jeudi 3 avril 2025

C'est pas faux


A - C'est pas faux. Je m'en suis aperçu ce matin, le soleil s'est levé comme d'habitude.

B - Mais peut-être que, on sait jamais, hein, ce qui peut arriver. Un jour, ça sera la nuit définitive et on mettra du temps à le comprendre.

A - J'imagine quand même qu'il y aura des signes avant-coureurs. Les bruits par exemple.

B - Ooof ! Les bruits c'est pas facile à deviner.

A - Ils sont plus sourds.

B - Ils sont moins nombreux.

A - C'est pas faux. Si je sors ma poubelle à six heures du soir, y'a plus de bruit que quand je la sors à onze.

B - Hum ! Quand la nuit sera définitive, il n'y aura pas que les bruits.

A- On verra bien. En tout cas, on a intérêt à se préparer. 

B - Bah ! Y'a pas le feu. 

A - C'est pas faux. D'autant que le feu c'est autre chose.

B - Oui. S'il tombe du ciel c'est pas la même histoire que s'il monte de la terre. 

A - Dans les deux cas, les gens auront peur. Les plus allumés croiront que c'est la fin du monde. Il y aura des suicides, des meurtres.

B - Faudra faire attention. Je resterai sur mes gardes. Je mettrai mes chaussures de marche et un bonnet. C'est une bonne protection, contre le feu.

A - C'est pas faux mais insuffisant. Quand je sortirai ma poubelle, je prendrai des précautions plus sûres. Je pense à ma voisine, la nuit définitive, ça va la chambouler pour de bon. J'aurai peur qu'elle me saute dessus.

B - Ooof ! Nous aussi on s'ra chamboulés. Mais grâce à mon bonnet. Et à mes chaussures, même si j'ai jamais su marcher droit. 

A - Pour le moment le soleil continue de se lever, c'est l'essentiel. Inutile de...

B - Oui, mais il est plus pâle. Hier, il avait un trou au côté droit.

A - Un trou ? 

B - Absolument. Je l'ai vu bouger. J'aimerais savoir d'où il vient.  

A - Impossible. La plupart des trous n'ont pas de bords. La nuit définitive non plus. 

B - Eh bien ! on en inventera. On s'y cramponnera. J'aurai des crampons sous les pieds et dans les mains.

A - C'est pas faux. On se transformera en ventouses. 

B - Et la vie sera plus lente. C'est l'idéal dans la nuit définitive. On saura mieux s'apprivoiser. 

A - À la condition que le trou dans le soleil... S'il gagne du terrain en haut il en gagnera aussi en bas. Dans les rues, les champs, les bois. 

B - Mais pas dans nos têtes. Elles résisteront aux trous.

A - J'en doute.

B - Ah ? 

A - Ben oui. Des trous dans la tête, on en a toujours eu.

B - Plus ou moins.

A - Plutôt plus que moins. La nuit définitive aggravera le phénomène. Les trous sont liquides. Ils couleront sur nos épaules, se glisseront sous nos aisselles, etc. 

B - Tu veux dire que tôt ou tard ils atteindront notre cœur ? Puis...

A - Tout le reste oui. 

B - Jusqu'à ce qu'on disparaisse ? 

A - C'est pas faux. C'est même inéluctable.

B - Brr !

A - Bon. C'est pas que le temps m'dure mais je dois rentrer ma poubelle. Elle fuit du côté droit. Regarde !

B - Aaah ! t'as raison. C'est pas faux. 


Image : Anne-Marie Durou

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