mardi 7 août 2018

Poemas pobres y algo màs, Poèmes pauvres et un peu plus (fin)


Mi lengua es un surco redondo
Adentro del silencio
No busca ninguna raíz
De la cual surgiera el rostro de mi madre
Ya que no me dio la vida
Solamente busca la nada
Sus palabras calladas


Ma langue est un sillon en rond
A l’intérieur du silence
Elle ne cherche aucune racine
D’où surgirait le visage de ma mère
Elle qui ne m’a pas donné la vie
Elle cherche seulement le néant
Ses mots tus

*

Cuando sea un muerto
Escribiré un poema de amor
Bajo la luz de las estrellas
Calzadas de viento
Un poema lleno de sonrisas
Pero mi amada habrá perdido
Sus dientes


Quand je serai mort
J’écrirai un poème d’amour
Sous la lumière des étoiles
Chaussées de vent
Un poème plein de sourires
Mais mon aimée aura perdu

Ses dents

*

Voilà, c'est fini. Vous comprendrez que ce dernier poème est ironique. C'est que je déteste quand l'émotion étranglée par la métaphore dégouline et dégouline encore, devient fumisto-ésotérico-gnan-gnan. Et puis je veux rendre hommage à Elvire Gomez Vidal. C'est grâce à elle que j'ai rencontré le poète Raul Nieto de la Torre. C'est elle qui a transmis mes poèmes pauvres à Luis Landero. C'est elle aussi qui a corrigé les fautes que j'ai commises en espagnol. Dans le plus grand respect de ce que je crois avoir voulu dire. Muchas gracias Elvira por todo lo que haces para mi.

dimanche 5 août 2018

Poemas pobres y algo màs / Poèmes pauvres et un peu plus


Salí muerto de mi madre
Un pedazo de carne
Encerrado en una sangre pálida
Ni cuerpo ni lengua
Ni piel dibujando un rostro
Sólo el camino que inventé
Me hizo nacer


Je suis sorti mort de ma mère
Morceau de viande
Serré dans du sang pâle
Ni corps ni langue
Ni peau à dessiner un visage
Seul le chemin que j’ai inventé
M’a fait naître

*

Mi poema es tan turbio
Que no lo puedo traspasar
Sin perder mi cuerpo


Mon poème est si trouble
Que je ne peux pas le traverser
Sans perdre mon corps

*

Encontrar las palabras más pobres
Que tejerán el paisaje
Del agua y de la tierra
Recorridas en la infancia
Que sea leve el recuerdo
De las cosas y de los seres
Un perro ladrando ante una puerta
Cualquier perro y cualquiera puerta
Como un dibujo de nin͂o
Y así sobreviven más allá de toda memoria


Trouver les mots les plus pauvres
Qui tisseront le paysage
De l’eau et de la terre
Arpentées dans les enfances
Que soit léger le souvenir
Des choses et des êtres
Un chien qui aboie devant une porte
N’importe quel chien et n’importe quelle porte
Comme un dessin d’enfant

Ainsi survivent-ils au-delà de toute mémoire

Je suis en train de traduire dans ma langue qui n'est pas maternelle ces poèmes que j'ai écrits dans une langue que je ne connais pas assez. Autant dire que c'est trop bizarre. La question que j'ai peut-être à me poser est la suivante : Où est passée la troisième langue ?
Le premier poème paraîtra en septembre dans la revue FPM de Jean-Claude Goiri, avec une variante car je crois que j'ai ajouté le mot ventre. Mais quand on sort de la mère, on ne sort pas que de son ventre. Alors ! Trop bizarre, vous-dis-je !
Le recueil devrait être publié courant 2019 par les éditions Tarmac avec une préface de Luis Landero que je ne remercierai jamais assez pour ce qu'il a dit de ces poèmes pauvres.

vendredi 27 juillet 2018

Luis Landero, Gentilshommes de fortune

Résultat de recherche d'images pour "luis landero gentilshommes de fortune"Un banc de pierre sur la place d'un village en Espagne. Il est si haut que les pieds des "désoeuvrés" ne touchent pas le sol. C'est mieux pour comprendre le théâtre de la vie. C'est mieux pour attraper au vol les rêves des gentilshommes de fortune.
Il y a Esteban Tejedor, le livreur de lait qu'on dit simplet. Héritier d'un très ancien et très prestigieux lignage, il revendique le trésor de Belmiro Ventura qui lui apportera gloire et amour.
Ce vieil érudit au corps inaccompli, professeur d'histoire besogneux, est de la famille d'Esteban mais de la branche cadette. Il doit rendre ce que ses ancêtres ont volé aux Tejedor pendant des siècles. On l'y contraindra si nécessaire.
Il y a Luciano Obispo, (obispo veut dire évêque en espagnol) engendré par un Saint revenu sur Terre et destiné à la prêtrise. Les voies du Seigneur, quand elles sont pénétrables, débauchent souvent sur des chemins de traverse... Le jeune Luciano, fort vigoureux, paiera cher ses coupables égarements.
Il y a Julio Martin Aguado, chroniqueur du village. Admirateur d'Alexandre le Grand et modérateur talentueux des conflits ordinaires, il se lance en politique et se voit devenir chef du gouvernement.
Il y a aussi Amalia Guzmàn. Encore célibataire à trente ans, elle n'a jamais supporté que quelqu'un lui touche le nez... Ses poèmes vaporeux paraissent régulièrement dans la feuille de chou locale. La mélodie En regardant la mer, qu'elle joue au piano, séduit aussi bien le vieux Belmiro que le jeune Luciano. Un orage pourrait gronder. Un orage grondera...
" Personne ne pouvait imaginer alors que ces épisodes étaient des morceaux épars qui finiraient par s'assembler pour former une seule histoire, ni que chaque personnage, avec ses actes insignifiants de tous les jours, travaillait déjà à un même dénouement implacable.", écrit Luis Landero en rassemblant son troupeau pris dans la tempête annoncée.
Gentilshommes de fortune est un roman aux accents picaresques, le Lazarillo de Tormes est du reste cité, et dit, sur le ton de la farce ou de la satire, parfois avec tendresse, l'empêchement des songes creux à changer la vie. La fortune, c'est bien connu, ne sourit qu'aux audacieux. Les rêves, tout penauds, rentrent dans leur coquille. Le souffle de l'histoire passe au large et éteint les feux de la rampe, réduisant l'humain à ses petites conditions.
Le lecteur appréciera l'écriture de Luis Landero, ses longs plis et déplis, sa gourmandise des énumérations comme un bric-à-brac oulipien énonçant l'improbable. Il pourra penser à l'univers de Marcel Aymé ou à celui, éventuellement, d'Italo Calvino dans ses allusions philosophiques, la jolie Amalia tenant le rôle d'une vicomtesse pourfendue...
La littérature, c'est le style, tonnait Flaubert. En voici une nouvelle preuve.
Gentilshommes de fortune de Luis Landero est publié aux éditions Gallimard. 

image gallimard.fr

samedi 7 juillet 2018

Rodrigue Lavallé, Décomposition du verbe être

Résultat de recherche d'images pour "rodrigue lavallé, décomposition"Où se situent l'espace et la durée du poème ? Comment l'écriture parvient-elle ou échoue-t-elle à les faire coïncider ? Sur quelle ligne de crête sémantique pour dire l'incertain de l'humaine condition ?
Dans Décomposition du verbe être, Rodrigue Lavallé se livre à un essai de décomposition de soi. "de/dans", "de/hors", et "de/puis". " Le verbe et sa durée c'est tenir tête à la mort", écrit-il presque à l'ouverture de son recueil qui fouille à mains nues les anfractuosités de la langue, à la façon parfois d'un médecin légiste. Le dedans du corps, "concrétion des matières des organes des fluides", met en péril le flux du poème. Le désir aussi se rompt et [l'amour croupit].
Le dehors avec "son horizon dépassé" n'est pas moins trébuchant. La marche a ses vertiges. Elle tâtonne et ne sait dire les signes du visage. Quel visage ? Dans quelle durée et dans quelle perspective si "un jour il fait un jour de moins" ? La mort est là, avec sa bile et sa lie, et ni dehors ni dedans n'y sauraient tenir.
Alors, entrer dans les "des/marches" offrira-t-il au corps et à la langue un nouveau dépli ? Ou faudra-t-il se résoudre, de crues en "des/crues", à demeurer à tout jamais éparpillé, sous un ciel sans miroir au-delà ? Une certitude tout de même. "Tout est à refaire." [Et on se pisse dessus.]
Décomposition du verbe être de Rodrigue Lavallé appartient à la littérature de recherche dans ce qu'elle a de plus exigeant. Jamais rien n'y est vain. Jamais rien n'y surligne outrageusement l'intelligence de l'auteur. L'émotion luit comme une lame. Le lecteur la sent qui fouaille ses chairs.
Bravo !

