lundi 21 août 2023

Je me souviens de Roger

 

Depuis quelques jours, je me souviens de Roger. Le fait de vieillir, sans doute, me rapproche de l'enfance. Que j'ai vécue à ses côtés, dans un village près d'une rivière murmurante et d'un pré où poussaient des boutons d'or.  

 

 

Roger était un ancien sergent-chef parachutiste qui a combattu pendant sept ans en Indochine et en Algérie. Il s'était engagé pour s'éloigner de sa mère. Il me l'a dit. Quand il a quitté l'armée, il est devenu ouvrier papetier la semaine et paysan le reste du temps, avec quelques champs dont un arpent de vigne, deux vaches et un cochon. Il mettait le travail au sommet de ses valeurs morales, au point de diviser l'humanité en deux parties bien distinctes : les courageux et les tire-au-flanc. 

Roger n'aimait pas non plus les faiseurs d'embarras qui tiraient au grand, se croyaient au-dessus de leur condition sociale, comme le bourgeois de Molière singeant les manières des gentilshommes. A l'armée, en prenant des cours du soir, il aurait pu devenir adjudant puis sous-lieutenant. Il avait refusé la proposition, préférant être un peu quelque chose chez les petits que rien chez les "gros". Chacun son monde. De toute façon, disait-il, ça ne changerait jamais.

Malgré ses idées très arrêtées, Roger a bien accueilli mon enfance timide et rêveuse. Parfois, pendant le cours préparatoire, il m'amenait à l'école et me faisait la bise devant la porte. Plus tard, j'avais douze ans, il m' appris à faire du vélo et a sué sang et eau tellement j'étais maladroit. Plus tard encore, j'ai remarqué que ses yeux se sont émus lorsqu'il a su que j'avais réussi au brevet.

Roger gardait le plus souvent ses émotions pour lui. Comme la plupart des soldats, il ne racontait pas les horreurs de la guerre. Mais il évoquait volontiers la végétation à l'autre bout du monde. La luxuriance des bananiers notamment. Au point d'en planter un dans le potager. Le seul bananier du village était le sien, protégé de l'hiver par un paillage idoine. J'aime à penser que, la nuit, quand il sortait pour aller faire ses neuf heures à la papeterie, il ne manquait pas de lui jeter un coup d'oeil. Comme un rituel. Qui disait le lien immémorial de l'humain et du végétal.

Dans la même veine sensible, je me souviens qu'une fois il a dit qu'il adorait écouter les oiseaux chanter, la nuit encore, en pédalant sur son vélo qui filait vers l'usine.

Mon propos, bien sûr, n'est pas de brosser un portrait idyllique. Roger, comme chacun de nous, avait ses défauts. Par exemple, il s'agaçait assez vite si quelqu'un s'entêtait à le contredire. Enfin, fils et petit-fils de paysans, il ne faisait pas de sentimentalisme si un chat s'en prenait aux poules ou aux canards. Il réglait le problème d'un coup de fusil et sa main ne tremblait pas ; je l'ai vu.

Il y a deux ans, j'ai cherché sur internet s'il y avait quelque chose sur Roger. Roger Danglade. Et j'ai appris qu'il est mort le 10 mars 2009, dans ce village d'Ambérac dont mon imaginaire se nourrit encore aujourd'hui.

Voilà ! Loin de toute littérature qui pourrait "tirer au grand et faire des embarras", je suis content d'avoir écrit ces lignes sur Roger. 

 

Image Wikipedia : Le bureau de poste et l'école à gauche, où j'ai passé toute ma scolarité élémentaire.

1 commentaire:

  1. J'aime bien que tu écrives ces mots sur Roger, comme si tu pouvais avec eux, un peu plus, un peu mieux, approcher ton enfance.

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