La naissance d'une revue de littérature est toujours une joie. Ainsi en va-t-il de L'Homme long aux éditions Tarmac, porté par la bienveillance de Jean-Claude Goiri et quelques autres. Et le titre d'emblée interpelle. Notre époque, menacée de partout par tant de chimères géopolitiques et technologiques, tend plutôt à raccourcir l'humain. Du déshumain au neghumain théorisé par Robert Redeker, les figures de la civilisation sont défigurées. L'homme abrégé va sans cou et sans regard, sans ombres et sans rêves, réduit à un déchet sur l'écran d'un téléphone. L'homme long lui redonne sa silhouette et ses yeux, ses désirs et sa volonté, ses langages non pixelisés.
La première partie, Scruter, évoque la poésie de Jos Garnier, avec cette exergue de l'auteure tirée de son recueil Anamorphose : "l'inconsolable du pourquoi". Jean-Yves Guigot, le scrutateur, lie le poème à la philosophie et aborde, clin d'œil à Artaud, l'écriture de la cruauté qui est aussi une écriture de la nécessité. "La poétesse nous glisse ainsi dans toutes sortes de réalités indicibles, voire impensables pour tout un chacun, jusqu'au point extrême de la vision cauchemardesque d'un cadavre se métamorphosant en un autre être, ou, pire peut-être, de la fusion de soi avec la dépouille".
La deuxième partie, Créer, accorde au long cours des voix très différentes. Dans Les enfants sans mistral, Anne Barbusse lance des flèches comme des cris : "... on ne suicidera jamais le jour sans notre accord". "Nous avons des oiseaux dans la gorge". Jean-Christophe Belleveaux déclare qu'il lui est "impossible de sortir / de ce crâne / mais tout est paisible / je ne suis pas / le maître d'œuvre du chantier / je laisse les ronces dehors". Cependant que Miguel Ángel Real aborde "La crainte noire de parler du ventre de ma mère, puits secret, nature qui n'admet aucune métaphore. Noix desséchée que la mort nourrit de son oubli à lente maturation." De la gorge au crâne puis au ventre maternel, comment peut-on s'en arranger... le corps n'est peut-être qu'un puits, sans margelle. L'issue, s'il en est une, se trouve qui sait dans Poètes de Pat Ryckewaert : "et parfois juste se blottir / dans quelques mots d'amour / C'est un homme long / qui n'en finit pas de naître / et quand il écarte sa peau / on voit la mort sourire / le printemps qui la baise".
Et voilà Un dimanche de Jérôme Carbillet. Une très courte nouvelle à la Carver. Un road movie immobile même quand il bouge. Qui dit l'immense solitude des désenchantés sociaux dans la grande quincaillerie consumériste. Tendons-leur le miroir de Richard Roos Weil dont L'œil s'attarde. "L'eau des rêves n'est plus qu'un bras mort détourné". "Les visages se retirent / Ne sont plus / Qu'un ovale / Une couleur / Les yeux sont plus loin / Se tournent / Vers ce qui s'élève se déplie".
La dernière partie s'appelle Partager. Elle est la plus longue de la revue. Philippe Bouret rencontre Lord Tanjah dans les allées encombrées de fallaces du marché de la poésie à Paris. Une écriture aux tourments proférés dans le théâtre du chaos. Avec les figurants prégnants que demeurent Artaud, Bataille, Borges, Rimbaud... Sans oublier la Marguerite de la rue Saint-Benoit. "Écrire, c'est délimiter quelque chose qui n'a pas de limite, source d'une incoercible tension dans son corps qui cause et pousse la plume... Pour Tanjah, il en est de l'écriture comme de l'être, dont on ne connaît ni l'origine, ni la finalité. Le langage doit "s'enchâsser dans cette problématique existentielle". C'est la condition même de l'acte poétique, de l'acte d'écriture, de l'écriture en tant que dramaturgie." Lord Tanjah est notamment l'auteur de Les champs brisés de la délivrance (éditions du chien qui passe) et de Les babouins bleus du Zimbabwe (éditions Douro).
Notons également Régis Nivelle qui évoque "l'étrange et terrible beauté" de la peinture de Sylvie Coupé-Thouron, visible en quatrième de couverture. "Premières impressions. Flaques, failles et fractures d'un cosmos, de non-lieux déchirés, marquées par des ruptures de plans où femmes et hommes semblent s'être égarés."
L'Homme long, dont la première de couverture est signée Jacques Cauda, est une incontestable réussite qui laisse augurer les suivantes ; elles en diront aussi long. La revue est disponible sur www.tarmaceditions.com et coûte 15 €.
N.B : En tant que butineur j'ai pris un infini plaisir à déposer quelques mots autour de Jean-Christophe Belleveaux, Brigitte Giraud, Lancelot Roumier, Anna Milani, Christophe Esnault et Julie Nakache.


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