Extraits :

friche du corps cela
se nomme fièvre
solitude
désir
sans compter quelques morts
sous les doigts

d'une seconde à l'autre
alors découd le ciel
et coule ainsi

mots à mots
visage à nos mains

*

nulle promesse
ni demain
ne rend gorge à
l'absence

ventre ici
brume dedans
ce matin

*

parois serrées d'air ni de ciel
plus de formes connues de miroir au-delà

des yeux collés malades à grands coups de caboche
sur les murs d'est en ouest
débordent leur cours

poings durs d'os à tenir comme sans lumière
qu'il faudra bien nommer
son corps         vide d'elle

déposé loin là-bas dans le fond
d'un couloir en damier

comme si de marcher se faisait
sans savoir

*

L'ouvrage, illustré par Dominique Catin et remarquablement préfacé par Laurine Rousselet, est publié aux éditions Tarmac. (102 pages,14 € et disponible à la commande depuis ce blog.

image Tarmac

mercredi 27 juin 2018

Stéphane Bernard, Salle d'attente

Résultat de recherche d'images pour "stéphane bernard salle d'attente"Stéphane Bernard, tenancier du blog Une main est aussi un poing, a publié dans de nombreuses revues (Verso, Diérèse, Dissonances, Ce qui reste...) mais n'a pas encore fait paraître de recueil. Salle d'attente est pourtant un fort volume de la meilleure encre et je ne doute pas qu'il se trouvera bientôt un éditeur pour le faire connaître. La philosophie, ici plutôt morale, tisse de subtils échos avec des considérations sur l'acte de créer, poétique notamment. Les grands thèmes du bien et du mal, de l'esprit et du corps, du tout et du rien, de la vérité et du mensonge, de la prière et de l'angoisse reviennent en boucle avec Schopenhauer en serrurier "des placards secrets de nos chambres". Le stoïcien Marc-Aurèle, la mystique Simone Weil, le sulfureux Bataille et, surtout, le pince-sans-rire Cioran traversent ces pages composées d'aphorismes et de textes brefs. Des obsessions apparaissent (suints et putréfactions, insectes et batraciens) ; la vie comme l'amour ne coulent pas tranquillement dans leur lit, et l'humour est également présent, acéré comme une lame.

Extraits :

Logique - La logique est un abus de coïncidences.

Triptyque - La vie est ce triptyque dont le panneau central est le plus étroit et dont les latéraux, infinis, n'ont jamais existé.

La bête - Ce n'est pas l'homme qui n'arrive pas à se libérer de la bête en lui, c'est la bête en lui qui n'arrive pas à se libérer de l'homme. Mais ça finira un jour. La bête a les muscles pour.

Bulbe - Le cadavre humain est le bulbe éteint du mensonge. n'y pullule plus que la vérité de l'insecte.

Un mensonge étendu - Je n'ai rien contre l'amour si ce n'est qu'il est un mensonge étendu tandis que je n'ai de passion que pour une suite de courtes vérités.

Au juste - Pour atteindre au juste, la patience, graine souple, vaut mieux que l'espoir, cette malformation du temps.

L'autre chose - Ecrire, le poème, etc, c'est la recherche de l'autre chose dans l'exactement ça.

Peau du monde - Les hommes font de la peau. De la peau sur eux-mêmes, de la peau sur le monde. Le poète ou penseur de lui-même pèle. Pèle l'homme, pèle le monde. Dehors j'entends la peau du monde chanter la peau. Ma voix, pelade, quand elle tombe, comme neige n'émet aucun son.

