samedi 8 février 2025

Kiyoko Murata, Le couvreur et les rêves


Minori, la narratrice, vit avec son mari et leur fils dans une résidence pavillonnaire. Sa condition de femme au foyer qui s'ennuie, est évoquée dès le début du roman. "Quand il ne travaille pas, il joue au golf ou passe son temps devant la télévision." Un jour, plusieurs infiltrations d'eau apparaissent dans la maison, venues du toit. Il faut faire appel à un professionnel. Et c'est ainsi que Minori rencontre Nagase. Une longue histoire commence, au Japon et ailleurs...

Nagase n'est pas un artisan comme les autres. Avant de créer sa petite entreprise, il était maître tuilier spécialisé dans la réparation des temples. Un travail de plusieurs mois, voire plusieurs années. Une mystique de la tuile quasiment. D'autant que les couvreurs d'antan y gravaient parfois des messages, humbles ou poétiques, adressés aux puissances de l'invisible. Mais la femme de Nagase est morte d'une longue maladie et il n'a pas pu assister à son dernier souffle. D'idée noire en idée noire, saisi par des vertiges et la tentation de se jeter dans le vide, il a consulté un psychiatre qui lui a conseillé de tenir le journal de ses rêves. Et c'est ainsi que le maître tuilier est devenu un maître en onirisme. "Les rêves sont un moyen pour le cerveau d'éliminer les déchets. À force de les exposer à l'air et au soleil, [j'ai] la tête de plus en plus légère."

 Et Minori, peu à peu, s'ennuie moins. Elle raconte à Nagase son voyage à Paris avec des copines, dans "un quartier désert où, au crépuscule, le soleil est deux fois plus grand. Où les pigeons et les chats parlent le langage humain, où plusieurs étoiles tombent chaque soir avec un bruit sec." Et Nagase propose à Minori de rêver avec elle !

Mais ce n'est pas si simple. Il faut comprendre le fonctionnement du sommeil qui détermine le fonctionnement des rêves. Il faut avoir une représentation précise de l'endroit où l'on veut se rendre en rêvant. Que ce soit sur le toit d'une pagode au Japon ou d'une cathédrale en France. Les détails pratiques pour le voyage onirique comptent autant que s'il était réel. Quelle compagnie aérienne choisira-t-on ? Que mettra-t-on dans les bagages ? Quel hôtel réservera-t-on ? Oh ! bien sûr, il existe des moyens plus commodes pour arriver à destination, se transformer en cygne notamment , mais Minori manque d'expérience. Le rêve, assailli par des intrus, grand tigre ou boule de feu, risque de mal tourner. Et si c'est un rêve à épisodes, étalé sur plusieurs nuits, mieux vaut avoir un bon guide. Afin de "discerner la réalité tangible de la réalité intangible qui [continue] à l'infini". 

Nagase est un bon guide, Minori une apprentie attentive. Ensemble, ils visitent des temples à Kashihara, Nara... En cas de danger, ils se tiennent par la main.  Une chute dans le vide peut survenir à tout moment et certaines sculptures sont imprévisibles si "on pense trop fort à quelque chose". Les disciples éplorés au chevet de Bouddha dans la pagode à cinq étages de Kyoto ont des réactions exagérées. Le bourreau au sommet de Notre-Dame-de-Paris abat sa hache sur les rêveurs impénitents.

Mais Minori pense-t-elle trop fort à quelque chose ? Le lecteur comprend vite que oui. Et Nagase, même s'il dit que "le désir de posséder quelque chose, le désir tout court, l'attachement à soi-même, disparaissent avec le corps", pense aussi trop fort... Les rêves endormis et les rêves éveillés se tuilent sur des charpentes fragiles, c'est bien connu...

Le couvreur et les rêves de Kiyoko Murata, si fantastique soit-il, n'en aborde pas moins les contingences de la vie ordinaire dans le Japon contemporain. Nagase, victime de clients indélicats, boucle mal ses fins de mois. Minori se lasse des tâches ménagères. Sa participation au club-lecture de son quartier n'est pas un bol d'air suffisant. Alors, quand elle rencontre Nagase dans un café pour préparer un nouveau rêve et qu'il l'instruit des différences entre religion bouddhique et religion chrétienne, son horizon prend de l'ampleur...

L'ouvrage, traduit par Sophie Refle, est publié chez Actes Sud. Il coûte 22, 50 €. 

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