mardi 5 septembre 2023

Maxence Amiel, Par la fenêtre tardive

La vie n'est pas un cristal limpide. Elle est taillée dans une matière obscure dont les faces, bougeant sans cesse, s'interpénètrent et se multiplient à l'infini. "Afin de découvrir ce qui nous manque". Etre, c'est agir en rebroussant les chemins, à contre-sens des mots ajustés comme [une chemise trop courte] et Maxence Amiel va jusqu'à s'en réjouir. "Que pourrions-nous espérer si l'existence n'était pas de fleurs pourries et des lunes enfumées ?", écrit-il au début de son nouveau recueil Par la fenêtre tardive. Puis, à la fin : "Nos vies heureusement sont des portes qui grincent."

Le livre est composé de deux mouvements, Terre levante et Ambre, adressés à sa fille avant sa naissance puis après. Maxence Amiel lui dit que les joies et les tristesses ne sont pas des mondes disjoints mais que, sans cesse maillées l'une à l'autre, elles accouchent du futur autant que du présent. Même si des heures très sombres menacent l'humanité, avec "des mourants sur un terrain de chasse", il ne faudra pas s'avouer vaincu mais puiser dans les blessures un nouveau souffle vital. Pour "rebâtir des signaux efficaces / plus contre / plus pour / en lisière". Avec cette déclaration d'amour simple et vibrant de tendresse à l'enfant ayant grandi : "il y aura nos souffles qui forment nos nuages, nos sourires nos frontières et tes rêves pour les outrepasser".

Le deuxième mouvement du texte, Ambre, confie son ouverture à Merleau-Ponty en quête d'un langage idéal qui "nous délivrerait de lui-même en nous livrant aux choses". Les déplis y sont souvent plus longs, tirant vers la prose, ou brefs comme des copeaux. La fille de l'auteur est née. L'angoisse de la perte est déjà là, à combattre absolument y compris quand on trébuche. Il faudra résister en se tenant la main, sans se bercer de récits trompeurs et "permettre à tes petits pas d'être les grands qui nous feront relever la tête". Il y aura sur le chemin "le témoignage d'une rose", la banalité de l'eau sur "les murs des villages", le "rire des épines qui chatouillent sous le sapin". C'est ainsi, loin des faux-semblants de la langue et de l'incertitude du poème, en acceptant de ne pas tout comprendre des trames ordinaires, que peuvent apparaître des visages. Celui de la fille aimée quand elle découvre "la lune posée sur le plein jour". Celui d'un crâne même s'il n'est pas beau. Celui d'un "sourire dans le vol des pierres" lorsque les baisers nous soignent.

Par la fenêtre tardive est le cinquième livre de Maxence Amiel. Il touche le lecteur par la profondeur de sa maturité et de sa lucidité.  Il s'attache aux petits pas et aux petits riens qui donnent de la substance au réel, à la façon parfois de Jean-Baptiste Pédini également jeune père de famille et nous aimons cette fragilité obstinée. Pas après pas.

Extraits :

Je voudrais savoir dire

le mot qui sauve.

La lettre qui rassure.

La phrase.

 

Mais chaque signe que je trace

est un nouveau trou que je creuse

comme à mains nues

pour y planter une fleur.

 

Que dois-je faire alors

du petit tas de terre qui reste ?

*

Rester.

Notre seul métier

ici.

 

Nous tenir au chaud

dans les chemins rescapés.

*

C'est te trouver qui dessinait ma route.

Cette seule intrusion dans la demeure obscure

une route droite, longue et tranchante.

te trouver 

engageait le risque. 

*

il ne fait pas nuit

il ne fait jamais nuit

il ne peut pas faire nuit quand je regarde

par la fenêtre tardive

 

et toi qui portes ma main comme un calice

à tes lèvres d'enfant

 

enfant que tu restes avant l'arrivée

ce sera ton chemin, la nuit, peut-être,

à cause de moi ou parce que mon départ

plus tard, peut-être la nuit ton chemin

 

Par la fenêtre tardive de Maxence Amiel est publié aux éditions Aux cailloux des chemins. Il coûte 12 €.

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