mardi 20 août 2024

Mon groupe d'appartenance

 

Mon groupe d'appartenance n'est pas celui des poètes perclus de métaphores dont les bubons suppurent avant même qu'elles soit dites. Mon groupe d'appartenance est celui des poètes qui bredouillent l'extase matérielle puis se taisent ; pour un peu ils s'excuseraient d'écrire.

Mon groupe d'appartenance n'est pas celui de la culture reçue en héritage dans des salons dorés. Mon groupe d'appartenance est celui de la culture saisie au hasard des solitudes dans les champs de blé et au bon gré des rivières chimériques.

Mon groupe d'appartenance n'est pas celui des universitaires qui vous baruflent les ouillais avec des références plaquées comme du mauvais or sur leurs discours ampoulés. Mon groupe d'appartenance est celui des humbles qui jamais n'oublient ce qu'ils doivent à leur ignorance.

Mon groupe d'appartenance n'est pas celui des coteries juchées sur les estrades du verbe tonitruant avec des hochements de colliers de perles ou de catogan. Mon groupe d'appartenance est celui des voix basses qui échangent des sourires entendus et ne dérangent pas le silence des écarts.

Mon groupe d'appartenance n'est pas celui des sachants qui réduisent l'humain à des bilans comptables au prétexte "qu'il faut être réaliste". Mon groupe d'appartenance est celui des gens invisibles qui m'accompagnent depuis mes enfances, avec leur lucidité rugueuse et leurs éclats de rire.

Mon groupe d'appartenance n'est pas celui des lignes droites dont la vitesse abolit l'humain en ses paysages. Mon groupe d'appartenance est celui des méandres où la lenteur apprivoise le chant des oiseaux comme les idées qui résistent à la puissance.

Mon groupe d'appartenance n'est pas celui des gardiens autoproclamés du bien qui battent et rebattent les planches pourries du prêt-à-penser. Mon groupe d'appartenance est celui des anti-doctrinaires qui mesurent les risques des puretés dangereuses avant d'agir.

Mais mon groupe d'appartenance n'est pas une forteresse assiégée. Je prête l'oreille au policier qui ne sombre pas dans la haine des étrangers. Je prête l'oreille au prêtre qui ne se cache pas derrière ses paraboles et sait tendre la main aux fragilités du monde. Je prête l'oreille au bourgeois déterminé à secourir les plus faibles sans leur demander fidélité. 

D'aucuns, je n'en doute pas, auront le sarcasme à la bouche en lisant mes litanies : "Pour qui se prend-il ! mais pour qui se prend-il ?" Oh ! je tiens à les rassurer. Je ne me drape pas dans les plis de la vertu, n'en ayant pas davantage que la plupart des gens ordinaires auxquels j'appartiens. Je connais mes faiblesses et les idées basses qui parfois me traversent. Qui n'a pas dit, au moins une fois dans sa vie : "Fais chier ce rebeu à cracher par terre, ferait mieux d'se trouver un boulot !", me jette la première pierre. Ou encore : "Sont dégueus, ces gitans, pourraient am'ner leurs vieux matelas à la déchèterie !" Comme si tous les rebeus, comme si tous les gitans... Alors qu'on n'est pas toujours exemplaire. Mais au moins on le sait et on se souvient des petites vilénies que l'on a commises ! Mais au moins on résiste à ces idées basses qui gangrènent l'humain. Et on essaie, même maladroitement, de penser contre  soi-même. C'est-à-dire contre les représentations du monde qu'on croit avoir forgées au fil de l'expérience alors que, n'étant pas meilleur que les autres, on se contente de reprendre les mauvais lieux communs des réactions communes.

Voilà ! Rien d'autre que cet état des lieux flous où je compose avec ma banalité. Peut-être que d'ici ma mort j'y aurai trouvé quelque lumière. A bas bruit.

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