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Mon blog est celui d'un butineur effaré dans tous les champs du savoir. Et c'est ce même butinage qui m'a conduit à écrire des livres.

dimanche 3 août 2025

Le vieil homme et les oiseaux


Ce matin du dix juillet, à dix heures moins dix, me rendant à la librairie Mollat, j'ai vu un vieil homme assis sur un borne en haut de la rue Sainte-Catherine. Une barbe poivre et sel effaçait son visage mais pas sa main tendue aux trois oiseaux qui picoraient quelques graines. L'apparition de cette image m'a d'autant plus saisi qu'elle indifférait autour d'elle les figurants hébétés du quotidien. Quelques-uns, attroupés devant une sandwicherie, le regard vide, mangeaient du cholestérol. D'autres, avec leurs écouteurs à fond dans les oreilles, se laissaient déchirer par du rap ou de la techno. Cependant que le ballet des poches bourrées de fringues en solde, si tôt déjà embouteillé, signait l'absurdité du monde.

À quelques mètres de là, le tram B chuintait ou grimaçait. Je l'entendais mal. Tout mon corps était suspendu aux oiseaux autour de la main. Ils n'avaient pas peur. Ils connaissaient les gestes du vieil homme qui, probablement, avait là ses habitudes. J'ai voulu m'approcher de la scène, saisir de plus près les volètements que les grains attisaient, deviner les becs tout à leur gourmandise. L'envie m'a pris, travers coupable, de sortir mon téléphone pour photographier la scène. Et donc de la poster sur les réseaux sociaux. Les oiseaux, comme les chats, génèrent beaucoup de clics émoustillant les endorphines. Un peu de raison m'a ressaisi et j'ai passé mon chemin. Dans la librairie, j'ai oublié le vieil homme et les oiseaux. J'ai musardé du côté des écrivains japonais. Je suis allé voir les nouveautés dont la plupart sont déjà vieilles et ai découvert Chambre 908 de Sara Bourre, avec le pressentiment qu'un trésor s'offrait à moi. Puis j'ai papillonné, comme toujours je papillonne là, d'un titre à l'autre, sans lire vraiment, et quelques mots auront déposé en moi un peu de leur substance. 

À peine sorti de la librairie, la scène du vieil homme et des oiseaux m'a aussitôt ressaisi. Je n'ai pas cherché à la revoir. Je suis resté dans son surgissement. La seconde où un phénomène apparaît détermine bien des durées dans la mémoire. Qui tiennent à l'environnement de l'apparition. Cette rue-là, ouverte sur une grande place de la ville avec son théâtre et plus loin sa colonne des Girondins, traversée d'espaces flous mal emboités sous un soleil montant. Cette heure-là, encore matinale, occupée déjà par des touristes volubiles ou étourdis dans le roulis des valisettes. 

Un mois presque a passé. Quelqu'un a peut-être photographié l'homme aux oiseaux sur la borne. Ou il aura fait une vidéo. Sur laquelle on entend des conversations. Les oiseaux ne manquent pas de bagout. Le vieil homme non plus, quand la solitude plombe.

Photo d'un hippocampe feuillu à Mouguerre au détour d'un talus. 

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