vendredi 28 mars 2025

Des lycéens parlent avec Montaigne


Pendant toute une année scolaire, des élèves de la section Arts appliqués au lycée du Mirail à Bordeaux ont parlé avec Montaigne. Leurs professeurs, Christine Saint-Geours des éditions Aux cailloux des chemins et le comédien Éric Sanson se sont joints à cette conversation philosophique. Alors que notre époque est menacée par tant de dangers idéologiques et religieux, ce projet culturel apparaît comme une résistance aux offenses faites à l'humain.

Sans jamais souffrir de "pesanteurs de tête", tenant au mieux leur assiette sur le chemin traversier des concepts, ces élèves ont traduit en dessins, peintures et collages, photographies, la pensée de l'auteur des Essais. 25 cartes postales accompagnées d'une citation sont réunies sous un coffret intitulé Montaigne "Le reflet d'une vie", avec cette exergue : "Je veux qu'on m'y voye en ma façon simple et ordinaire sans estude et artifice ; car c'est moy que je peins." L'humilité toujours, de notre voyageur en Italie, tantôt épicurien et tantôt stoïcien, qui savait se tenir gai jusque dans la tristesse. 

Voici quelques-unes de ces cartes postales, loin des pixels foutraques des téléphones portables...

"Quand on me contrarie, on éveille mon attention, non pas ma colère."

La colère est inféconde car ses excès font perdre la raison. Mieux vaut essayer de garder son sang froid afin d'analyser la situation qui a conduit à la contrariété. C'est là tout un travail dans la vie ordinaire.
 

 

 

 

 

"Philosopher, c'est apprendre à mourir."

Apprendre à mourir est bien difficile puisque la mort est inconnaissable. Cependant, on peut essayer d'apprivoiser l'idée de notre finitude. Pour que les instants vécus dans la banalité des jours se tiennent un peu gais même quand l'humeur vire au sombre.
 

   




"Je ne peins pas l'être. Je peins le passage : non un passage d'âge en autre, ou, comme dit le peuple, de sept en sept ans, mais de jour en jour, de minute en minute."

L'être se saisit davantage dans les durées minuscules, les gestes les plus humbles, les pensées les plus fragiles que la mémoire entretient, ou pas. Ajoutons qu'au seizième siècle la grande faucheuse avait le bras vigoureux. La mortalité infantile et celle des femmes en couches était très importante. Les épidémies décimaient les populations. Alors, sept ans c'était bien long pour attendre de vivre...

 

 

"Que sais-je ?"

"Je sais que je ne sais rien", disait déjà Socrate. La terre est si vaste, le ciel si infini. L'homme se perd aussi bien à l'intérieur de lui-même qu'à l'extérieur. Tant d'énigmes auxquelles les livres n'apportent pas de réponses. Et ça reste vrai au XXIe siècle. Malgré toutes les sciences. Le cerveau, par exemple, demeure un continent à moitié inconnu. Quant à l'origine de la vie, avec Dieu ou sans lui, on n'a pas fini de chercher, de se tromper, d'approcher une vérité qui aussitôt s'éloigne. Mais c'est peut-être parce que nous ne savons presque rien que les arts existent. L'ignorance est féconde dans sa volonté d'élucider les mystères qui nous constituent.


 

 

"La plus grande chose du monde, c'est de savoir être à soi."

En écho, Rabelais disait que science sans conscience n'est que ruine de l'âme. Savoir être à soi demande d'abord de savoir être soi. Rien n'est plus difficile. Surtout si on a la tête malformée par les réalités alternatives qui pullulent partout sur nos écrans et alimentent les instincts les plus obscurs de l'humain. Comment savoir être à soi pour savoir être aux autres, voilà une question qui déborde les siècles.

 



Montaigne "Le reflet d'une vie" est publié aux éditions Aux cailloux des chemins dans leur collection Vu Par en partenariat avec le collectif Ad Radicem. Retourner à la racine des choses et des êtres, questionner encore et encore leurs commencements pour comprendre le tangible maillé d'intangible, jusqu'à la fin des temps... Le coffret, disponible en librairie, coûte 25 €.

Ps : Chères lycéennes et chers lycéens, je devine que l'expérience que vous avez vécue durera longtemps en votre mémoire. Mes petits commentaires sous les citations de Montaigne ont été écrits sans prétention, quasiment à brûle-pourpoint, au feeling quoi. Certains d'entre vous souhaiteront en savoir plus sur Montaigne. Je vous conseille vivement ces deux ouvrages, faciles à lire :

Antoine Compagnon, Un été avec Montaigne, France Inter / Éditions des Équateurs, 2013

Ainsi parlait Montaigne, Dits et maximes présentés par Gérard Pfister, éditions Arfuyen, 2021

Enfin, tout simplement, je vous dis un grand merci pour la beauté de votre travail.

 

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