les hôtels. Minables ou cossus. Au bord des autoroutes ou nichés dans les beaux quartiers. Quand la nuit tombe et quand le jour se lève sur les masques fissurés de l'humanité souffrante. A tel point que la portion de confiture sous plastique devient un réconfort.
Dans Trans' Hôtel Express, l'auteur cherche à oublier son ami Jimbo, guérillero desdichado, et la belle danseuse Estrella dont les yeux mauves ne brilleront plus jamais. Il erre d'hôtel en hôtel sous toutes les latitudes du monde. Il ne s'agit pas de voyages mais de déplacements réels et imaginaires, hantés par des souvenirs réels et imaginaires. " Ma chambre était un bateau", écrit Jean Azarel dans son prologue péréquien.

En toile de fond défile la culture américaine des années soixante-dix et quatre-vingt. La voix de Nico et la mélancolie de Chet Baker traversent le blue velvet d'Isabella Rossellini. Le fils de William Burroughs, médecin, dénonce la beat generation décimée par les drogues dures et mettrait volontiers Lou Reed en prison pour apologie des shoots. Son père, cette "gloire de pacotille", n'échappe pas davantage à l'opprobre. 

Sur le devant de la scène, au Lux hôtel où Madeleine agonise comme au Lorraine Motel où Martin Luther King prend le frais, la même désespérance saisit le lecteur. Celle de l'alcool jusqu'au coma, de la drogue jusqu'à l'overdose, du sexe brutal et violent, des adolescentes déjà prostituées, des bagarres au couteau et des flics corrompus, de la saleté du sperme et du vomi, des ordures ménagères abandonnées au fond des arrière-cours.

L'oubli bien sûr est impossible. Comment être un survivant parmi tous les morts qu'on a chéris ? En se prenant, peut-être, pour un oiseau. Celui de Pessoa, "une trace dans le ciel qu'on nous promet par défaut". Et c'est ainsi que naît la [certitude que le réel est imaginaire].

Trans' Hôtel Express de Jean Azarel est publié par les éditions Tarmac. Il coûte 10 €. Accompagné de son CD, il coûte 14,50 €.

Photo de Louise Imagine

dimanche 11 mars 2018

Mathieu Brosseau, Chaos

Résultat de recherche d'images pour "Chaos de mathieu brosseau"Dans la pluralité des mondes et des durées, des espaces et des langues, des ventres, le Chorion est une "méduse en plein ciel, terrifiante et filandreuse, comme aspirante et ascendante, un trou marron et sanguin, organisme avaleur et recrachant de l'inconnu en plein ciel".
Cette vision placentaire/éjaculatoire qui s'est substituée au soleil est partagée depuis l'enfance par deux soeurs jumelles, La Folle et l'Aînée (de quelques secondes).
La Folle résiste tant bien que mal à la camisole chimique dans un hôpital psychiatrique et livre un grand combat aux chimères qui submergent son corps. L'Aînée, loin très loin de sa soeur (le lecteur comprendra pourquoi à la fin du livre...) résiste tant bien que mal à l'alcool qui la dévore et aux chimères qu'elle peint dans son appartement. 
Un interne en obstétrique, cette spécialité n'est pas un hasard, fait évader La Folle et voyage avec elle en train pour qu'elle retrouve sa soeur.

Cette histoire est très banale dans la pluralité des histoires qui tournent autour de la folie. Mais peu ont été écrites de façon aussi extrême dans l'intensité. Dire que le lecteur chancelle en s'enfonçant dans le Chaos gélatineux de Mathieu Brosseau n'est pas une métaphore. Et, une fois encore, voilà la preuve que la littérature c'est le style.
Les visions de l'auteur, fortement imprégnées d'obsessions animalières (insectes et batraciens, hamsters confondus avec des rats, arachnides, mollusques...) sont boschiennes, surréalistes, oniriques, psychédéliques, baroques voire rococo, science-fictionnelles et j'en passe, dans un flux organisé comme une partition. La langue, qui charrie la logorrhée jusqu'au coeur du bégaiement, éructe dans le corps autant que dans l'esprit. Le crépitement hoquetant des onomatopées (onomataupées dans les souterrains de la chair, du sexe ?) en atteste. Les noms des lieux traversés (La Ville, l'Autre Ville et la Villa des Collectionneurs, les Terres bleues, la Ville-Frontière, la Capitale du Grand Occident, le Mont dans le canton du Pays-des-Montagnes, le Pays-de-l'Autre-Côté-de-la-Mer) participent aussi du grand vertige dans la confusion du dehors et du dedans. 
Bref ! Laissez-vous déchirer sans plus attendre par ce roman dont le chaos  est en chacun de nous, prêt à jaillir comme un crapaud pour dépecer le monde.

Liste non exhaustive des onomatopées ou pouvant être considérées comme telles :
bwiz, zig, zaza, zwing, bwikz, squik, pruf, pouacre, tac, bwizz, urff, zwif, zgwig, pwiff, zgag, zouf, bigzig, clac, fleuff, kha, khik, klihk, kik, bling, bwaz...

Chaos de Mathieu Brosseau est publié par les éditions Quidam qui confirment avec ce roman leur parcours singulier. (18 €)