Il y a quelques semaines, je me suis fait traiter de "suprématiste blanc" parce que je ne parle jamais de Gaza dans mes messages sur Facebook. Naguère, postant une chronique sur Tristesse de la terre, récit d'Éric Vuillard qui évoque l'extermination des Indiens aux États-Unis et la falsification de l'histoire dans les spectacles de Buffalo Bill, j'ai, pour la première fois, osé en préambule cette allusion : "Des Indiens en Amérique aux Gazaouis au Moyen-Orient, la comparaison vient vite à l'esprit, hélas !"
Deux commentaires m'ont aussitôt alerté. Le premier : "Comparaison n'est pas raison...". Le deuxième : "Ce peuple a voté pour le Hamas. Il doit être dénazifié. Le comportement des Gazaouis les a déshonorés pour toujours. Quand on pisse contre le vent, on se rince les dents."
Il est toujours bon de rappeler que comparaison n'est pas raison. Qu'elle vienne à l'esprit ne constitue pas une erreur si l'on s'en détourne rapidement. Il s'agit-là d'un travail de fond où la pensée doit se méfier des émotions qui la traversent et faussent l'entendement. J'essaie de m'y employer avec mes connaissances dont je vérifie en permanence la validité. Le deuxième commentaire me laisse en revanche perplexe. Il me fait penser aux propos de Sarah Nietzsche qui voit des nazis partout. "Netanyahu est un nazi. Macron est un nazi. La France est nazie. L'Europe aussi en grande partie."
Comment voulez-vous que je me dépêtre d'un tel salmigondis ? Assimiler le terrorisme islamique et sa dictature sanguinaire au nazisme me laisse pantois. Assimiler le peuple israélien au nazisme suffoque le peu de compréhension que j'ai du monde. Ces imprécations sont l'expression de forteresses vides. Du nazisme pandémique à l'islamo-gauchisme enkysté, en voilà des stigmates ! Et c'est ainsi que la vérité des invariants de l'Histoire disparaît dans le tohu-bohu des passions délétères. Les mécanismes du désir de possession et de la volonté de puissance, à l'œuvre depuis la sédentarisation de l'humain et le marquage territorial du concept de propriété, ne sont plus questionnés en se déprenant de la figuration stérile des camps retranchés. Dès lors, toutes les conditions sont réunies pour que, bientôt, nous vivions dans nos villes et dans nos campagnes des affrontements sporadiques assimilables à une guerre civile.
Cela dit, et c'est bien peu, j'en ai conscience, revenons-en à Gaza. Comme tout le monde, les attentats du 7 octobre m'ont tétanisé. Cette date restera longtemps dans les mémoires sans qu'on ait besoin d'en préciser l'année. L'épouvante islamique en Palestine, au Liban, au Yémen, en Iran et ailleurs est à combattre sans relâche avec les moyens légitimes des conflits armés tels qu'ils sont définis par les conventions internationales. La réplique du gouvernement israélien et de Tsahal fut donc légitime contre le Hamas et le Hezbollah. Seulement voilà, organiser l'élimination de ces mouvements diaboliques ne doit pas justifier l'élimination programmée des peuples. Faut-il rappeler cette évidence ? Les premiers bourreaux des Palestiniens sont les chefs et les sbires du Hamas. Et Netanyahu pourrait devenir le bourreau de son peuple en fabriquant à coups de bombardements aveugles des légions de terroristes parmi les enfants affamés... Son désir revendiqué de déporter les rescapés en Afrique noire est une abjection supplémentaire.
Faire ce constat, signifié par des israéliens de plus en plus nombreux, y compris des survivants d'Auschwitz, des dignitaires de l'armée, des écrivains comme David Grossman... ne constitue pas un péché d'antisémitisme. De même, défendre le peuple palestinien ne fait pas de ces personnes des islamo-gauchistes. C'est, là encore, un néologisme vide dans la forteresse vide des imaginaires empêchés... Celui, par exemple, de Bernard-Henri Lévy, homme d'affaires et philosophe en lavallière.
Voilà. Je ne suis ni nazi, ni suprématiste blanc, ni islamo-gauchiste. Je me suis définitivement détourné de La France Insoumise qui a tant tardé à reconnaître l'horreur du Hamas. Je ne lui pardonne pas cet enlisement idéologique. Je ne pardonne aucun enlisement idéologique, qu'il émane des extrêmes de notre échiquier politique ou du centre qui signe une autre forme d'extrémisme, celui du libéralisme et du capitalisme. J'essaie, je l'ai déjà dit, de garder mon assiette comme Montaigne le fit pendant les guerres de religion au seizième siècle. Et, comme Wittgenstein, je tente, certes maladroitement, de détricoter l'écheveau des représentations philosophiques et politiques avec mes deux hémisphères. De la même façon que, marchant et rêvant dans les rues de mon quartier, je m'appuie sur mes deux jambes, hésitant, forcément hésitant, mais convaincu que l'humain n'est jamais tout à fait mauvais.
L'espoir luit. Je ne pisse pas contre le vent. Mes dents sont trop fragiles.
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