lundi 29 octobre 2018

Virginie Vandernotte dans Voleur de feu

La neuvième livraison des cahiers d'artiste Voleur de feu accueille sous format in quarto la plasticienne Virginie Vandernotte et mon texte Vos voix sur mon chemin. Mes lecteurs peuvent en découvrir des extraits ici même : La vie s'accorde à la lenteur du sang et L'image d'un coteau quand la lumière chavire dans la catégorie prose poétique.

Mais parlons de Virginie, ou, plutôt, laissons-la parler :
" Mon travail pictural se décline sur ces dernières années en une architecture onirique. Une proposition donnée au regardant pour entrer dans un parcours d'un autre type : le kaléidoscope fluide rêveur. La composition se fait par l'écriture du détail. Se glissent narration et symboles de l'humain."

Charles Dujour Bosquet, historien d'art, écrit ceci :
" Dépouillée de toute séduction discursive, purifiée de toute justification esthétisante, l'oeuvre de cette artiste se présente dans sa simplicité et sa pureté. Virginie Vandernotte compose avec des formes qui se transforment en autres formes tout en acquérant une stabilité qui donne à la structure une richesse de possibilités. Cela nous rappelle parfois les vues aériennes des champs ou la topographie à vol d'oiseau."

Quand les éditeurs William Mathieu et Edith Masson m'ont proposé de travailler avec Virginie Vandernotte, j'ai tout de suite été séduit par ses oeuvres abstraites (lyriques ou expressionnistes ; on dira comme on voudra) et la puissance de la couleur, les rouges et les verts notamment. Ses personnages et ses éléments de décor, qu'on pourrait croire naïfs au premier abord, savent également me parler.
Enfin, et ce n'est pas le moindre, j'ai ô combien apprécié la simplicité de Virginie lors de nos séances de travail. Je n'aurais rien pu faire avec une artiste pétrie de mauvais charabia conceptuel. 

Les oeuvres présentées ci-dessous (virginievandernotte.com) sont très différentes parfois les unes des autres. Elles témoignent de parcours divers, marqués par des voyages en Indonésie ou au Japon par exemple. Virginie Vandernotte a plusieurs veines dans son pinceau. Suivez-en les méandres.Résultat de recherche d'images pour "virginie vandernotte"
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Le site de Voleur de feu est en lien sur ce blog. Vous pouvez acquérir un exemplaire pour la somme de 25 euros. Prix totalement justifié par la qualité du papier et la reproduction très soignée des oeuvres. Les cahiers pliés étant détachables, il est possible de les mettre sous verre et voilà une bonne idée pour Noël approchant. Dernière précision : le tirage étant limité, il ne faut pas trop tarder.

mardi 9 octobre 2018

Lucien Ganiayre, L'orage et la loutre

Résultat de recherche d'images pour "l'orage et la loutre"1935. Jean des Bories rentre de la chasse avec son chien. Lequel découvre dans un fourré une source qui ressemble à un bassin artificiel. L'eau n'y a pas sa consistance habituelle. Sa "saveur est plate, morte, un peu comme de l'eau bouillie." Jean des Bories ne résiste pas au désir forcené de s'immerger dans cette source inconnue. Au même moment, un orage gronde sur la campagne. Au même moment, apparaît le souvenir de l'ami d'adolescence, Marescot et sa vie désormais parisienne, loin des paysages du Périgord.
Lorsque Jean des Bories revient à la surface du monde, son corps est pris de violents soubresauts. Le silence comme les bruits épouvantent les oiseaux. Quelle est cette étrange fixité qui métamorphose tout à l'entour ? Pourquoi les objets en métal s'effritent-ils dès qu'on les touche ?
"Ici, je veux tout raconter et n'expliquer rien.", écrit Lucien Ganiayre. C'est que, de retour au village où il est instituteur, Jean des Bories réalise qu'il est maintenant seul sur la Terre. L'humanité n'a pas disparu sans laisser de traces comme dans le roman Dissipatio de Guido Morselli. Elle est seulement figée dans le mouvement ordinaire de la vie, à la façon d'un vaste musée de figurines en cire. Cet arrêt sur images, cette suspension du souffle et du sang pétrifient le lecteur. Les descriptions de femmes à la toilette ou d'artisans stoppés net dans les gestes coutumiers du travail inventent un état intermédiaire dans le processus évolutif de l'espèce. Ce n'est plus la vie. Ce n'est pas encore totalement la mort. La preuve... mais chut ! point trop ne faut en dire...
Résultat de recherche d'images pour "lucien ganiayre"Jean des Bories, souvent terrorisé par les pulsations caverneuses de son corps et les innombrables délitements du réel, apprivoise tant bien que mal sa vie de Robinson. Les mots, par le biais de journaux retrouvés et Phèdre de Racine, lui évitent de sombrer tout à fait dans le naufrage de la raison. " Je possédais, avec mes sept journaux, mes revues et mes deux livres, cent quatre-vingt mille mots. J'étais leur maître. Je jouais d'eux. Ils peuplaient ma chambre et l'éclairaient de leurs feux dociles que j'allumais et éteignais à mon gré."
Jean des Bories rallume encore l'histoire de son amitié avec Georges Marescot, jeune lettré mal à l'aise dans son siècle, avec des postures élégantes à la Chateaubriand. Elle commence par une bagarre sous le préau de l'école supérieure. Une bagarre trouble, ambiguë dans la proximité des corps. Celui du citadin raffiné et celui du paysan rustaud.
L'instituteur décide alors de retrouver son ami. Il entreprend un long voyage à Paris en remontant la Dordogne jusqu'à l'estuaire, puis en longeant la côte Atlantique, puis en suivant les infinis méandres de la Seine. Chemin faisant, il fait la rencontre d'une loutre vivante à qui il ne manque que la parole pour partager les solitudes. Mais, chut encore ! Le lecteur saura bien assez tôt ce qui arrive.
De même qu'il saura bien assez tôt ce qui se passera dans l'immense fourmilière parisienne qu'il faut fouiller quasiment quartier par quartier. Avec les précautions d'usage. Un simple frôlement peut entraîner des catastrophes. Mais d'où vient cette ritournelle jouée au violon que croit entendre Jean des Bories ? Que se passe-t-il sur la péniche à quai, dont le pont est balayé par un marin immobile ?

L'orage et la loutre de Lucien Ganiayre est un roman rare par son étrangeté et la précision de sa construction. L'auscultation des corps livrés à tous les tumultes, proche d'un rapport de médecine légale, conduit le lecteur au bord de la suffocation. Les pages sur l'amitié taiseuse, forcément taiseuse, en opposition à l'amour forcément bavard avec ses serments sans cesse renouvelés, sont également d'une grande puissance. 
Le destin du livre, publié aux éditions du Seuil en 1973 sept ans après la mort de l'auteur et passé inaperçu, ajoute à l'admiration que quelques-uns lui portent. Les éditions de l'Ogre l'ont réédité en 2015. En espérant que cette perle à nulle autre pareille en son eau trouble connaîtra un avenir plus favorable. 

Ps : Sur ce thème de la disparition de l'humanité à la suite d'événements inexpliqués et racontée par un unique survivant, on notera aussi Le dernier monde de Céline Minard (Denoël puis Folio, 2009) et Le mur invisible de Marlen Haushofer (Actes Sud et Babel, 1985). 

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Portrait de Lucien Ganiayre

samedi 6 octobre 2018

Frédérique Germanaud, Journal pauvre

Résultat de recherche d'images pour "frederique germanaud"Le Journal pauvre de Frédérique Germanaud s'étend sur une année, de juillet 2015 à juin 2016. L'auteure prend un congé sabbatique  pour se consacrer à son écriture et approfondir sa maîtrise de la peinture. Après l'emploi salarié aliénant, l'apprentissage de "la vie pauvre" est un autre métier qui ne va pas sans fatigue. 
Entre cueillette de prunes sauvages et chaussettes trouées, migraines, névralgies maxillo-faciales et consultations anxieuses du compte en banque, Frédérique Germanaud procède aux dernières retouches de son roman Courir à l'aube, donne des lectures dans des bibliothèques ou anime des ateliers d'écriture autour "des objets de l'exil". 
Grande marcheuse parmi les paysages urbains et ruraux, elle arpente aussi les territoires littéraires qui lui sont chers : Antoine Emaz, Valérie Rouzeau, Françoise Ascal et Pascal Quignard parmi d'autres, dont Rick Bass, auteur du magistral Journal des cinq saisons.
Sept haïkus de Bashô jalonnent également ce journal intime et extime qui aborde sans excès théorique les grandes questions de la création, en arts comme en littérature.

Extraits :

Marcher, marcher, en utilité, méditation, création, thérapie. Récupérer, utiliser les objets jusqu'à ce qu'ils deviennent hors d'usage. Recycler, retaper. Ne pas gâcher la nourriture. Traverser la ville les poches vides. Entrer en fraude à la piscine. Nager au lac, à la rivière. Tailler le jasmin d'hiver qui envahit la fenêtre de la salle de bain. Faire toute sa place au silence. Laisser errer le regard, ne pas mettre d'intention dans chaque acte, laisser venir, laisser faire. J'ai onze mois devant moi pour tailler dans ce qui m'envahit depuis des années, pour faire un peu de clarté. En fin de journée, cueillir les fruits du jeune mirabellier que j'ai planté au jardin. Une poignée de prunes.

*

Je suis l'enfant de deux mondes : l'outre-méditerranée ensoleillée, aisée, arrogante et rancunière ; la ruralité de l'ouest, taiseuse, rude, impitoyable. La ville et la campagne. L'Algérie et la France. La mer et la terre. Grand-père maternel enseignant, grand-père paternel gardien de prison. Tous deux fonctionnaires. Des grands-mères m'ayant oubliée. L'eczéma m'attaque la main droite, puis le pied droit. Le côté droit, celui de la raison, de la famille.



Lisez sans tarder le Journal pauvre de Frédérique Germanaud. Il exprime humblement la liberté de l'humain qui travaille à s'affranchir des jougs consuméristes. Il fait du bien dans ce monde livré en pâture à toutes les voracités. Publié aux éditions La clé à molette, il coûte 13, 50 €.

Courir à l'aube et Quatre-vingt-dix motifs, chez le même éditeur, sont aussi chroniqués sur ce blog.

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