Relire James Sacré. Une petite fille silencieuse fait partie de l'ensemble Figures qui bougent un peu et autres poèmes, préfacé par Antoine Émaz et publié en Poésie / Gallimard. Une poésie simple, sans falbalas lyrico-ésotériques, mais subtile au-delà des apparences, questionnant ce que le poème saisit ou non des perceptions du monde sensible. Dans les paysages de la campagne notamment, en France et aux États-Unis. Antoine Émaz écrit : "Cette poésie impose une langue, évidemment, mais ce n'est pas une langue qui exclut ; elle accueille, d'abord. Puis, à propos d'Une petite fille silencieuse : "Il faut partir de cette conscience du poids nul d'une existence particulière face au laminoir du temps, mais retourner de suite la proposition : ce presque rien, parce que voué à l'oubli, devient précieux, émouvant... c'est toute l'œuvre qui peut être saisie comme une tentative de contrer l'effacement".
Choix de poèmes :
Le mot guérir c'était comme une longue soirée avec un feu l'hiver ; Ou comme la pluie longtemps devant les yeux d'un enfant. Quelqu'un pourrait continuer un travail de broderie. Il y aurait de la patience et des petites pommes ridées jusqu'en mars.
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La petite fille s'en était allée jusqu'après les derniers buissons familiers. Alors le pays devenait comme si on l'avait remué, un détour du chemin faisait disparaître les bleus derrière les arbres ; on s'éloignait vite d'une grange trop brusquement là, il y a un pré tout allongé contre un ruisseau avec des herbes barbues qu'est-ce que c'est tout ce silence ? Juste le temps que le cœur s'inquiète un peu, voilà le petit champ qu'on était passé de ses taupinières éboulées tout à l'heure à des bas de prés comme des endroits qui font peur. À quoi pense la petite fille ? C'est tout à coup comme à rien. Et le cœur s'inquiète beaucoup.
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S'il est seul dans la maison et quelques bruits (La rumeur du chauffage, un robinet qui goutte, le presque silence),
Le livre qu'il a ouvert n'a plus ni commencement ni fin. Dans la pièce à côté personne pourrait savoir que les deux chats sont là. La couleur des boiseries attend. Toute ressemblance à de la tranquillité, un meuble craque, Et comme un sourire et des larmes sont quelque part Dans la lumière diminuée maintenant que c'est le soir.
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Le mouvement que fait dans la fenêtre tout un feuillage d'arbre Immobile à des moments, puis soudain Comme emporté presque pressant, C'est sans rapport sans doute avec toi qui n'es plus rien mais Tu aimais t'asseoir aussi devant le monde qui respire. Il respire encore et dans ses mouvements d'arbre Est-ce que j'ai tort d'entendre ton affection d'enfant qui s'inquiète ?
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Les mots je les voudrais Avec un sens facile À comprendre dans ce poème. Ou qu'au moins ça fasse Comme une chanson, d'un coup on l'aimerait bien, Assez pour la fredonner sans y penser quand On va et vient du jardin à la maison : L'été continue, on arrose des fleurs tous les jours.
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Le beau temps de l'automne fait qu'on voudrait À travers la qualité fraîche et bleue de l'air et parmi Les volumes de feuillages qui bougent sobrement, lenteur Et la saison qui scintille, Installer le théâtre des mots qui conviendrait À la parution dans ce paysage recommencé tous les automnes De tes joues d'enfant, de ton pas qui a franchi le temps.
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Au moment de penser à toi le poème T'oublie en cet endroit de mots Que c'est peut-être encore à mourir.
Quelqu'un Comprend que dire ou pleurer ce n'est Rien qui soit l'animation de ton visage silencieux.
Te nommer pourtant dans ce théâtre de mots C'est peut-être toucher à ton dernier geste. Donne-moi la main.
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Pendant toute une journée que le beau temps A été là, quelle impatience quel genou tendre Sur la pelouse qui dégèle ! Que faut-il oublier pour mieux t'aimer ? (Pour qu'un poème soit un bas de robe légère À ta jambe.) Des petites filles qui t'ont connue sans doute Ont dit le mot bonjour, de loin Et comme en riant dans ce paysage où tu pourrais courir.
Antoine Émaz a raison. Voilà une langue qui accueille. Et bouleverse. Comment peut-on se remettre de la perte d'un enfant ? Alors que la mortalité infantile par maladie est très réduite, tout au moins dans les pays dits avancés ? Brrr !

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