J'avais oublié combien la beauté de ce roman de Julio Llamazares peut être parfois oppressante. La lluvia amarilla se déroule, lentement, dans le village d'Ainielle au cœur des Pyrénées espagnoles. Le narrateur en est le dernier habitant. Tous les autres sont partis, peu à peu, après la guerre civile et jusqu'à la fin des années soixante.
Le narrateur vit seul avec sa chienne. Et ses souvenirs. Celui de sa compagne Sabina, qui s'est pendue dans un moulin. Celui de sa fille emportée par un phtisie. Celui de son fils qui a choisi aussi l'exode. Fusil en bandoulière, il arpente les alentours en quête de gibier, entretient un petit bout de jardin, retourne deux ou trois fois l'an vers la civilisation pour quelques achats de première nécessité et, déambulant dans les rues abandonnées, essaie de réparer quelques offenses dues aux intempéries. Les visages familiers des voisins lui reviennent, lui racontent la mémoire d'autrefois, au travail et au repos près d'une flambée d'hiver. Et le temps passe sans passer. Il se replie et se replie encore dans les méandres où ses pensées ne coulent plus comme avant. Les premières pluies jaunes sont celles des feuilles envolées mais la couleur jaune gagne du terrain, dedans comme dehors. La solitude ne ronge pas que les vieux murs. Et, quand le sommeil n'en finit pas de tarder, les morts s'invitent partout dans la maison et au détour des sentiers de montagne...
"Mais brusquement, vers les deux ou trois heures du matin, un vent léger se fraya un passage par la rivière : la fenêtre et le toit du moulin se remplirent tout à coup d'une pluie drue et jaune... Cette pluie dura quelques minutes à peine, mais suffisamment pour colorer en jaune la nuit entière et pour me faire comprendre, à l'aube, lorsque la lumière du soleil revint incendier mes yeux et les feuilles mortes que c'était elle qui rouillait et détruisait lentement, automne après automne, jour après jour, la chaux des murs et les vieux calendriers, le bord des lettres et des photographies, la machinerie abandonnée du moulin et de mon cœur."
"En effet, depuis cette nuit, la pluie a insensiblement noyé ma mémoire et jauni mon regard. Pas seulement mon regard. Les montagnes aussi. Et les maisons. Et le ciel. Et les souvenirs qui s'attachent encore à eux. Lentement au début et ensuite au rythme des jours qui traversaient ma vie, tout, autour de moi, s'est coloré en jaune comme si le regard n'était autre que la mémoire du paysage et le paysage, un simple miroir de moi-même."
La pluie jaune de Julio Llamazares est disponible chez Verdier. Lisez ce texte d'une intensité rare.

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