Le Corps habitable de Michel Bourçon s'apparente à une forteresse vide. "Posé comme une chose parmi d'autres", il est "reclus en lui-même". Dans son réduit où la conscience peine à trouver un recoin pour exprimer sa consistance. L'obscurité du dedans se confond avec celle du dehors jusqu'à prendre sa place. La prison est sans issue ni limite. L'errance n'est pas un lieu sûr sous "le ciel qui n'aide en rien", sa mémoire n'étant que du bruit.
La lumière n'a cependant pas disparu de l'horizon. Le noir le plus profond n'est jamais tout à fait noir. Un peu d'espoir luit. Quelques lampes s'allument. "Une fois de plus nous disons oui à demain", écrit Michel Bourçon en méditant sur le vol trop parfait d'un oiseau. Si trempé de pluies que soit le paysage, le poète n'a pas dit son dernier mot. Il en reste beaucoup dans "le puisard du temps". Certains sont imprononçables, impuissants à lever la peau du réel qui manque de prise. Mais d'autres "écriront pour sortir de leur encombrement d'être". Transformés peut-être en oiseaux [nichés dans des pages blanches].
Les oiseaux, comme le ciel et la pluie, comme les arbres et les nuages, reviennent souvent sous la plume de Michel Bourçon. ils ne sont pas des motifs allégoriques pour faire joli dans le décor chaviré. Corneilles, merles et pies, colverts et corbeaux, ou encore passereaux, ils peuplent les nuits autant que les jours et [leur chant parfois culmine]. Le poète accorde enfin l'intime avec l'extime. A quoi bon la fatigue d'ouvrir et refermer sans cesse des portes sur les pas perdus ! "On ne demande pas plus / que de demeurer là encore / dans la lumière / avec une économie de gestes / pour ne pas nourrir trop le vide".
Michel Bourçon signe avec Corps habitable son quarante et unième livre. Il s'impose plus que jamais comme un poète majeur de notre temps. Son écriture furtive et délicate dit sans tapage métaphorique la permanence universelle de l'empêchement humain devant les grands mystères du ciel et de la terre, de l'esprit et du corps et nous l'aimons ici sans réserve.
Extraits :
c'est un jour amer
où les fleurs fanées du jardin
nous ressemblent et posent la question
de poursuivre pour aller où
pour découvrir quel espace
quelle étreinte dans l'indifférence de l'ombre
quels mots pour dire ce qui nous attend
quand le corps chute indéfiniment
que les yeux se mêlent au crépuscule
et que reste là
un paquet d'os et de chair
sans comprendre la nuit qui vient
*
immobile derrière les vitres
on guette le mot
qui en amènerait d'autres
dans ce présent hanté par les souvenirs
avec ce peu de lumière
caressant le peu qui demeure
au coeur de ce moment où tout se fond
parmi le neutre
la grisaille où les yeux se perdent
dans la masse sombre des façades
au beau milieu desquelles
brûlent çà et là des lampes
tout est éteint en tête
dans ce jour qui n'en finit pas
d'en finir
et où l'on se dévêt de soi
*
ce qui se lève
au tréfonds de la vie
achève l'espace
où nos gestes sont enclos
alors quelle issue trouver
à la voix cherchant
ce qu'elle a à dire
quand les paumes chassent l'ombre
pour recueillir le monde
et que nous sommes trop dans les mots
pour lui appartenir
Notons enfin, en couverture, la peinture saisissante d'Hubert Duprilot : un corps enchevêtré à son double qui le hante. Les bouches peuvent-elles seulement crier ? Et on pense à un autre peintre, Jean Rustin. Les mots de Michel Bourçon accompagnent ses corps défaits, enfermés : "Ils sont là, au bord de rien, n'éprouvant plus le besoin de crier, car ils savent qu'ici, pour soi, il n'y a personne, qu'après leur chute interminable, d'autres viendront pour rien, car nul n'est à sauver." (in Jean Rustin, la vie échouée, éditions la tête à l'envers)
Corps habitable de Michel Bourçon est publié aux éditions Sinope dans la collection Des rimes et des mots. Pour le prix modique de 7 €. N'hésitez pas à vous l'offrir.
Pour mémoire, sur ce blog, ma chronique de Le vent souffle sur nos traces depuis toujours, aux éditions Aux cailloux des chemins.
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