Mirage - Dire est un concert d'ombres où leurs figures tues seules sont le vrai.

Valeur ajoutée - L'art ne soigne à peu près de la conscience que cette part d'elle-même qu'il a lui-même ajoutée.

Posthistoire - Dans une époque très lointaine, nos siècles récents se confondront à la préhistoire. Ne vous étonnez pas de nos accès de barbarie.

Rendre raison - Ces types qui ont raison tellement fort qu'ils poursuivent l'effort jusqu'à faire rouler leur opinion sur le versant où ils ont tort.

A la chute des larmes s'élève une pensée - Les yeux qui ne pleurent pas de temps à autre ont la vue sale.

A travers l'objet - Qu'il soit végétal, animal ou minéral, immatériel ou synthétique, l'objet est un bon filtre de soi à soi.

De loin en loin un homme - Ce mètre cube de granit ci par exemple, et qui a attendu des millénaires son premier bain de mer - à la presque veille de plonger, qu'on entrave d'une résille d'acier, parce qu'entre lui et l'océan passe de loin en loin... un homme.



Vous pouvez vous procurer ce recueil de 237 pages chez l'auteur qui a fait imprimer quelques exemplaires pour le prix modique de 8 €. Voyez avec lui pour les frais de port à son adresse électronique : stephanegeorgesbernard@gmail.com

image du blog unemainestaussiunpoing



mardi 19 juin 2018

Fabrice Farre, Inflexion

Résultat de recherche d'images pour "editions rafael de surtis"Une inflexion, qu'elle s'imprime dans la ligne d'un paysage ou la courbe d'un corps, a toujours un point. Et la voix du poème commence à changer, donne à la lecture un mouvement qui tarde à révéler ses jeux de miroir.
Inflexion de Fabrice Farre recueille dans les instants de la marche les appuis du réel. La terre comme le ciel sont instables. Le temps lui-même, si meuble, pourrait s'effondrer dans une attente pétrie d'ignorance, inventerait qui sait d'autres possibles au coeur de la langue. Mais quelle serait notre inquiétude si l'alphabet s'augmentait d'une vingt-septième lettre ? Quand "le dehors se retourne comme une peau", les mots ne sont pas des lieux sûrs. Alors il faut épuiser dans la marche toutes les chimères de la mémoire. Voie ferrée ou quai de métro, colline dévalée ou "mer grosse des nouvelles du monde", le chemin est une énigme. Quelle est donc cette silhouette que Fabrice Farre tutoie tout du long ? Quelle est donc cette "caméra subjective" qui hésite entre le haut et le bas du visible ?
En écho à ces questions, Cécile Guivarch écrit dans sa préface : "Fabrice Farre brouille les pistes et le fait avec vibration. Les mots permettent l'inflexion de la mémoire, passée et présente."
Lisez et relisez ces poèmes aux accents surréalistes dont la puissance des coïncidences est parfois proche de celle de Jacques Vandenschrick.

Extraits :

J'imagine qu'ils sont venus prendre
ce que nous avions dû abandonner.
Il a fallu recommencer cent fois pour vivre.
Derrière nous passent des vêtements sales,
un jouet mécanique. Mais le jour
nous précède aujourd'hui,
comme il marche il pardonne.

*

Je vis dans un coin du monde
où ma table vibre émue
par les chenilles processionnaires
des chars sous le ciel de soufre
et les visages rouges. 
Au bout de l'artère un champ de fleurs
colle aux chaussures. On peut y patrouiller
sans craindre la vie.

*

Les bêtes somnolent sous les toits
les murs de la maison adjacente se resserrent
les bruits des ustensiles tournent autour de la table.
Le berger n'a qu'une parole en cet instant
maigre. Les idées noires moutonnent,
la lueur grossissante les pousse.

Accompagné de trois oeuvres peintes de Muriel Carrupt, Inflexion de Fabrice Farre est publié aux éditions Rafael de Surtis et coûte 17 euros.

Oeuvre de Muriel Carrupt en couverture de l'ouvrage. Image rafaeldesurtis.

dimanche 17 juin 2018

Brigitte Giraud, Le trajet d'une voix (inédit)

Résultat de recherche d'images pour "brigitte giraud"Il faudrait atteindre au silence passé
par les claires voies de la fenêtre.
Venir à toi.
Couler mécaniquement ma tête
dans l'anse de ton coude.
Ce serait commencer cet instant minuscule
qui caresse nos visages,

la voix entre les mots.



Rien, alors, ne pourrait demeurer
absolument perdu
au milieu de la nuit.

*

Il faudrait peindre les plis du silence,
poser du bleu dans la voix
autour des mots
qui pourraient casser.

Combien avons-nous de coeurs pour pardonner
les blessures du vertige ?
Combien de coeurs avons-nous ouverts
et refermés ?

*

J'entends des mots très bas.
Le silence de l'herbe 
et celui de l'eau
marchent sur la terre comme au ciel
les pieds nus.

Il pleut tout mon soûl.

*

Un trait dans la nuit
jusqu'à ce chemin d'encre jeté
dans les yeux,
plus loin que la parole.
L'écran des jours traverse ton visage.
Et nos yeux ont mal,
et aussi les mains,
et aussi toute la figure.

*

Tu écrirais une histoire
dans la nuit jetée.
Un phare au milieu de nulle part,
et une cabosse remplie de sentiments,
les yeux murmurant
des mots indéchiffrables aux lèvres.
Les murs de la chambre en retard du monde,
silencieux mouvements
à vitesse basse,
une lune passée.

On lâche la peur
de tomber.

image uneetoiledanslagorge.com 

samedi 9 juin 2018

Alexo Xenidis, Communication prioritaire

Résultat de recherche d'images pour "alexo xenidis communication prioritaire"Certains livres, très courts, n'en sont pas moins longs à lire. Communication prioritaire d'Alexo Xenidis en fait partie.
Dans la ligne des théories sur les réalités et les leurres du pouvoir (de Machiavel à Damasio en passant par le prince de Lampedusa) , cette auteure imagine les mécanismes d'une gouvernance mondiale pour finaliser la restructuration des instances politiques partout sur la planète. Après plusieurs années de travaux, l'humanité va enfin retrouver sa fonction première : survivre collectivement. Les tentatives des révolutions anticapitalistes comme les programmes d'extension démocratique ont échoué au niveau des Etats-Nations.
Le constat du CIEL (Comité International Exécutif Libre) adressé à tous les dirigeants est accablant : " Vous n'offrez plus aux habitants de vos pays ni la nourriture, ni l'abri, ni les remèdes, ni la protection qui leur sont nécessaires. Pire, vous leur avez même confisqué le droit de pouvoir conquérir par leurs propres moyens ces outils de survie."
Cette dernière étape de la finalisation n'est pas moins délicate que la restructuration elle-même. Elle s'apparente à la livraison d'un chantier quand on enlève les derniers échafaudages, les palissades et les bâches, les barrières d'accès et les tas de gravats. Ce n'est pas là un simple appareil de protection mais un Miroir qui organise pendant les travaux une autre réalité des orientations géopolitiques et des tendances sociétales.
Ce Miroir, pour être totalement efficace dans sa production de substitution, s'accompagne d'une "épuration lexicale" jusque dans le vocabulaire des sentiments effectuée par les citoyens eux-mêmes...
Que va-t-il se passer quand la nouvelle réalité apparaîtra sans le fard des récits illusoires ? Sachant que nul ne saurait ignorer cette communication prioritaire, le lecteur se fera son idée et elle sera vraie, à moins qu'un nouveau Miroir ne la déforme aussitôt...
Alexo Xenidis, qui fut psychanalyste, n'ignore rien des trames de fond dans la trame du réel offert au regard. Elle en mesure les menaces tapies au coeur même de la langue dont la substance est saignée. Comment forger sa liberté dans notre société qui s'effarouche au moindre mot de travers ou jugé intrusif ("mademoiselle" par exemple) et considère tout acte déviant comme une salissure au front des bienséances ?
Communication prioritaire d'Alexo Xenidis est un livre éclairant qui pourrait être porté à la scène, soutenu par un dispositif d'archives sonores et visuelles.
Illustré par Jacques Cauda, il est publié aux éditions Tarmac et coûte 12 €.

