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Mon blog est celui d'un butineur effaré dans tous les champs du savoir. Et c'est ce même butinage qui m'a conduit à écrire des livres.

dimanche 19 octobre 2025

Relire Julio llamazares


Je retrouve La lenteur des bœufs de Julio Llamazares. Il a écrit ce recueil en 1978, à Gijon en regardant la mer. "Une mer noire et violente qui, le dimanche après-midi, poussait vers la plage le corps d'un suicidé", nota-t-il. Mais la mer est absente du livre. De même, en 1981, il a écrit à Madrid Mémoire de la neige mais la cité aussi est absente. Marie-Claire Zimermann, préfacière, considère que les deux textes "peuvent être lus comme deux moments d'un seul et même livre : ils n'annoncent pas simplement la disparition d'un monde, celle d'une civilisation dont ne subsisteraient que quelques fûts de colonnes ou les soubassements d'une ville saccagée, mais plutôt l'effacement d'une manière de vivre et d'être, exclusivement liée à la terre et au rythme solaire." Ces quelques mots s'appliquent tout aussi bien à La pluie jaune, roman dans lequel il fait revivre les personnages de son village englouti.

 

Extraits :

Rien encore ne donne signe de vie dans l'allée des songes et déjà le chariot des comédiens lentement s'éloigne.

Ils partent s'alimenter de tristesse dans un autre village habité par des chiens.

Personne ne s'est avancé sur la route pour rompre le silence. Personne, aucun de ceux qui hier soir riaient avec lassitude derrière les ampoules rougeâtres de la place. 

Seuls les chiens, collés à leurs roues, se refusent brièvement à l'oubli.

*

Je regarde derrière moi, dans la direction de l'arbre pourri qui soudain a perdu son ombre, et je ne trouve qu'une flaque de silence ensanglantée, une voie morte que jamais personne n'a empruntée.

Je passe sous les arcades du marché où l'on expose les dépouilles ruisselantes du souvenir.

Délicatement je tire le rideau de brume que, jour après jour, j'ai tendu autour de ma mémoire, et je ne trouve que les oiseaux d'hiver qui sont restés gelés sur les fils du télégraphe ;

Derrière les peupliers blancs monte lentement l'exhalaison douce et tiède d'une étable qui attend à distance le retour impossible des bœufs suicidés dans la rivière.

Je regarde derrière moi et trouve seulement une lointaine et douloureuse odeur de bruyère.

*

La rivière, parfois, apportait des souliers de femmes entre les feuilles tendres et les troncs morts.

Mais nous, nous traversions les ponts avec nos chansons et nos mouchoirs safran.

Et, en été, nous accrochions des cerises aux oreilles de l'aimée.

Plus loin, dans leur mémoire, les cerfs prenaient feu comme flèches de sang :

rapides dans leurs yeux bleus et lointains ; rouges dans leurs cheveux blessés par la brume. 

 

Il y a dans ces longs déplis proches parfois de l'oraison mélancolique l'expression du manque des mythologies premières, qui se sont perdues. J'ai un peu pensé, en recopiant ces textes (les deux premiers sont dans La lenteur des bœufs et le troisième dans Mémoire de la neige), à l'univers de Jacques Vandenschrick. J'ai un peu pensé, aussi, à mes errances dans les marais et sur les coteaux quand j'avais dix ans.

L'ouvrage en bilingue qui réunit les deux ensembles, traduit de l'espagnol par Bernard Lesfargues, a été publié par les éditions fédérop en 1995. 

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