dimanche 4 août 2024

Tamura Ryûichi, Le monde sans les mots, 2


Certains titres, à peine entrevus, vous arrêtent et vous parlent. Le monde sans les mots de Tamura Ryûichi en fait partie. Signifie-t-il un monde où les humains terrassés par le mal absolu sont amputés du verbe ? La fatigue d'être un homme a-t-elle épuisé toutes les ressources de la langue saignée à blanc jusque dans l'usage de l'ordinaire ? Tamura Ryûichi ayant vécu la rupture civilisationnelle que constituent les deux bombes nucléaires sur Hiroshima et Nagasaki, on peut aussi penser à ce que des auteurs comme Paul Celan, parmi beaucoup d'autres, ont dit de cette épouvante ajoutée à celle de l'Holocauste. "Personne ne nous pétrira de nouveau de terre et d'argile, personne ne soufflera la parole sur notre poussière", écrit l'auteur de Fugue de la mort

Après la sidération des Quatre mille jours et nuits,  le lecteur éprouve une suffocation sans rémission avec Le monde sans les mots. Il s'ouvre avec deux questions élémentaires, qui traversent l'esprit en catimini, comme dans un rêve sans bord, à tous les âges. "Pourquoi le petit oiseau chante-t-il ? Pourquoi l'homme marche-t-il ?" Aucune réponse ne saurait satisfaire le poète qui [aurait préféré vivre dans un monde où le sens ne prend pas de sens]. Mais, paradoxal, forcément paradoxal, il ajoute : "Les larmes qui sont dans vos yeux doux / La douleur qui tombe de ta langue muette / Si dans notre monde les mots n'existaient pas / Je les aurais simplement regardées et m'en serais détourné".

Alors qu'en est-il du pouvoir de la poésie ? Le poète se promène dans un parc d'attractions où le visible n'est qu'un trompe-l'œil organisé par l'industrie du loisir et l'illusion des mots ne le berne pas.

"Avec la poésie   ne pense pas construire une maison   ne pense pas acheter des jouets aux enfants   Avec la poésie   ne pense pas donner du soulagement aux cœurs des hommes des différents pays   Avec la poésie   ne pense pas combattre les monopoles   ne pense pas que la poésie soit un moyen de défense   ne pense pas que la poésie soit une arme d'attaque..."

Tamura Ryûichi n'est pas un poète de métaphores en carton pâte. Il ne se dérobe pas devant les coulisses du réel en invoquant des mystiques improbables.  L'expérience de la douleur dans le chaos de l'Histoire avec sa grande hache est aussi une épreuve de lucidité sur les empêchements de l'humain. Notre époque assoupie ferait bien de s'inspirer de cet auteur, assurément l'un des plus grands du vingtième siècle. Nous sommes heureux de le lire et de l'offrir en partage. Pour retrouver, qui sait, le sens du chant de l'oiseau.

Il y aurait encore beaucoup à dire de ce fort volume où le lecteur s'attardera sur les ensembles Matière putrescible et Etude de la peur ainsi que sur la présentation que l'auteur fait de lui-même dans En décomptant à partir de 10

Grâces soient rendues aux éditions La Barque pour cette publication dont le prix de 26 € est justifié par la qualité de l'ouvrage dans sa forme comme dans son fond. N'hésitez pas à le commander sur le site https://labarque.fr/

 

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