jeudi 17 novembre 2022

Philosophie magazine, Réparer la Terre ? (2)


 LES NOUVEAUX           PROMETHEE


Pour mémoire, dans la mythologie grecque, Prométhée vola le feu aux Dieux pour l'offrir aux hommes. Le feu est assimilé à la connaissance, laquelle pousse l'humain à un orgueil démesuré (hubris).


Le philosophe Dominique Bourg et l'économiste Emmanuel Hache débattent des politiques énergétiques et des solutions imaginables pour préserver l'habitabilité de la Terre. Ils questionnent les possibilités et les limites de la géo-ingénierie. Et partagent le même constat : l'énergie n'est pas produite par les humains, seulement captée, transformée et déplacée. Ces opérations demandent beaucoup d'énergie et de matériaux mais la finitude des ressources (cuivre, bauxite, cobalt, nickel...) constitue un obstacle indépassable. D'où l'appel du Giec en 2021 à la sobriété économique. 

Les consommateurs sont-ils prêts à l'entendre ? Emmanuel Hache précise : "Les gouvernements créent des consommateurs schizophrènes auxquels on envoie le message selon lequel il faut réduire leur consommation, tout en prônant la croissance." Et comment aboutir à un consensus citoyen alors que la France, par exemple, "compte une dizaine de millions de précaires énergétiques" ? Si la contrainte porte surtout sur les ménages les plus pauvres, l'appel à la sobriété est inaudible, selon Dominique Bourg. La révolte des Gilets jaunes contre la taxe carbone en 2018 en témoigne.

Une réforme du contrat social, (centré sur le rapport à la biodiversité), couplée à une remise en cause de la fonction technologique loin des simplismes habituels (croyance aveugle dans la technique / retour à l'âge de pierre), pourrait ouvrir au futur un chemin plus durable. Emmanuel Hache observe que de grandes inventions et découvertes "ont fait avancer le monde et la société vers un mieux et non vers un plus". Dans le monde médical notamment. La pénicilline a permis un progrès significatif de l'Indicateur de Développement Humain. Mais une innovation technologique ne constitue pas forcément un progrès. Dominique Bourg dénonce l'innovation numérique  qui "a complètement déstabilisé  nos démocraties en fragmentant l'espace de l'information... il n'y a donc rien d'automatique à ce que les nouveautés techniques accroissent le bien-être".

Les deux débatteurs se retrouvent sur la nécessité d'une science agissante et éclairante. Le contexte géopolitique actuel ne s'y prête hélas nullement. La compétitivité pour l'accaparement des matériaux rares est de plus en plus sauvage. Dans un monde fragmenté entre pays développés et pays émergents, une politique climatique concertée verra-t-elle le jour ? 

Dominique Bourg et Emmanuel Hache terminent cependant leur entretien sur une note moins pessimiste. "Dans beaucoup de pays, une sensibilité à la souffrance animale et au monde végétal émerge, ainsi que des droits de la nature". Le concept de préjudice écologique peut "nous empêcher d'emprunter les voies les plus consuméristes, qui compromettraient l'habitabilité de la Terre".


L'article suivant le débat s'intitule : Les ingénieurs vont-ils refroidir la Terre ? La géo-ingénierie propose des Technologies à Emissions Négatives pour capter le co2 de l'atmosphère. Soit par la dispersion en mer de sulfate de fer qui favoriserait la croissance d'algues absorbeuses, soit par le développement de ventilateurs dotés de filtres sur lesquels se déposeraient les particules.

Trois solutions sont également à l'étude sur la gestion du rayonnement solaire :

- Mettre en orbite des panneaux solaires afin de refroidir la Terre

- Accroître la réflectivité des surfaces terrestres afin de renvoyer une grande partie du flux solaire (en couvrant les montagnes d'un mélange de chaux, de sable et d'eau)

- Pulvériser des aérosols dans l'atmosphère grâce à une flotte d'aéronefs

Des solutions artificielles au plan local seraient-elles plus viables ?

- Créer des nuages réfléchissants censés réduire la température de la mer et protéger la Grande Barrière de corail australienne

- Installer en Arctique 10 millions d'éoliennes reliées à des systèmes de pompe pour augmenter l'épaisseur de la banquise


Toutes ces propositions sont débattues au sein de la communauté scientifique. Certaines semblent presque raisonnables quand d'autres sont carrément fantaisistes. Leurs effets négatifs sur le climat constituent un risque difficilement mesurable. Il ne s'agit pas de rejeter en bloc la géo-ingénierie ni de lui accorder une confiance totale. La volonté de modifier le climat n'est viable qu'au regard d'expériences validées par des observateurs indépendants et dans le cadre "d'une morale déontologique qui prescrit que l'on ne perde pas de vue le devoir - à savoir la réduction de nos émissions de gaz à effet de serre".


Photo : Dômes intégrés à un système permettant de capter du dioxyde de carbone, à Hellisheidi, en Islande.

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