Une femme qui va dans la lumière
Son dos ne dit rien de ses joies
Que les fatigues étreignent
Son regard déroule une ligne
Sous les brumes du fleuve
Compose des plis sans contours
La ville tarde à se dévoiler
Il faut du temps pour se délier
Du mauvais sommeil
Combien de rêves ont encore poissé les draps
Dans la nuit cernée des chimères
Il y a eu des cris des pas précipités
Un poing aura cogné contre une porte
La femme imagine un verrou grippé
Et ses genoux craquent un peu
Aller se dit-elle suivre la ligne sans la perdre
Un filet d'eau sur le pavé
Lui montre son visage
Ses yeux ont blanchi
Et le fleuve a des soupirs contre la berge
Quelqu'un peut-être viendra
Depuis la ligne d'à côté
Avec un corps trop bas
Le ciel est un poids mort
Dans la durée suspendue
Sept heures ont pourtant sonné sur le quai
Une échelle de coupée déplie ses marches
Un hublot s'allume puis un autre
Qui ouvrent le jour
Plus loin le petit train vide des escales
A ses tintamarres entre les pavés
Aller se dit la femme suivre la ligne sans la perdre
Quoi d'autre
Ruben Markaryan, 18 ans et quelques poussières d'étoile, est l'auteur de la couverture de mon recueil bilingue Mis pasos son mis versos paru en décembre dernier aux éditions Tarmac. Il pratique régulièrement la photographie et se penche sur la question du portrait comme sur celle du paysage. Avec un attrait particulier pour les corps vus de dos. Sans doute a-t-il la prescience que les dos sont aussi des visages. Pour en exprimer l'invisible. Dans ses cours Sur la peinture (mars-juin 1981), Deleuze évoque un triptyque de Bacon où il a peint un dos d'homme. " Ce n'est pas peindre un dos, c'est peindre des forces qui s'exercent sur un dos ou des forces qu'un dos exerce. C'est peindre des forces, ce n'est pas peindre des formes. L'acte de la peinture, le fait pictural, c'est lorsque la forme est mise en rapport avec une force. Or les forces, ce n'est pas visible."
Je suis en tout cas bien heureux d'offrir à Ruben ce poème écrit avec son image dans les yeux, en dedans comme en dehors. Il n'a évidemment pas besoin de mes mots pour continuer ses aventures photographiques mais je sais qu'ils l'accompagnent, lentement et sûrement depuis son entrée à l'école maternelle, et c'est un enchantement simple. Même après ma mort, il continuera à dispenser ses charmes qui soignent l'humain malgré l'absurdité du monde.
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