dimanche 15 septembre 2024

Jean-Baptiste Pedini, Un monde à nu

 


Un monde à nu
de Jean-Baptiste Pedini est composé de deux ensembles de  courtes proses : Heures fétiches et Après le monde. Les premières proses sont ajourées de suspens et les deuxièmes présentent des blocs où le dire se ramasse en un seul souffle.

« Entre peur et désir, l’obscurité s’allonge. », écrit le poète. Quelque chose ne va pas exactement, ou plus,  dans les émois du corps sensuel. Les battements du sang, les mouvements de la bouche égarent les gestes. Une sourde menace isole l’amour dans les « décors sans désir ». Les heures fétiches, limpides, transparentes même, s’éloigneraient-elles inéluctablement ? Le ciel n’a peut-être plus d’horizon sûr. Les éléments tournent mal et leur dépôt de cendres « tache les sexes ». La mort en embuscade est un mauvais film qu’il faudrait pouvoir rembobiner.  Quelle « construction fragile » lui opposer quand les images du corps ne tiennent plus ensemble et qu’un écran noir les sépare, peuplé de chimères ? « L’intimité est un trou d’air », observe Jean-Baptiste Pedini. Depuis des millénaires, la pensée cherche à en trouver les bords qui en constitueraient l’appui, tente d’apprivoiser les contraires illusoires que sont le vide et le plein. D’où l’angoisse dont l’objet se délite avant même que d’apparaître. Seuls, parfois, « les poils dressés font barrage à la mort » quand « l’esprit s’accroche par accident à un territoire dénudé ».

Après le monde s’ouvre avec ces trois vers extraits des Feuillets d’Hypnos de René Char. « Je pense à la femme que j’aime. / Son visage soudain s’est masqué. / Le vide est à son tour malade. » Après le monde. Voilà bien encore une énigme.  « Je cherche un peu la vie d’avant dans le plat de nos ombres », écrit le poète. Mais comment faire si les rêves ont perdu toute substance ? Le monde est désormais saigné à blanc. Sans couleurs il n’a plus de reliefs auxquels se retenir. Et Jean-Baptiste Pedini, sur le ton du constat dont la lucidité glace le lecteur : « Je reconstitue le squelette d’une vie décomposée. Anatomie de clairs de lune et de regards fuyants. Bris d’une enfance délaissée. Le corps bâti tel un puzzle auquel une pièce manque. » Le manque donc, si mal incarné dans la chair comme dans la langue, et toujours recommencé. Dont le désir s’identifie à l’aune des représentations biaisées de l’autre et de soi. Ah ! si l’on pouvait en faire un puzzle sans incomplétude ! Mais n’est-ce pas cet empêchement inaugural qui éprouve la nécessité d’aboutir l’inabouti dans toute création humaine ? Y compris lorsque « nous jouissons dos à dos » !  

Dans l’un de ses précédents recueils, Trouver refuge,(Cheyne éditeur, 2017), ces lignes en écho : « Si le désir s’étiole, on peut se contenter d’en picorer les miettes. » et ces vers-là, dans Suivre l’océan, (éditions L’Ail des ours, 2022), : « pourtant on reste / comme un enfant partagé / entre l’angoisse / et l’émerveillement ». Jean-Baptiste Pedini, dans les bas bruits du silence, écrit patiemment une œuvre qui survivra aux épanchements dégoulinants de la poésie dite contemporaine, avec les mots les plus simples voire pauvres, et c’est ainsi que nous l’aimons sans réserve.

 

Extraits :

 

J’attends un signe.

Sous l’ongle le temps s’obscurcit, s’étend

à l’intérieur.

J’attends un signe, insensible à l’œil clos.

La mort au bout du sexe.

*

Jamais la bouche ne dit mieux que là.

Une mèche terreuse collée à la lèvre

Inférieure.

Un trait de suie guidant les langues.

*

Je te regarde danser sur une nuit en ruine. Il ne reste d’ici que des débris de peaux. On se mouille le doigt pour mieux les ramasser ; goûter encore la chaleur d’un sexe. La bestialité de la vie. Je te regarde danser sous un éclairage cru.

*

Je redoute à présent le saignement des entailles bleues. Celles sur lesquelles le cœur appuie avec une main lourde. Mais la violence ne dit rien de la chair. Les sexes coulent des bouches avec la même peur. Le désir est un saut hors du monde.

 

Un monde à nu de Jean-Baptiste Pedini est publié aux éditions Cheyne en 2024. Il coûte 17 €.

 

Pour mémoire,  Trouver refuge (éditions Cheyne, 2017), Angles morts (éditions Yves Perrine, 2016), Le ciel déposé là (éditions L’arrière-Pays, 2016) et Passant l’été (éditions Cheyne, 2012) sont également chroniqués sur ce blog.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire