Les assiettes bordées de jaune on aurait dit
les soleils qu'on voit se balancer
dans les champs de juillet
quelques ombres tombaient d'un tilleul
sur la nappe et roulaient sous les couverts
nous avons bu un pétillant noir
un coup de sang après nos anémies
et des langues ont claqué avec des rires
les muscles reprenaient leur ampleur
dans les chemises froissées
les beaux-frères parlaient de gros cubes
ils avaient du bruit jusque dans les yeux
les enfants jouaient autour du tilleul
et l'un d'eux a demandé
tu crois qu'elle est vraiment morte mamie
le son [i] s'est promené nous l'avons vu
ouvrir dans l'air une trouée
et défaire un nuage effiloché
puis plus rien aucun double fond
où des souvenirs auraient pu végéter
une fille a pleuré sans contagion
l'heure était maintenant à la viande
au charnu croustillant au jus poivré
j'ai senti sur ma nuque une chaleur
piquetée de points luminescents
ils avaient des griffes dans mes os
cela se voyait on me regardait
des fourchettes se sont suspendues
des yeux se sont arrondis
l'ouverture d'une bouteille de vin
m'a sauvé du désastre j'ai tendu mon verre
et mon corps est rentré dans sa peau
j'ai joint mes mots à ceux des autres
qui disaient les petits rien un peu gais
de la vie presque tranquille
systoles et diastoles allant l'amble lent
sur chemin de campagne à faible déclivité
j'ai cru que ça allait durer mais non
nous étions là pour la morte
encore intacte dans son bois de sapin
une fille a évoqué un souvenir
tel jour telle heure à tel endroit
elle avait dix ans et
arrêt de la bande à repasser
une autre fille a dit que non et non
ce n'était pas ce jour-là
ce n'était pas le matin mais le soir
ce n'était pas dans le salon dans la cuisine plutôt
une troisième fille a voulu retrancher
le faux du vrai
le vif saisissant le mort l'emporterait
mais la mémoire a fait des embardées
des courts-circuits des collapsus
et nous avons ri
j'ai repensé à la détonation dans le cimetière
dont personne n'a parlé comme si
un mystère usiné par les chimères
qui restaient dans le ventre des filles
et je me suis raconté d'autres sottises
la morte s'était armée d'un revolver
pour traverser un boyau méandreux
perclus de turgescences
avant le grand passage hypothétique
des fantômes étaient là qui la hantaient encore
sa mère empoisonnée son père atrabilaire
ses collections d'amants à la cloche de bois
alors une balle une seule en plein coeur du vide
pour que la mort rattrape un peu la vie
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