"Le haïku a cette propriété quelque peu fantasmagorique que l'on s'imagine toujours pouvoir en faire soi-même facilement.", écrit Roland Barthes dans L'empire des signes. De fait, comme le dit Marc-Henri Arfeux dans son introduction, le lecteur est trop souvent submergé par le [tombereau des anecdotes] que produisent tant de haïkistes dominicaux. Les grands maîtres du haïku parlaient à l'occasion des moustiques et des puces, avec un humour parfois subversif, mais leur ouvrage se trouvait essentiellement dans les suspens dont on cherche à retenir la vision.
Le titre même du livre, Scatti di Luce / Instantanés de Lumière, évoque l'oeil saisi par le surgissement du réel ou, au contraire, à l'affût de sa prescience. Dans la dimension première de ce qui apparaît. Mais comment unir les mots aux images dans le souffle différé de l'écriture ? Pour rester au plus près de la matière qui persiste sur la rétine.
Entre le clair et l'obscur où la lumière hésite, Alma Saporito nous offre des [photogrammes] dont le mouvement compose toutes sortes de géométries, dans les espaces ouverts comme dans les espaces fermés. Sur fond de brume et de marécage, la vie n'en est pas moins là, proche et lointaine, dont le regard s'empare en même temps qu'il la transforme.
Les 12 instants de lumière en noir et blanc / 12 scatti di luce in bianco e nero de Marilyne Bertoncini fusionnent comme une ente avec ceux d'Alma Saporito. Leurs déplis moins resserrés s'attardent davantage autour des oiseaux mais la perception du réel, au ras de l'eau ou "contre le ciel", n'est pas moins fragile. "l'oeil devine plus qu'il ne voit" les coulisses des reflets et des ombres.
Les photographies de Francesco Gallieri entretiennent avec les textes une conversation féconde. Horizontalement et verticalement, elles constituent une écriture souvent au bord de l'effacement. Le noir et blanc y a des fragmentations qui font penser à un miroir avant la brisure. Les pattes de l'échasse blanche, au tracé semblable à un caractère japonais, y résisteront-elles ?
Extraits :
Spazio tagliato
geometria, vita
intersecate
Espace découpé
géométrie, vie
entrecroisées
*
Volano semi
saranno fiori vari
vegetazione
Des graines volent
peut-être des fleurs
végétation
*
Solo sagome
appaiono appena
ma incidono
Juste des silhouettes
à peine apparues
mais elles tranchent (Alma Saporito)
***
Le marécage sent le silence
sous le clapotis de l'eau
une odeur d'algue et d'herbe morte
La palude odora di silenzio
sotto lo sciabordio dell'acqua
un odore di alghe ed erba morta
*
Quel peintre a tracé à l'encre
sur la page du jour d'un blanc étincelant
ces traits qui se diluent dans l'eau morte du marais ?
Chi dipinse con l'inchiostro
sulla scintillante pagina bianca del giorno
questi tratti diluiti nell'acqua morta della palude ?
*
Tout s'embrase et se fige
sous le clou d'or de midi se ferme
ta paupière comme une aile d'oiseau
Tutto divampa e si fissa
sotto il chiodo d'oro meridiano si chiude
la tua palpebra come l'ala d'un ucello (Marilyne Bertoncini)
Ce beau recueil au format italien est publié aux éditions pourquoi viens-tu si tard ? Il coûte 12 €.
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