Comme Michèle Desbordes et Hubert Mingarelli, Éric Holder fait partie des auteurs que j'aime et dont on ne parle plus guère. Mademoiselle Chambon est un roman bref où la poésie laisse pressentir le drame qui se joue entre Antonio le maçon portugais et Véronique Chambon l'institutrice de son fils Kévin. Avec si peu de mots, si peu de gestes. Et le mystère reste entier : comment deux individus, au premier regard, entrevoient qu'ils sont faits l'un pour l'autre ? Anne-Marie, la femme d'Antonio, devine cette cette attirance contre laquelle elle ne peut rien. Même la bourgade assoupie de Montmirail a des intuitions. Véronique Chambon n'est plus exactement la même quand elle marche dans la rue. Antonio n'est plus exactement le même sur les chantiers. Un jour, Véronique lui demande de remplacer une fenêtre chez elle. Une audace qui la dépasse, jusqu'à regretter son désir, et plus elle le regrette plus il la taraude. Antonio découvre une intimité dont les signes lui échappent. "Lui qui n'était pas grand se trouvait soudain trop lourd au centre de cette pièce." L'institutrice est musicienne. Elle a deux violons dont un muet pour ne pas déranger les voisins quand elle s'entraîne. À dix-sept ans, elle a accompagné son amie Mathilde à Pleyel dans une sonate de Fauré. Mathilde est devenue une pianiste connue qui donne des concerts à l'étranger. Véronique, pourtant troisième prix de violon au conservatoire de Troyes, est devenue institutrice. Quelque chose, sans doute, lui aura manqué, un défaut minuscule de sa présence au monde peut-être. Les destinées tiennent à si peu, parfois...
Quand la pose de la nouvelle fenêtre est terminée, Antonio formule à son tour une demande audacieuse : "C'est stupide... J'ai presque fini, et je pensais... Ce serait un air... Enfin, vous n'appelez peut-être pas ça un air... Il montrait le violon. Je n'ai jamais vu ça qu'à la télévision." Alors mademoiselle Chambon joue Bartók et offre au maçon son récital pour violon seul enregistré lors d'une diffusion sur France-Musique.
Extrait :
"C'était un de ces sentiers dont même les cadastres ne gardent pas la trace, et qui ne servent qu'à amener les tracteurs un champ plus loin. Il n'aboutissait à rien, c'est-à-dire au sommet de la colline, d'où l'on pouvait voir, au-delà de l'étendue du blé qui commençait à se former, Montmirail...
... Plus tard, souvent, il reviendra au bout de ce chemin. Le blé mûrira, des orages auront créé des verses dans les épis. Puis, la moissonneuse passée, ce sera sur les chaumes que planera la sonate pour violon seul, toutes portières ouvertes, tandis qu'il verra les cheveux courts et noirs effleurer l'instrument, enfin ce sera sur la terre nue, remuée à grosses mottes, épaisse, huileuse presque, des corbeaux s'y abattront, mais là, ce sera l'hiver, et la chape posée sur le souvenir de mademoiselle Chambon regardant comme lui les champs en juillet."
Éric Holder s'est suicidé en 2019 dans sa maison du Médoc, deux mois après le décès de son épouse, l'éditrice Delphine Montalant.
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