Touroum bouroum est une revue littéraire en langues des Pyrénées et du monde. Le français parle à l’espagnol qui parle avec le basque et l’occitan leur répond. C’est tout un dévalement par monts et vallées de palabres roulant leurs échos. L’universel étant le local moins les murs, l’anglais fait également résonner dans cette douzième livraison ses embruns maritimes. Et le polonais lui donne la réplique avec deux ou trois notes de Chopin qui n’aimait pas le brouillard de Manchester.
Les 198 pages de cette revue au format carré accueillent de nombreuses contributions écrites et visuelles. Dans Meta verso (Méta vers ˂ ˃ métavers), Miguel Espejo questionne longuement l’illisibilité de l’humain, entre sciences et métaphysiques, des commencements utérins jusqu’aux « multivers informatiques où ne reste pas le moindre lieu pour les cimetières de la poésie ». Le langage n’est plus qu’un fracas d’algorithmes et de drones. L’inventeur de la bombe à neutrons aura-t-il le dernier mot, avant la fin… ?
Julie Nakache n’est pas moins crépusculaire avec Des yeux contre l’écorce / Ojos contra la corteza. La mémoire primordiale de la Terre, en ses racines et ramures, dans le bas et dans le haut, rassemble « les vivants et les morts [qui] se donnent la main ». Reste un « merle dans la pluie » malgré « les forêts noyées de Walden et leurs oiseaux engloutis ». Et la présence de la poésie. Pourra-t-elle suspendre [la fin des jours dans nos vies]… ?
L’ensemble Maresía / Souffle marin de Marina Aoiz Monreal prête l’oreille à la mer sans cesse recommencée, cet « utérus géant qui exige ma présence ». Dans son long dépli anaphorique La mar, l’auteure poétise tous les visages du miroir du ciel. La mer enceinte du sel, la mer des regards fatigués, la mer mendiante et suintante, la mer qui « accueille les morts de tous les rivages » et nous interpelle. Mais qui sait vraiment l’entendre… ?
Le ton du Lituanien Saulius Vasiliauskas est également remarquable. Qu’on lui dise qu’il écrit « comme avec une patte de poule » ou qu’il soit assis pendant la Nuit des musées dans un char de l’époque soviétique à observer les selfies d’un ado devant une fusée qui « pourrait porter une ogive nucléaire », on retrouve dans ses vers l’ironie désabusée voire fataliste des écrivains de la Mitteleuropa comme Bohumil Hrabal ou Jaroslav Hašek. Les menaces qui pèsent aujourd’hui sur la région sourdent-elles sous les mots du poète… ?
Quelque chose a bougé de Brigitte Giraud est un long suspens entre « Elle et lui » aux accents durassiens. Comment saisir un peu l’indéfini si « l’amour est une dissonance sur un trottoir mal fagoté » ? Les mots ne sont jamais sûrs sur l’introuvable bout de la langue et ils susurrent « dans nos veines et le ventre ». Et la vie va en voix off qui ne s’appartient pas. L’image d’un homme penché sur des mots dans un bar passe en même temps que celle d’un tram. Mais comment les prendre ensemble, dans quel souffle… ?
Les idées vont et viennent comme les feuilles rouges du bois dans le vent. Si hubiera un tiempo d’Oscar Gallardo cherche l’improbable durée quand on a quelque chose dans la tête, qui nous traverse sur la pointe des pieds. La mémoire n’en pèse pas moins lourd et l’espace manque au temps pour devenir air et terre. Naître et renaître chaque jour à une aube nouvelle permet-il de transformer l’erreur fondamentale d’être là… ?
Parmi les contributions plus brèves, notons le Soleil d’Estela Puyuelo qui « se coupe au couteau des nuages », l’Approche d’un rêve d’Amaia Iturbide sous la forme d’un « coupé des années 30, soudé pièce à pièce » et S’échapper de Mélanie Cessiecq-Duprat dont « le petit moi s’est envolé comme l’oiseau ce matin avec le café… [et] rode encore à la surface d’une eau vive ».
Dans le domaine du visuel, le regard s’attarde sur les Paysages d’hiver d’Emmanuel Doser et les Mujeres escritoras de Marisa Gutierrez Cabriada. Nous voyons notamment Elena Poniatowska écrivant sur Leonora Carrington et l’Hommage à Siri Hustvedt avec oiseaux que nous aimons tant*. Signalons enfin la rocaille suspendue à des barbelés qui rapproche le lointain de Cécile A. Holdban.
Soutenue par l’Institut Culturel Basque, Touroum Bouroum est publiée par l’association Les mots perchés sise à Bayonne. Elle coûte 15 €.
*Siri Hustvedt a récemment publié un essai intitulé Mères, pères et autres où elle évoque, parmi bien des sujets, celui du chimérisme fœtal. L’ouvrage est chroniqué sur ce blog.
Votre serviteur est également présent dans cette douzième livraison de la revue.
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