Puis le silence a pesé davantage
nous avons regardé le fourgon partir
pendant que les hommes aux cordes
rangeaient leurs sacs de chantier
et nous sommes partis aussi
sans nous retourner
j'ai écouté mes semelles elles avaient des dents
concasser les gravillons et mordre les tessons
j'ai vu un caveau de famille propre devant et
sale derrière
un pigeon finissait d'y pourrir parmi des larves
le propre et le sale le pur et l'impur
cette part impossible à faire
et pourtant on s'obstine
j'ai regardé quelques visages
leurs traits recomposaient les arêtes des nez
on ne sait pas assez que les nez parlent
en troussant la lumière
vers le front ou le cou
pour dire qu'ils restent maîtres des ombres
ils s'imposent au visage
contre ses biais faux fuyants travers et coulisses
puis soudain le réel a ses fracas
une détonation quelque part mais où
quel orage disait-elle sous un hangar
ou le fond d'une cour
y avait-il devant les grilles du cimetière
un forcené qui et qui et qui qui
simple folie du hasard
ou règlement de compte avec la morte
quelque chose a remué dans mon estomac
un grommellement de son ventre à elle
une chimère dormante et ses lianes
dans ma gorge et sous ma voix
mon corps s'est dépêché vers la sortie
la lumière y était moins grise
les gravillons plus clairs
quelques enfants piaffaient autour des voitures
et ma peau avait des impatiences
les soeurs trouvaient encore à dire
leurs mots s'étiraient accordéons perpétuels
dans les fumées du tabac blond
et les derniers reniflements
quelques pies s'agaçant
ont enfin donné le signal du départ
le ballet des berlines a repris son branle
le paysage s'est déroulé sans accrocs
fondu enchaîné de gris souris
et de vert pilé ça faisait des paillettes
j'ai demandé si quelqu'un savait pour la détonation
la chasse était-elle ouverte
dans les combes et les halliers
un dos a frémi un nez s'est plissé
c'est moi qui détonnait à l'étroit
mes jambes et mes bras où les mettre
ma tête où la poser avec son vrac
j'ai regardé la route dans le rétroviseur
ses ondulations tremblantes
ses plats trompeurs
ses accotements fragiles
et je me suis imaginé sur un vélo
à essayer de rattraper mon double dans la voiture
comme un enfant courant et courant encore
après ce qui lui manque
Devant le temps qui s’efface un autre temps se présage avec ses humeurs.
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