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Mon blog est celui d'un butineur effaré dans tous les champs du savoir. Et c'est ce même butinage qui m'a conduit à écrire des livres.

jeudi 7 août 2025

Sôseki, Oreiller d'herbe ou le voyage poétique


Oreiller d'herbe ou le voyage poétique
de Sôseki n'est pas vraiment un roman, plutôt un récit voire un journal où se mêlent, parmi mille et une choses vues dans les paysages, philosophie, critique littéraire et picturale, considérations religieuses et propos sur la culture occidentale. L'humour y a aussi sa place et le lecteur s'en réjouit. 

Par monts et par vaux, le narrateur fuit la civilisation pour "s'exercer à l'impassibilité". Il marche longtemps, s'arrête devant des champs de colza et devine les trilles de l'alouette sous l'azur. Il imagine le tableau qu'il pourra peindre, les haïkus qu'il pourra écrire. Il jette quelques traits ou quelques mots sur son carnet, dont il n'est jamais satisfait, et raconte ses tentatives pétries de repentirs.

Après une halte dans une maison de thé, il va jusqu'à la station thermale de Nakoi et loge dans une auberge où vit la belle Nami. Son visage est d'autant plus insaisissable que son histoire est peu commune. Le Japon du début du vingtième siècle, bien que tenté par l'occidentalisation, n'aime pas les femmes libres, ces audacieuses qui osent se promener toutes seules. Nami a quitté son mari et ne s'en cache nullement, le revendique même. Les mauvaises langues disent qu'elle est dérangée et que ça finira mal. Le coiffeur du village, un malotru sans délicatesse, met en garde le narrateur : "Vous risquez de vous faire prendre au piège et qui sait ce qui vous en coûtera !"

Comment, dès lors, atteindre l'impassibilité. D'autant que la guerre russo-japonaise fait rage sur terre et sur mer. Le jeune Kyûichi, peintre lui aussi et familier du temple zen voisin, souhaite s'y engager. "Dans ce village printanier, je m'étais trompé en pensant que, comme dans un poème, les oiseaux chantaient, les fleurs tombaient, l'eau jaillissait de la source... Une partie de la marée de sang qui allait teindre de rouge la plaine de Mandchourie s'échapperait peut-être des veines de ce jeune homme. Ou fumerait à la pointe du long sabre attaché à ses reins."

Cependant, l'attrait principal du livre tient en effet à ses nombreuses digressions. L'art du haïku est souvent évoqué. L'assemblage des dix-sept syllabes ne doit pas tomber dans la facilité au prétexte qu'il apparaît simple. Exercice et commentaires à l'appui, Sôseki donne à lire les versions successives d'un haïku puis rappelle que Bashô écrivit un poème sur "un cheval urinant à son chevet". Lors d'une conversation avec Nami, il aborde sa façon particulière de pratiquer la lecture. Par exemple, lire un roman en commençant par le début n'est pas toujours le plus intéressant. On peut aussi ouvrir les pages au hasard et qu'importe si on ne comprend pas tout. En fait, tout dépend du désir que l'on a ou non de suivre l'histoire. Et Sôseki avoue à la belle impertinente qu'il est "un peu original".

Parmi les truculences de ces cheminements traversiers, notons aussi celle qui concerne les buveurs de thé. "Dans le monde poétique ils occupent leur petit terrain de prédilection où règnent la prétention et les mesquineries, aiment à prendre des airs compassés dans des postures inconfortables..." Puis, encore, celle à propos des trains. "Les gens disent qu'ils montent dans un train... je préfère dire qu'on y est chargé... Rien ne méprise plus l'originalité que le train. la civilisation, après s'être efforcée de trouver tous les moyens de développer l'individualité, s'efforce par tous les moyens de la réduire à néant."

Ne redoutant nullement la trivialité, l'auteur jubile à brocarder les "individus chicaneurs, malveillants, mesquins" et leur rapport au pet. "Ils s'imaginent que la vie consiste à faire suivre leurs semblables par un détective pendant cinq ou dix ans pour qu'il compte le nombre de ses pets. Puis, mis en votre présence, ils vous apprennent que vous avez lâché tant de pets, et un autre tant..." Et Sôseki de conclure que c'en sera fini du Japon si cette "ligne de conduite" devait se propager.

Oreiller d'herbe ou le voyage poétique est accompagné de peintures délicates "issues d'une édition de 1926 en trois rouleaux où figurait aussi le texte entièrement calligraphié". L'ouvrage, traduit du japonais par Élisabeth Suetsugu,  est publié chez Picquier poche. Il compte 271 pages et coûte 10 €.

 

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