Pendant l'année scolaire 2023-2024, les élèves de troisième du collège Blanqui à Bordeaux ont vécu une aventure émotionnelle et culturelle qu'ils n'oublieront pas. Sous la houlette bienveillante d'Émilie Mercier professeure d'espagnol et Olivier Delavaud professeur d'histoire-géographie, ils sont allés à la rencontre de l'histoire du quartier de Bacalan sous l'Occupation allemande.
Des archives municipales et départementales aux archives nationales à Paris, Giovanny, Elen, Lina, Selma, Elyase, Enzo, Ethân, Ilian, Nancy, Maël, Kenan, Isma, Tom, Helena, Majda, Alaaeddine et Farah ont endossé le rôle de l'historien fébrile. ils ont feuilleté de nombreux documents (plans, rapports sanitaires, compte rendu des rafles de juifs, registres d'écrou...) et mesuré l'épouvante d'une époque à nulle autre pareille.
Leur livre au format italien, Par les Vivants-Bordeaux-Bacalan 1939-1945, rehaussé d'une iconographie nombreuse et variée, rend hommage à la mémoire de Joseph Brunet et Roger Allo. Ouvriers et militants communistes, résistants, les deux furent fusillés au camp de Souge par les Allemands en 1941.
Plusieurs pages sont consacrées à la mémoire de Sabatino Schinazi, juif et médecin des pauvres. Dénoncé à l'occupant par l'Ordre des médecins, il est arrêté par la police française en juin 1942. Déporté à Drancy puis à Dachau, il meurt en février 1945 à Kaufering durant "les marches de la mort". Les collégiens ont eu de nombreux échanges avec les descendants de la famille Schinazi, dont Moïse, dernier fils survivant âgé de 93 ans. Lorsque l'Histoire avec sa grande hache sort des archives et s'incarne dans des visages et des voix, il faut imaginer la gravité qui a saisi ces adolescents.
De même, ils ont pu s'entretenir avec Boris Cyrulnik revenu à Bordeaux afin de poser deux pavés de mémoire devant la maison de ses parents "assassinés dans les camps". Le 10 janvier 1944, 21 enfants juifs sont conduits à la synagogue avant de rejoindre les convois de la mort. Boris Cyrulnik, six ans et demi, parvient à s'échapper. Avec l'aide d'une infirmière qui le cache sous le corps d'une femme mourante dans une camionnette. Comment se remet-on, si jeune, d'une expérience aussi extrême ? Comment survit-on alors que les autres sont morts ? Quelles ressources intérieures transforment le mal absolu pour forger la volonté du bien au service d'autrui ? Boris Cyrulnik lui-même n'a pas la réponse. Tant le mystère de l'humain, en ses forces comme en ses faiblesses, est inexpugnable.
Enfin, et ce n'est pas le moindre, l'ouvrage évoque le "Juste parmi les nations" que demeure à tout jamais Aristides de Sousa Mendes. Consul du Portugal à Bordeaux, il sauva plus de dix mille juifs en leur accordant des visas malgré l'interdiction du dictateur Salazar.
Désireux d'être exhaustifs dans leurs recherches, les collégiens mentionnent également la détention massive des nomades au camp de Mérignac dès 1940 et la construction de la Base sous-marine par, notamment, des prisonniers républicains espagnols. Poètes autant qu'historiens ; il est toujours bon d'établir des liens féconds entre tous les champs du savoir, ils ont écrit ces quelques vers :
Para la libertad, protesto, me alzo y mato.
Para la libertad mis manos y mi corazón,
Como el sonido de tambores,
Luchan y laten.
Alors qu'en France et partout dans le monde les extrêmes-droites déplient de nouveau leur voile crépusculaire, nous ne doutons pas que le cœur et les mains de ces jeunes continueront longtemps de vibrer et d'agir au secours de la liberté menacée. Grâces leur soient rendues !
Par les Vivants-Bordeaux-Bacalan 1939-1945 est disponible à la vente au collège Blanqui. Il coûte 7,50 €. L'argent récolté est d'ores et déjà investi dans la poursuite du projet en cette nouvelle année scolaire, avec d'autres élèves. Afin que le flambeau de la mémoire se transmette de génération en génération. Et, modernité oblige, un QR code en quatrième de couverture permet un voyage immersif qui restitue toute l'aventure.
Les coordonnées du collège sont évidemment disponibles sur internet.