Dans Figures qui bougent un peu de James Sacré, le terme générique "couleur" surgit souvent au détour d'un chemin dans le Poitou et en Nouvelle-Angleterre. Parfois, le lecteur comme l'auteur ne savent plus trop bien dans quels paysages ils s'aventurent. Les lignes s'y troublent un peu, la mémoire aussi, et la langue a des balbutiements, consciente qu'elle est de ses empêchements primordiaux.
Au petit jeu méticuleux des occurrences, on relève plus de quarante fois le mot "bleu" dans l'ensemble. Soit ! me dira-t-on, le bleu préoccupe l'humain depuis ses commencements. Il est une énigme dès qu'on lève la tête vers les nuages et qu'on prend le temps de s'étonner. Mais le bleu de James Sacré n'appartient qu'à lui. Il dit de sourdes inquiétudes : "... c'est rien le bleu ça fait silence et solitude où c'est ? quand ? est-ce que j'ai peur ?" Plus loin, en quête d'un poème dont la figure tiendrait un peu longtemps, il évoque "le bleu que la presque ruine d'une maison construit". Comment, dès lors, s'arranger avec les nuances du bleu quand, par exemple, le souvenir d'une petite fille morte taraude le paysage même, qui "éteint son bleu dans l'herbe dure" ? Et quand il ne l'éteint pas, dans le froid comme dans le chaud, il le confond avec le vide, au fond d'un œil ou d'une grange où "bat le reste oublié d'une récolte". On le retrouve aussi mélangé "avec la pente avec les contrevents fermés les toits" et la perception des entours n'est plus qu'hésitation, troublant [l'insignifiance des mots]. Le bleu, peut-être n'a jamais vraiment de fond et la mort elle-même s'en ressent qui "arrive en riant bleu".
Parmi toutes les représentations historiques et anthropologiques du bleu selon Michel Pastoureau, intéressons-nous à celle de l'affliction, profonde ou presque légère comme le "bonheur d'être triste" de la mélancolie. Le bleu dans Figures qui bougent un peu, fait-défait-refait, mal aperçu au travers des arbres et aussitôt disparu, oublié par le ciel lui-même, irrigue lentement le corps du lecteur, comme un paysage qui "contient... beaucoup de difficulté". Et c'est ainsi que nous l'aimons, dans ses mille nuances, quitte à n'y voir que du bleu, lequel nous évapore un moment, avant qu'il nous ressaisisse. Dans un jardin parisien ou américain où quelques fantômes, parfois espiègles, tintinnabulent.

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