Anne-Marie Durou est fascinée par le monde des coraux, ces créatures dont l'identité continue de féconder l'imaginaire. Leur trinité élémentaire supposée (minéral, végétal, animal) évoque les chimères de la mythologie qui, rappelons-le, assemblaient dans un même corps quelques apparences du lion, de la chèvre et du serpent.
Dans ses sculptures, Anne-Marie Durou associe des matières minérales (céramique, inox), végétales (bois, laine feutrée), animales (cuir) et c'est ainsi qu'elle accouche "d'entités mnésiques" dont le chimérisme pénètre le regard du spectateur. Elle procède à des hybridations du vivant et de l'inerte, de l'intériorité et de l'extériorité qui traversent toute psyché et fondent les mythologies intimes. "Je mobilise mes souvenirs d'enfance pour donner une réalité concrète à une intention intérieure", écrit Anne-Marie Durou. L'acte créateur est ici une volonté de la mémoire. Avec ses flux et ses stases, ses ardeurs et ses réticences. Entre formes inventées et traces gardées. Les sculptures de l'artiste sont autant des sujets que des objets.
Aurore est une pièce murale dont les dimensions varient selon le dépli de sa chevelure inversée sur le sol. Le nœud qui la prolonge, presque fait ou presque défait, est-il à relier à cet espace rouge et rebondi qu'on pourrait dire ventral ? Comment interpréter la végétation racinaire qui en comble les fibres ? La tentation est grande d'y voir le chimérisme fœtal d'une parturiente. Des mouvements cellulaires in utero de la mère à l'enfant et de l'enfant à la mère façonnent les représentations humaines. Combien de métamorphoses en gestation dans l'inconscient obscur, forcément obscur ! Et cependant, c'est une impression de douceur qui touche le regard. Le ventre n'est pas toujours un lieu insécure.
Pendant le confinement, Anne-Marie Durou retrouve une photo de Félix Arnaudin. Un berger sur ses échasses. Son dos couvert d'une toison laineuse se fond dans la lumière de la lande jusqu'à son point de disparition. La sculpture Station métaphorise l'homme qui marche puis suspend son mouvement. Echassier aguerri, il n'en est pas moins fragile sous le poids du ciel qui étire le paysage sans confins. Une parenthèse s'impose et c'est là son refuge. Pour se recueillir avant de reprendre le chemin où tant d'autres pas se sont coulés, hommes et bêtes unis par l'énigme première de l'existence. Mais le spectateur peut aussi s'attarder sur la coiffe écaillée de l'œuvre. Ses arrondis sensuels invitent à une caresse inquiète. Quelque chose de vivant se cache à l'intérieur. Qui incarnerait les vieilles peurs de l'invisible.
Notigirle (de l'anglais naughty girl) attire l'œil. La main a envie d'ébouriffer sa fourrure vert tendre. C'est une bonne fille qui aime se montrer. Mais Anne-Marie Durou dit qu'elle est cyclothymique. La séductrice a aussi des griffes imprévisibles. On ne sait pas pourquoi. Une fêlure probablement, héritée des enfances, qui parfois la rend un peu sotte, un peu potiche. Elle aurait sa place dans un magasin de décoration. En quelque sorte, la pouffe est un pouf. Un objet bio-design aux courbes avenantes. Destiné à la reproduction en quelques établis. D'ailleurs, Anne-Marie Durou aime travailler avec des artisans pour certaines de ses réalisations : couturières, orfèvres, céramistes, peaussiers, serruriers, chaudronniers, métallurgistes. Avec cette recherche permanente de l'équilibre entre la matière, la structure et la forme. Afin d'assurer au mieux l'architecture de soi.
Comme dans les nombreux dessins de l'artiste. Des fragments architecturaux (pylônes, rambardes ou parapets) au tracé méticuleux et sans appui contre le vide retiennent autant que possible l'esprit prompt à chavirer dans ses divagations. A la façon de David Lynch et de Francis Bacon, parmi d'autres...
Anne-Marie Durou vit et travaille à Bordeaux. Elle est soutenue par le Fonds régional d'art contemporain de Nouvelle-Aquitaine et la Direction régionale des affaires culturelles.
Ses œuvres sont également visibles sur Instagram : anne_marie_durou
et ici : http://www.dda-nouvelle-aquitaine.org/anne-marie-durou/
Aurore, 2022
Lycra, cuir, fils polyester, bois (216 x 100 x 20 cm environ)
Station, 2023
Céramique, laine feutrée, bois, inox (75 x 95 x 122 cm)
Notigirle, 2008
Fil acrylique, silicone, lycra, fourrure, bois (32 x 58 x 100 cm)
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