image tarmac

mardi 5 juin 2018

Patrick Rödel, Raymond Mauriac frère de l'autre

Résultat de recherche d'images pour "raymond mauriac frere de l'autre"Comment parler du roman Raymond Mauriac frère de l'autre de Patrick Rödel quand, dès les premières pages, on résiste mal à la tentation d'y voir une autobiographie ?
On y résiste d'autant moins que la photo en couverture, Raymond au garde à vous dans l'ombre écrasante de François, nous semble implacable, presque cruelle.
Et pourtant ! Hormis le fait que Raymond Mauriac a publié deux romans sous pseudonyme (Housilane), tout est presque faux dans cette histoire puisqu'on ne sait quasiment rien de lui. 
Patrick Rödel a traqué à la loupe tous les indices possibles dans le fonds Mauriac de la bibliothèque municipale de Bordeaux et inventé le journal que Raymond aurait pu tenir dans le secret de son étude d'avoué. Nul doute aussi que sa connaissance de l'oeuvre de "l'autre", Le mystère Frontenac notamment, aura nourri son inspiration. 
Le lecteur découvre la vie de Raymond Mauriac de 1895 à 1953. A quinze ans, il supporte mal le carcan du paraître bourgeois et les hypocrisies des punaises de sacristie. Il rêve de devenir écrivain, envisage de s'inscrire en lettres à l'université. Claire Mauriac, mère à poigne qui élève seule ses cinq enfants, oppose un refus catégorique. Raymond fera son droit et reprendra la charge de l'oncle resté sans descendance. On se doit d'avoir le sens du sacrifice quand on est l'aîné de la fratrie et que le père est mort trop tôt. De toute façon, la littérature, c'est le Diable. A commencer par l'exécrable Anatole France...
Ce vrai faux journal nous montre un velléitaire incapable d'affirmer son identité et ses désirs tant il est lui-même victime des préjugés de son milieu social. Proche des Croix-de-feu du colonel de La Rocque, il honnit la République enjuivée et trouve qu'il y a "de bonnes choses chez Mussolini".
Patrick Rödel parvient cependant à nous faire apprécier ses épanchements quand il se débat avec la gestation infiniment longue, tour à tour naïve et douloureuse de son premier roman salué par Robert Brasillach et Ramon Fernandez. Le lecteur sera également sensible à ses rapports ambigus avec François, l'envie et la suspicion voire la colère l'emportant le plus souvent sur l'admiration...
Le livre se termine par un post-scriptum de plusieurs pages intéressant à consulter tout en progressant dans le récit. On suit Patrick Rödel dans son dépouillement des archives familiales et des ouvrages consacrés à François Mauriac. On s'étonne avec lui que Raymond soit à ce point passé inaperçu aux yeux des biographes alors qu'ils mentionnent volontiers les deux autre frères : Jean le prêtre et Pierre le médecin. Est-ce là un oubli ? Ne serait-ce pas plutôt une répudiation inconsciente ? Et pourquoi ?
Mais c'est ainsi, à la faveur de ce trouble, qu'il peut devenir un personnage à part entière, dans la vérité sans fard de la vie rêvée. Quand le silence retombe sur l'étude où l'ennui tout le long du jour a présidé...
Le livre de Patrick Rödel, servi par une écriture qui ne mâche pas ses mots pour brocarder les petitesses, parfois presque tendre à l'évocation des parties de chasse ou de pêche aux abords des métairies, des émois furtifs des corps qui peinent à s'abandonner est un régal. On finit même par s'attacher à Raymond quand, au soir de sa vie désenchantée, s'annonce le grand naufrage de l'esprit. C'est bien là le signe du talent.
Raymond Mauriac frère de l'autre de Patrick Rödel est publié aux éditions Le Festin et coûte 19, 50 €.
Ces mêmes éditions viennent de republier Individu, premier roman de Raymond Housilane initialement paru chez Grasset en 1934.

image lefestin. (Malagar, Pâques 1930. Raymond et François Mauriac)