lundi 17 juin 2024

Voix cordillères / Cordillera de voces

 


Voix cordillères / Cordillera de voces
présente 4 voix féminines de la poésie sud-américaine d'aujourd'hui. Ashanti Dinah (Colombie), Belén Zavallo (Argentine), Florencia Smiths (Chili) et Valeria Román (Pérou). 4 univers particuliers dans la perception du corps (physique, symbolique, imaginaire, politique) qui tissent des liens implicites et rassemblent dans ce livre un précipité d'humain à la puissance fragile.

Le corps selon Ashanti Dinah est celui de la femme dans sa nudité la plus animale, souvent bafoué, [jeté à l'outrage des vautours]. Mais c'est un corps solidaire avec les autres corps féminins autour d'une communion sous la voûte céleste. Loin des récits inquisiteurs des religions patriarcales. "Je parle avec la langue amputée de mes ancestresses, elles sont le métier à tisser qui étreint l'humidité de ces mots."

Le corps selon Belén Zavallo est celui des petites avanies ordinaires. La peau qu'il faut enduire pour guérir un zona, une chute après la morsure d'un chien, les mains crasseuses des enfants assoiffés, la mère dont les soucis empêchent ses cheveux de respirer. Mais il y a des oiseaux qui "mangent des morceaux de silence", des fillettes qui se vernissent les ongles. Et la vie va, portée par les gestes du soin et la nécessité d'un peu d'insouciance.

Le corps selon Florencia Smiths est celui de la suffocation par l'écriture même. Quand la mort submerge le réel et que l'oppression de la dictature organise méthodiquement le martyre de la chair partout dans la ville, les gares et les stades, les écoles et les chambres, les usines, les sous-sols, les sexes et les squelettes. Cette présence de la barbarie, au Chili comme ailleurs, cette banalité du mal sans cesse réinventée à coups de tortures électriques.

Le corps selon Valeria Román est celui que le capitalisme réduit à l'état de déchet. De la graisse emballée dans des tissus sans texture et jetables. De la pauvreté matraquée par les grands barnums hollywoodiens. De la soumission au patriarcat du "cycle de production et de reproduction". Dans l'enfer asiatique où même la paix mentale s'achète à crédit chez un banquier sans vergogne. Comment croire, dès lors, à la devise "indépendance, liberté et bonheur" ?

Extraits :

Encontré mis orígenes en los archivos de la selva / en la conjuración del mar / en los cantos encrespados del tambor / en las contiendas de mi alma. / Allí me reinventé, renaciendo en mi ombligo.

J'ai trouvé mes origines dans les archives de la jungle / dans la conjuration de la mer / dans les chants crépus du tambour / dans les combats de mon âme. / Là je me suis réinventée, renaissant par mon nombril. (Ashanti Dinah)

*

Y qué había antes / la cutícula de una vida, el deslumbramiento / la media luna de tus dedos / el polvo abierto / la tijereta corta el cielo / con el filo de sus alas

Et qu'y avait-il avant / les peaux mortes d'une vie, l'éblouissement / la demi-lune de tes doigts / la poussière ouverte au vent / le perce-oreille découpe le ciel / avec la lame de ses ailes. (Belén Zavallo)

*

Estos son los ordenamientos, dijeron / mientras nos sometían a la excavación del mundo / en nuestro sexo / no tenemos mucho tiempo / no insistan en cubrir a sus hijos / los tenemos inventariados como ratones /

Ce sont les ordres, disaient-ils / pendant qu'ils nous soumettaient à l'excavation du monde / dans notre sexe / nous n'avons pas beaucoup de temps / n'essayez pas de cacher l'identité de vos enfants / nous les avons inventoriés comme des souris / (Florencia Smiths)

*

yo, que soy una mujer en sus veintes, con un lugar poco / privilegiado en la cadena de producción ; yo, que poseo / montículos de ropa que ya no uso. que poseo una crisis / sin potencial en su argumento para ser literatura consumible

moi, qui suis une femme d'une vingtaine d'années, qui occupe une place / peu privilégiée dans la chaîne de production ; moi, qui possède / des piles de vêtements que je n'utilise plus. moi qui possède une crise sans potentiel dans sa trame pour être de la littérature consommable (Valeria Román)

Ashanti Dinah est traduite par Patricia Houéfa Grange, Belén Zavallo par votre serviteur, Florencia Smiths par Pablo Fante et Valeria Román par Carlos Olivera. Les illustrations sont signées Andrea Cuevas. La postface est de María Celia Battiti. L'ouvrage est coédité par les éditions KLAC et les éditions Aux cailloux des chemins. Il coûte 15 €.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire