Que se passe-t-il dans la psyché des mères ante partum et post partum ? Le saura-t-on jamais vraiment ? Voilà un imaginaire où l'inconnaissable, en ses chimérismes, se maille avec l'inconnaissable. Depuis les commencements de l'humain, les arts et les lettres tentent d'en apprivoiser les nœuds, dans l'espoir sans cesse ajourné de pouvoir les desserrer. Un peu.
Perle Vallens, dans Solo, aborde sans détours les questions qui hantent. La quatrième de couverture en témoigne : "Faut-il aimer son enfant ? Pourquoi et comment l'aimer ? Où se cache l'instinct maternel, dans quelle partie du corps, dans quel espace du cerveau ? " Et le lecteur est d'emblée sonné-sidéré, éjecté du ring par tant et tant d'uppercuts.
"créature qui me mange maintenant / et plus tard me digère / jusqu'au pelage". "j'ai cru accoucher le bonheur / mort-né d'une étoile / ou d'un vide". Oui, c'est bien d'un ring dont il s'agit où les échanges intracellulaires œuvrent à la dévoration. Et la violence est double "sans visage paternel". Il faut vivre pourtant, quand le bébé est là malgré le blues. Langer, laver, moucher, biberonner, bercer, fredonner, apaiser, [ne dormir que d'un œil], seule, absolument seule. Le père inconnu ne reviendra jamais. Et ce constat, glaçant : "rien ne respire / chambre à air / comprimé". La volonté s'épuise à aimer, les langages de la mère et de l'enfant ne se rencontrent pas. "Ce fils que j'ai porté se déporte / dans ma pensée s'immole / puis disparaît".
Mais le métier des jours a des ressorts insoupçonnés, qu'on ne sait pas nommer. "quelque chose résiste encore... quelque chose... se renforce au moment inattendu... quand quelque chose lâche prise". Comment les émotions et les sentiments, dont les durées entrent en collision et se cognent au réel dans ses moindres concrétions, ancrent-ils ce quelque chose indéfini ? Peut-on seulement imaginer ses déplacements du cerveau au bas-ventre et inversement ? "personne ne sait lire dans les transparences ni dans les conspirations". Transparences illusoires, conspirations fantasmées. L'instinct maternel, cela s'est déjà dit, n'est peut-être qu'une invention des mécaniciens de la morale. Un an et demi après la naissance de l'enfant, aucun nœud ne se desserre ni dans la chair ni dans les mots. C'est toujours le même grand combat sur le ring des représentations. Être mère. Être et rester une bonne mère aux yeux du voisinage. Le petit ne doit pas sentir l'urine. "sa bouche bêlante et morveuse" ne doit pas déranger. "j'ai beau me raconter des histoires de mère parfaite / je ne vois qu'un couloir qui ne mène nulle part / je ne vois qu'un long corridor vers une vie / que je ne peux pas me payer". La tentation du renoncement menace, mal endiguée par l'imagerie du saint sacrifice, couronne d'épines à l'appui douloureux des tempes...
S'ajoute au désarroi d'être mère sans l'avoir choisi la stigmatisation sociale. Perle Vallens évoque son "statut d'assistée qui amenuise [son] aptitude à devenir une vraie mère responsable et attentive". Ah ! les menuiseries du peu et du manque, qui rabotent et rabotent encore. L'antienne est bien rodée. La société vous accorde des droits, (rsa, allocations), mais vous lui devez des devoirs. Celui de la dignité d'abord, "ne pas flancher", ne pas se plaindre. L'assistante sociale y veille : "l'endurance au malheur s'acquiert avec le temps". Et ces mots de la réprouvée, bouleversants : "je ne viens pas à bout de ma mise au ban". Saura-t-elle s'inventer un futur, avec son enfant et sans lui ? Refusera-t-elle "de vivre à blanc" ?
Extrait :
je m'invente un fils sans visage et sans nom
je m'invente non mère inerte mais libre
je sais que le mieux est l'ennemi du bien mais je ne vois que le pire
dans l'œil clos de mon enfant
je me vois pire que dans mes souvenirs sans lui
je me rêve meilleure que je ne suis
à mon réveil j'imagine qu'il n'a jamais existé
Et le lecteur, sensible aux enfances abandonnées dans les foyers aux blouses blanches, retient ses larmes. Solo est un livre qui déchire de partout. Il est à lire et à relire. Publié aux éditions Tarmac, il compte 74 pages et coûte 15 €.
La photographie de la couverture est de Perle Vallens.

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