Quand ils sont venus chercher les migrants illégaux pour les expédier au Sahara, je n'ai rien dit, je n'étais pas migrant illégal.
Quand ils ont supprimé les aides sociales aux migrants légaux, je n'ai rien dit, je n'étais pas non plus migrant légal.
Quand ils ont interdit aux trans d'exercer dans la fonction publique, je n'ai rien dit, je n'étais pas trans.
Quand ils ont laissé s'organiser des chasses aux homosexuels, je n'ai rien dit, je n'étais pas homosexuel.
Je ne risquais rien. Je restais tranquille chez moi, avec mon aimée, nos livres et nos chats.
Mais ça ne s'est pas arrêté là. Non, ça ne s'est pas arrêté là.
Quand ils ont mis en œuvre la préférence nationale dans tous les secteurs de l'économie, je n'ai rien dit, je n'étais ni arabe ni noir.
Mais ça ne s'est pas arrêté là, non, oh que non.
Quand ils ont incarcéré des dirigeants communistes, je n'ai rien dit, je n'étais pas communiste.
Quand ils ont interdit le journal L'Humanité, je n'ai rien dit, je ne lisais pas ce journal.
Quand ils ont condamné des militants écologistes, je n'ai rien dit, je n'étais pas écologiste.
Quand ils ont réduit à trois mois l'indemnisation du chômage, je n'ai rien dit, je n'étais pas chômeur.
Quand ils ont rétabli la peine de mort, je n'ai rien dit, je n'étais pas condamnable.
Vraiment, je ne courais aucun danger. Je n'avais commis que des péchés véniels. De molles protestations par-ci par-là, quelques appels à la pensée humaniste sur les réseaux sociaux, rien d'autre.
Mais ils ont continué à mettre la liberté aux fers et au feu. Des économistes ont été tabassés dans des commissariats. Des philosophes ont été placés sous bracelet électronique. Des militantes féministes connues ont été interdites de publication.
Je n'étais pas économiste. Je n'étais pas philosophe. Je n'étais que sympathisant féministe. Et ce que j'écrivais n'aurait pas fait de mal à une mouche. Pensez donc ! Des poèmes ! Sur les oiseaux et les jardins, dans la lenteur des regards.
Je ne savais pas que les oiseaux représentaient un danger pour l'ordre nouveau. Je n'imaginais pas que les jardins puissent constituer une menace. J'ignorais que la lenteur était un terreau fertile en indignations.
Un matin, ils sont venus nous chercher, ma compagne et moi. Ils nous ont mis en garde à vue. Ils nous ont posé des questions sur nos activités littéraires. Ils ont tiqué sur trois ou quatre poèmes susceptibles d'être suspects. Puis nous ont libéré avec le sourire : ça va pour cette fois.
Mais ça ne s'est pas arrêté là. L'étau s'est resserré de plusieurs crans. Les bibliothèques municipales ont été fermées. Les écoles de sciences politiques ont été brûlées.
Alors ils sont revenus nous chercher, ma compagne et moi. Nous avons été brutalisés dans les locaux de la nouvelle police de l'ordre nouveau. C'était le dernier avertissement. Nous devions arrêter d'écrire. Toutes les pièces de notre maison étant sous surveillance numérique, notre désobéissance serait aussitôt détectée.
Nous sommes rentrés hébétés, effondrés et personne ne nous a rien dit. Il n'y avait plus personne pour dire quoi que ce soit. Non. Plus personne. Plus personne. Six mois plus tard, ma compagne et moi, nous nous sommes donné la mort.
(En hommage au pasteur Heinrich Niemöller incarcéré à Dachau en 1941 et à son poème Quand ils sont venus chercher. Et en pensant à toutes ces extrêmes-droites bientôt au pouvoir en Allemagne, en Autriche et ailleurs, certaines étant clairement pro-nazies. Et en pensant aussi à Elon Trump, au fou de la Corée du Nord, à Poutine, à Xi Jinping, à toutes les dictatures plus ou moins rampantes à Cuba et au Venezuela, en Argentine, etc.)
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