Les premiers émois, les premiers vertiges dans le partage ou la malédiction du feu n'ont pas changé depuis le temps des cavernes. Le futur annoncé est aussi un brasier, une débâcle. "Des milliers de siècles plus tard / il bruine / sur le monde en ruines / il pleut / sur le monde en feu", écrit Tom Saja dans Cette main qui tient le feu.
Les mégalopoles, ces cocons trompeurs, ont remplacé les cavernes et il faut les quitter. Il y a urgence. Le temps n'attend pas. Le corps non plus, dont [l'oeil est en vrac et le poumon déforesté]. Mais l'amour est là ; il sauvera du mal. Commence un long voyage à deux dans un décor en déroute qui évoque les grands romans de l'avenir fracassé, (La Terre demeure de George R. Stewart par exemple). Après bien des péripéties dans une guimbarde bambocharde, avec pour unique boussole les "épaules caramel" de l'aimée, un havre enfin se profile. Défini ainsi dans le recueil, sur deux pages :
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Puis, encore :
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Il s'agit d'un lac à flanc de montagne dont l'eau "épouse la terre comme un jour nous épouserons aussi la terre", avec d'infinies patiences pour que l'amour porte des fruits pleins de promesses. Dans l'ardeur des [mains qui tiennent le feu]. Et Tom Saja, tantôt presque bucolique et tantôt presque trash, de nous livrer une écriture où émotion et humour ont de beaux tutoiements.
Et l'enfant paraît avant que de naître, comme aux premiers souffles du monde, à mille lieues "du monstre aux dents de macadam". Il cogne du poing dans la matrice alors que des "carpes imaginaires" brouillent la ligne du lac. La vie désormais s'organise à trois, dont il faut avitailler le corps et l'âme. Et l'inquiétude affleure entre les joies ordinaires des gâteaux et du chocolat. "l'amour est dans chaque recoin / la mort dans chaque angle mort".
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Et, plus tard, l'enfant aura grandi, le désir en lui comme "un dard invisible" portera loin ses regards et ses rêves. Avec toute la mémoire diffuse des ancêtres de ses ancêtres. Et sa main tiendra le feu.
Cette main qui tient le feu de Tom Saja est un ensemble qu'on peut apparenter au récit et nous en aimons le mouvement qui déplace les lignes, en surface et en profondeur. A la faveur des étincelles que le lecteur ne manquera pas de saisir.
Extraits :
L'aube s'était drapée d'évidence
les oiseaux se découpaient dans les pointillés de la
nuit
et les heures baignées de miel coulaient le long de nos
gorges endolories
le silence m'a laissé comprendre seul
qu'un matin tu partirais
*
Nous offrions la sueur du jour aux rivières vagabondes
avalions des boîtes de conserve froides
avant de dormir sous la chaude lune
dans le murmure des créatures
*
Chacun avait quitté sa campagne d'enfance
rejoint la digestion de la mégalopole
troqué l'ocre du chemin pour les bris de verre
fientes de pigeons et molards en attente
d'évaporation
nos pompes encore parsemées de la poussière d'antan
nos têtes à poux étrangères aux ciseaux d'argent
L'ouvrage est publié aux éditions Exopotamie dans la collection Eclats avec une superbe huile sur toile en couverture signée Xarli Zurell. Il coûte 17 €.
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