La dernière livraison de Dissonances, revue pluridisciplinaire à but non objectif, se penche sur ce qui peut advenir après l'orage. Dans son édito, Jean-Marc Flapp nomme quelques lieux où le tonnerre gronde : Kiev, Gaza, Beyrouth... L'espoir battant plus que jamais de l'aile, le regard s'égare dans toutes sortes d'images, dont celles du poète et photographe Cédric Merland. 19 textes pétris de dissonances les accompagnent.
"Alors, on en est là", écrit Joseph Chantier dans Ciel de traîne. À la fois dans la vie et dans la mort comme le chat de Schrödinger, "dans le désir/non-désir de raccommoder" la mémoire et l'oubli.
Thibault Marthouret, en sa légèreté aigre-douce, se demande ce qui restera "si on se fait la guerre". Seuls les œufs durs résisteront parmi les décombres intérieurs, entassés comme des bâtonnets de craie.
L'état des lieux de Gaston Vieujeux traque le minuscule "au bord des plinthes" et du vide, dans "l'oubli des choses". Tout devient étranger. Les hommes, comme les rues désertes sont [des joints jaunis à changer].
Après l'orage, c'est l'orage qui continue dans Sauterelles d'Élise Feltgen. La mémoire de l'histoire bouscule les cœurs brûlés et "les tartines de confiture n'ont plus de goût". Le chaos des tornades et du feu interdit tout retour à la vie d'avant l'orage.
La gorge arrêtée dans l'artère de Rachel Boyer est un texte-miroir déplié en deux poèmes à isoler ou fusionner selon "une architecture de la cruauté". Le corps est trop défait dans [les veines explosées]. L'enfant à naître n'est qu'un "petit manteau de viande".
Laurence Fritsch tient les comptes de la première guerre mondiale Après les orages d'acier. "300 000 amputés, 42 000 aveugles, 15 000 gueules cassées, 100 000 hommes atteints d'obusite souvent internés". La der des ders n'est pas pour demain.
De fortes pluies s'abattent sur les Tâches de Miguel Ángel Real. Elles gardent la mémoire épineuse de "la lumière de l'enfance". Entre les absences et les présences "au milieu d'un ciel vide", il faut trouver en nous "la force et le silence... pour faire revivre un monde qui fut".
Quelques citations d'après orage, dont celle de Thierry Metz "Un silence. D'arbre abattu.", précèdent le portrait de Cédric Merland, en image et en mots. Le poète publié aux éditions de L'Aigrette, (Là où les ombres, Seuls les vents et Même si), évoque sa recherche photographique. Il essaie de "saisir une part qui échappe. Un ciel, un espace, nous, en mouvement". Ce qu'il éprouve quand il est pris par une photo ressemble qui sait à ses perceptions post-orageuses : "Une tension vécue, perçue. Un soulagement peut-être... Quelque chose s'est passé, se dit-on, qui nous habite désormais et nous fait différent-e de celui ou celle que nous étions quelques instants plus tôt."
Dans sa dernière partie intitulée discursions, le lecteur fera son choix parmi une douzaine d'ouvrages recensés et se plongera dans la rétrovision (carnet) - saison 9 de Côme Fredaigue, entre observations politiques du 5 mars au 31 août et notations intimes. Le 9 mai, "Réponse d'un élève à la question Que voyez-vous dans le regard des autres ? : chez les enfants, l'insouciance ; chez les ados, le jugement ; chez les adultes, la fatigue".
Tout est dit. Exercer sa lucidité pour essayer d'être soi, ne serait-ce qu'un peu, n'est pas de tout repos quand les orages s'amoncellent dans le ciel comme dans les corps.
La revue Dissonances, 64 pages d'élégante facture au grand format, coûte 8 €.
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