jeudi 20 juin 2019

Michel Bourçon, Visages vivant au fond de nous

Résultat de recherche d'images pour "michel bourçon"Si "je" est un autre et même plusieurs autres, plusieurs visages composent et font apparaître ce que nous sommes. Mais, les mots ayant perdu leur pouvoir de désignation et de reconnaissance, seule, peut-être, la fatigue ouvre un chemin à la vérité de ces visages. Une vérité fugace quand le corps s'éparpille et "s'enfonce dans l'informe, se regarde disparaître". 
Et c'est tout le réel dont les lignes se brouillent. "Les yeux se perdent sur les hauteurs des choses", "nos têtes flottent entre ciel et terre balises dérisoires". Le métier de vivre reste à faire pourtant, même si [tout vire à l'hypothèse]. Qu'importent finalement les "miroirs dans lesquels rien ne nous ressemble" ! 
Il y a tant d'images qui saisissent ici l'étonnement du lecteur : une femme étalée comme un nuage dans un champ, des vaches qui "reviennent sur les pas du printemps", "le vent qui fait le montreur de marionnettes" ou, encore, offerte à un Augustin qualifié de petit vampire, tout un "joyeux cortège" de princesses et de fées plus fortes que les mots.

Avec Visages vivant au fond de nous, Michel Bourçon confirme sa place dans l'actuel panorama de la poésie française, l'une des toutes premières à nos yeux. Au jeu des parentés intertextuelles, certains poèmes évoquent une mélancolie douce-amère proche de celle de Jean-Claude Pirotte ou le lyrisme sombre de Jacques Vandenschrick, comme dans ces vers : "sous le ciel ne pouvant se contenir / le vent fourgonne chaque demeure / tandis que la grêle crépite aux fenêtres". Dans le paysage antérieur* de la littérature, c'est à Jean Follain qu'on pense, dans cette manière si particulière de faire advenir le réel absent.

Résultat de recherche d'images pour "jean-gilles badaire"Notons, enfin, au cours de ces pages, de nombreux oiseaux dont ceux dessinés par Jean-Gilles Badaire, "illustrateur" d'écrivains tels que Julien Gracq et Blaise Cendrars.

Extraits : 

un visage l'autre
lève tant de coeurs
serrés dans l'ombre
où la mémoire se promène
dans la rue basse

les corps prennent leur envol
laissent les mots sur place

combien sont là
pour les voir s'élever
dans la nuit qui vient
compter ces têtes se levant
sans basculer dans le noir.

*

blanche au-dessus de la rue
la brume estompe la ville
poudre ses nuances et les couve
pour voir éclore le printemps

le soleil contenu par un filet
dispense son élégance fardée
dans la paix du petit matin
épousant les façades et les toits

les cheminées dénoncent le ciel
sous lequel fuient dès le lever
les mêmes gens oubliant de vivre
qui s'éloignent dans la lumière cotonneuse
puis s'effacent comme des empreintes.

Visages vivant au fond de nous de Michel Bourçon et accompagné de dessins de Jean-Gille Badaire est publié aux éditions Al Manar. Il coûte 17 €.

image 1 terresdefemmes.blogs.com
image 2 oeuvre de Jean-Gilles Badaire quinconces-espal.com
*Michel Butor

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