vendredi 2 octobre 2020

Thomas Chapelon & Werner Stemans, L'homme est un ensemble



 L'homme est un ensemble
de Thomas Chapelon et Werner Stemans relève autant de l'essai philosophique que d'une suite poétique aux vers très ajourés.

La question posée taraude l'humain depuis ses commencements. Qu'est-ce que l'être ? Comment le définir dans l'espace et la durée ? Par quels signes liés ou non à quels symboles pour engendrer du sens ?

Thomas Chapelon dans l'écriture et Werner Stemans avec le dessin recourent à une géométrie dont les agencements brouillent les contours du sujet. Qu'est-il au juste ? Intérieur ou extérieur ? Si "la surface contient le vide", il n'y a pas de démarcation entre la bactérie inaugurale et l'esprit qui [déplace le visage].

La fonction du langage puis de la langue, dans les silences entre les mots et à l'intersection des courbes, peut-elle conduire à des éléments narratifs ? En quels écarts iront-ils se loger quand le monde enchevêtré n'en finit pas de se fabriquer ?

Thomas Chapelon pose la question à Werner Stemans : "Quel langage Werner ? Quel langage ?" Avec cette impuissance assumée qu'il transforme en volonté : "Je ne peux pas ne pas." Mais quoi ?

Quelques bribes d'histoire finissent cependant par venir au jour malgré les empêchements de la langue, de l'incurable retard des mots théorisé par Alain Jouffroy.

L'histoire allemande de Werner. A la faveur "des signes ouverts". "Et le sujet / Présent assure la continuité / Du trajet narratif." Werner enfant donna un livre à un prisonnier "égaré dans l'Allemagne adverse". Un livre dont les mots étaient un soin. 

Adulte, sachant que "le neutre est un élément vital de la carbonisation", et voilà bien l'apparence d'un paradoxe, sa réflexion prend un tour politique. Comment construire un refus et lequel exactement quand ni les sensations ni les émotions ne sont sûres ? L'action est cependant possible car des certitudes existent tout de même. "Un arbre / Est un arbre / Définissez-le en mouvements", écrit Thomas Chapelon. La tautologie, dans sa capture du réel dont elle reconnaît implicitement les invariants, peut conduire à une forme du vrai. Et qu'importent les "messages contradictoires" dont on ne sait jamais s'ils sont dits ou traduits ! 

De toute façon, il y a un "cadre définitif " à toutes ces énigmes de l'être, le lecteur le sait bien, et d'autres inconnus ambigus se dessinent, quelque soit l'autre en soi, que sa parole soit dite ou bien traduite.

Extrait :

Zones inhabitées,

           Sans figuration.

C'est comme

           Des continents écrasés,

C'est comme

           Une ombre de continents écrasés,

Une impression de continents écrasés,

Sur la surface

Solide des sphères devenues,

Plans de mouvements,

            Internes.

Nous pouvons contourner

La ligne séparée.

Nous savons qu'elle appartient au corps.

Nous savons.

Nous contournons.

Elle appartient au corps.


L'époque improbable que nous vivons, avec ses temporalités floues et ses perspectives au trait de plus en plus indécis, résonne étrangement à la lecture de L'homme est un ensemble de Thomas Chapelon et Werner Stemans.

L'ouvrage est publié par Double Vue éditeur et constitue la douzième livraison des Cahiers d'artistes Voleur de feu. Il coûte 25 €.


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