jeudi 6 mars 2025

Le printemps des poètes sans les hirondelles


Le printemps des poètes revient mais en 2025, le voilà déjà moisi entre les pieds. Les hirondelles restent avec les mélancolies sous les auvents. Les chats ne se promènent plus parmi les livres. Les loutres de Mingarelli repoussent les murmures de l'eau loin des rocailles. Les abeilles, naguère ivres de leur vol fou, s'empalent sur les épines des roses. Les papillons suffoquent dans la tourbe des marais. Et les mots s'en ressentent qui ne vont plus en procession de la terre jusqu'au ciel. Ils ont du plomb dans l'aile. Ils ont le crin poisseux des beautés maquillées. La glu des métaphores étouffe leur chant. Le marécage ésotérique empoisonne leur audace. Les vers sont des vermines borgnes. Les vers sont des arbrisseaux sourds. Ils ne voient plus le monde. N'entendent plus les soupirs montés des fondrières. Ils rampent sur des tréteaux bancals et accouchent du vide. Ils courtisent les patronnesses mal peignées des clubs. Ils se tortillent devant les tenanciers des maisons de passe. 

Les hirondelles, les chats, les loutres, les abeilles et les papillons pressentent qu'ils ne survivront pas à la défaite de la poésie. Mais comment la réenchanter ? Avec qui ? Quelques fiévreux déparlent encore quand la nuit blanchit les ombres. Leurs yeux chavirent. Leurs bras ont des remuements d'aiguilles sèches. Et ça crisse et ça crie. Là où ça crasse et macère. Dans le sang caillé des cicatrices. Dans les rires édentés qui chancèlent. Une hirondelle parfois se juche sur une épaule. Un chat parfois se frotte contre une jambe cependant qu'une loutre ondule et bat des cils. Et les abeilles et les papillons vibrionnent. La fièvre se retire dans ses plis. Les visages apaisent les tourments du corps. Des mots assemblent des murmures traversés de vents ou de pluie. Le jour dessine quelques joies minuscules. Un brin d'herbe ici, un caillou là. Il n'en faut pas davantage pour esquisser un paysage. Ses traits apprivoisent lentement l'invisible. Un autre brin d'herbe apparaît, penché sur un autre caillou. Et c'est bientôt tout un chemin remonté des enfances. Avec sa poésie du peu. Le peu d'une goutte blanche le long d'une tige. Le peu d'un éclat d'argent sur la pierre sombre d'un appentis. Ces images-là, simples et nues, qui durent longtemps. Dans les scissures de la boue comme dans celles du ventre. Le cerveau les retouche après qu'elles ont baigné en ses flux magnétiques. La goutte roule au bord de la chute. L'éclat d'argent bondit de pierre en pierre. Quelque chose va survenir. Les remuements d'une course dans un champ de corbeaux. Les plaintes d'une ombre derrière une palissade. Le profil d'une lame brandie au-dessus d'un billot. Un cri s'en suivra qui plantera ses aiguilles sur la peau d'un rêveur inquiet de naissance. Il aura en se réveillant le pas lourd des mémoires disloquées. À moins que. Les coulisses du cerveau recèlent tant d'échappées. Le rêveur appellera Mingarelli. Il arrivera avec ses semelles de neige et d'écume. Il laissera parler ses yeux. Ils diront que la palissade et l'appentis sont des mirages et qu'on peut les apprivoiser. Puis le poète, entouré de ses loutres, sera rejoint par les hirondelles, les chats, les abeilles et les papillons. Il y aura un long silence. Un silence d'avant les commencements. D'avant les premiers soupçons.  Quand la matière générait des extases matérielles sans falbalas. Et Mingarelli donnera la parole aux hirondelles :

- C'est parce que nous avons rejoint notre mélancolie que les assombries ne nous tueront pas.

Puis aux chats :

- C'est parce que nous cultivons notre ironie que nous ne redoutons pas les drones qui transpercent les nuages.

Puis aux abeilles :

- C'est parce que nous avons appris à nous méfier des roses que nous ne sommes plus dupes des propos mielleux.

Puis aux papillons :

- C'est parce que nous résistons aux vapeurs des marais que nous déjouons les exhalaisons guerrières.

Et les loutres auront le dernier mot :

- Nous avons voyagé avec Mingarelli pendant des années. Sur terre et sur mer. Nous avons marché dans des rivières et suivi le sillage des milans sous l'azur. Nous avons entendu des enfants naître et des combattants mourir. La solitude nous a souvent rendu visite. C'est une comédienne sans égale. On la croit cafardeuse et la voilà qui danse en tirant la langue. On la croit joyeuse, prête à minauder, et la voilà grimée en cavalière de l'apocalypse, à hue, à dia, empirant le pire et perdant tout empire. Elle nous sauve pourtant, si nous faisons bon usage de ses présences. La poésie, consciente en ses fièvres de la fragilité n'est pas condamnée à la défaite. Le moisi entre les pieds n'est pas une fatalité. Il provient d'une nécrose tissulaire imputable à la position des mal assis sur leur trône de guingois, laquelle génère aussi des plaques d'athérome et des glaires œsophagiques. Un seul remède : la marche dans tous ses états. La marche qui flâne. La marche qui butine. La marche qui ricoche. Flâner, butiner, ricocher. Les poètes qui ne marchent pas sont des charognes. Infâmes. Forcément infâmes...

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire