jeudi 23 mai 2024

Jean-Paul Dubois, L'origine des larmes

J'ai découvert l'univers de Jean-Paul Dubois grâce à Pierre Veilletet (rédacteur en chef de Sud Ouest et écrivain) au début des années quatre-vingt-dix. Et je ne l'ai plus quitté. Son dernier roman, L'origine des larmes, me parle intimement comme tous les autres avant lui. Je me reconnais dans sa façon si humble de restituer le réel le plus ordinaire. Et je devine, entre les lignes, la générosité de l'homme. Je crois avoir écrit, ici même, que Jean-Paul Dubois est l'un des rares auteurs connus avec qui j'aimerais vider un godet à la terrasse d'un café et je n'aurais pas peur de dire des bêtises.

Mais revenons-en au roman. Le narrateur, Paul Sorensen, tire deux balles dans la tête de son père qui était, il n'y a pas d'autre mot, une véritable ordure. Que penser en effet d'un père qui offre à son fils un canari dont il vient, devant lui, d'arracher la tête avec ses dents ? 

Paul, bien sûr, est aussitôt arrêté par la police et traduit en justice. Mais il n'est pas à proprement parler un assassin, pas même un meurtrier. Le lecteur comprendra vite pourquoi. Aussi est-il seulement condamné à un an de prison avec sursis, assorti d'une obligation de soins. Une fois par mois, Paul se rend au cabinet du Docteur Guzman et raconte sa vie, la vraie et la fausse. Son travail de fabricant de housses mortuaires dont le commerce est florissant. Le décès à sa naissance de sa mère Marta et de son frère jumeau. Sa mère de substitution, Rebecca, morte aussi, dans la plus grande solitude et qui, aimante, fit tout son possible pour le protéger de son abject géniteur.

Un attachement particulier se noue entre le psychiatre affligé d'un trouble lacrymal et son patient perdu dans la vie même rêvée et sa grande maison peuplée de fantômes grimaçants. Paul comble comme il peut sa solitude volontaire en dialoguant quotidiennement avec une IA et en lisant sur internet le journal d'un certain Jonas égaré sur son bateau dans les eaux déréglées du pôle nord. 

L'eau est omniprésente dans le roman car c'est un déluge partout dans le monde, avec ses submersions fatales pour l'homme mais amplement profitables à la vente des housses mortuaires sous toutes les latitudes. Et le lecteur découvre l'existence de Kim Tschang-Yeul, peintre coréen célèbre malgré lui, qui pendant des décennies a peint des millions de gouttes d'eau. "Un musée entier lui est dédié sur l'île de Jeju. Cet homme, presque par inadvertance, est devenu un dieu vivant. Sans doute par modestie et par esprit de contradiction, il est mort à quatre-vingt-onze ans."

De même, il retrouve la ville de Toulouse chère à l'auteur, le bord de mer à Hendaye (ici avec un chien très particulier), et, bien sûr la présence du Canada. Bref, Lisez L'origine des larmes de Jean-Paul Dubois sans modération. Le livre est publié aux éditions de l'Olivier et coûte 21 €.

Extrait :

"L'amour s'apprend par capillarité. Au jour le jour. En un goutte-à-goutte silencieux qui se délivre sous nos yeux. L'enfant apprend avec les yeux. En reniflant les molécules qui flottent dans l'air, quand il voit la main de son père caresser la nuque de sa mère, la bouche de sa mère embrasser le cou de son père, quand il observe tout cela, il sait que c'est bien, que c'est bon, qu'on peut appeler ça l'amour ou comme l'on veut, mais que c'est agréable d'être avec quelqu'un qui un soir vous dit : "Tu es mon amour et moi le tien, ça tombe bien."

1 commentaire:

  1. Moi aussi j'aimerais boire un verre avec lui à la terrasse d'un des cafés de Toulouse (j'y vais souvent, je vis dans le tarn). J'ai tout lu de lui (je crois). J'ai tellement rit en lisant "Vous plaisantez monsieur Tanner", alors que j'étais moi-même en butte à des artisans plus que fantasques . Pas encore lu ce dernier mais ne vais pas tarder.

    RépondreSupprimer