lundi 29 janvier 2024

Ruben Markaryan, Une femme qui va dans la lumière

 

Une femme qui va dans la lumière

Son dos ne dit rien de ses joies

Que les fatigues étreignent

Son regard déroule une ligne

Sous les brumes du fleuve

Compose des plis sans contours 

La ville tarde à se dévoiler

Il faut du temps pour se délier

Du mauvais sommeil

 

Combien de rêves ont encore poissé les draps 

Dans la nuit cernée des chimères 

Il y a eu des cris des pas précipités

Un poing aura cogné contre une porte

La femme imagine un verrou grippé

Et ses genoux craquent un peu

Aller se dit-elle suivre la ligne sans la perdre

Un filet d'eau sur le pavé

Lui montre son visage

Ses yeux ont blanchi 

Et le fleuve a des soupirs contre la berge

Quelqu'un peut-être viendra

Depuis la ligne d'à côté 

Avec un corps trop bas

Le ciel est un poids mort

Dans la  durée suspendue

Sept heures ont pourtant sonné sur le quai 

Une échelle de coupée déplie ses marches

Un hublot s'allume puis un autre

Qui ouvrent le jour

Plus loin le petit train vide des escales

A ses tintamarres entre les pavés

Aller se dit la femme suivre la ligne sans la perdre

Quoi d'autre 

 


Ruben Markaryan, 18 ans et quelques poussières d'étoile, est l'auteur de la couverture de mon recueil bilingue Mis pasos son mis versos paru en décembre dernier aux éditions Tarmac. Il pratique régulièrement la photographie et se penche sur la question du portrait comme sur celle du paysage. Avec un attrait particulier pour les corps vus de dos. Sans doute a-t-il la prescience que les dos sont aussi des visages. Pour en exprimer l'invisible. Dans ses cours Sur la peinture (mars-juin 1981), Deleuze évoque un triptyque de Bacon où il a peint un dos d'homme. " Ce n'est pas peindre un dos, c'est peindre des forces qui s'exercent sur un dos ou des forces qu'un dos exerce. C'est peindre des forces, ce n'est pas peindre des formes. L'acte de la peinture, le fait pictural, c'est lorsque la forme est mise en rapport avec une force. Or les forces, ce n'est pas visible."

Je suis en tout cas bien heureux d'offrir à Ruben ce poème écrit avec son image dans les yeux, en dedans comme en dehors. Il n'a évidemment pas besoin de mes mots pour continuer ses aventures photographiques mais je sais qu'ils l'accompagnent, lentement et sûrement depuis son entrée à l'école maternelle, et c'est un enchantement simple. Même après ma mort, il continuera à dispenser ses charmes qui soignent l'humain malgré l'absurdité du monde.

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