Klara est une AA, une Amie Artificielle androïde qui fonctionne à l'énergie solaire. Elle attend dans la vitrine d'un magasin que des parents l'achètent pour leur adolescent. Les interactions physiques étant de moins en moins nombreuses dans la société, les enfants apprennent à domicile sur leur "oblong", la présence auprès des jeunes d'un ou d'une AA est quasiment obligatoire. Mais de nouveaux modèles sont déjà disponibles sur le marché, en apparence plus perfectionnés.
Klara ne manque pourtant pas de compétences. Sa locomotion manque d'assurance sur le terrain accidenté de la grange McBain, sa vision globale fragmentée peut troubler brièvement son appréciation des situations ordinaires mais son intelligence et sa mémoire sont très développées. Elle est également dotée d'une grande faculté d'empathie qui l'incite à approfondir ses connaissances de l'âme humaine. Enfin, conformément aux lois de la robotique édictées par Isaac Asimov, elle ne peut commettre aucune action contraire aux intérêts des personnes.
Un jour, alors qu'elle s'ennuie depuis des heures à sourire à d'éventuels clients, elle est remarquée par Josie, jeune fille "pâle et frêle" à la démarche peu sûre. Ses paroles volubiles la séduisent à tel point que, outrepassant ses droits, elle dissuade une autre adolescente de l'acheter. Après plusieurs visites, la mère de Josie se laisse convaincre et Klara réussit ses débuts dans le monde malgré l'hostilité de la gouvernante Melania. Elle entretient avec la fille une vraie complicité et la mère, lors d'une sortie en tête à tête à la cascade de Morgan Falls, lui parle de Sal, la soeur morte prématurément. Puis elle lui adresse une demande étrange. Le lecteur en comprendra mieux la portée quand il sera question du portrait de Josie que M. Capaldi est en train de réaliser. Qu'adviendra-t-il de cette adolescente souffreteuse et de son ami Rick, garçon rêveur qui a élaboré un système d'oiseaux-drones ?
On peut évidemment ranger Klara et le Soleil dans la catégorie des romans de science-fiction politique. Mais c'est bien d'ici et maintenant dont nous parle Kazuo Ishiguro. De nombreuses menaces pèsent sur l'homme et son environnement gravement compromis par la machine tentaculaire Cootings. Il est une marchandise substituable comme a été "substitué" le père de Josie malgré son statut d'ingénieur de haut niveau. Et la substitution commence dès l'enfance. Les meilleurs éléments qui ont des moyens financiers suffisants sont "relevés" et peuvent prétendre aux universités les plus prestigieuses. Les autres sont abandonnés à leur sort quelles que soient leurs qualités. Certains fondent des communautés plus ou moins clandestines et tentent de résister à l'oppression techno-génétique. L'opinion publique, savamment manipulée, traite cette dissidence de complotiste voire de fasciste.
Cela dit, la force du roman tient avant tout à la singularité de Klara. Ses perceptions tantôt morcelées tantôt floues de ce qui apparaît et les interrogations qu'elle en déduit sur la complexité du réel en font une intellectuelle perméable aux nuances infinies du sensible. Elle réussit à s'émanciper de sa condition robotique et devient une machine désirante assortie d'une volonté très ancrée, celle par exemple d'éradiquer toute pollution dans la ville. Enfin, en lui conférant une dimension onirique voire mystique dans son rapport au Soleil, Kazuo Ishiguro campe un personnage plus humain que bien des humains sans désir ni volonté. Sans tomber pour autant dans un transhumanisme suspect. Si perfectionnée soit-elle, Klara ne prendra jamais la place d'un être de chair et de sang.
Klara et le Soleil de Kazuo Ishiguro fait partie de la sélection 2023-2024 pour le prix des Lycéens. Il est disponible en Folio.
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