samedi 28 avril 2018

Non, je n'aimerais pas avoir 80 000 euros !

Résultat de recherche d'images pour "argent"Une conversation ordinaire en regardant une émission ordinaire à la télévision. Une émission où des gens chantent et peuvent gagner beaucoup d'argent s'ils n'ont pas oublié les paroles.

Ma compagne me demande : " Et toi, tu aimerais avoir 80 000 euros ? "

Je bafouille un peu, je réfléchis quelques secondes, et je lui dis : " Non, je n'aimerais pas avoir 80 000 euros."

Elle me regarde, a le geste qu'on a tous de porter l'index gauche à l'oeil gauche. Elle ne me croit pas. 

La conversation continue sur le même ton, cependant qu'une jolie étudiante jouit sur le plateau de son quart d'heure de gloire et, précisément, du cap des 80 000 euros de gains qu'elle vient de franchir :

- Et 10 000, tu aimerais ?
- Oui, on rembourserait le crédit des travaux dans la maison et on aurait un petit reliquat pour s'amuser.
- Et 20 000, tu aimerais ?
- Euh ! Oui. On pourrait aller à Rome et pas seulement un week-end. (Reprise de Daho)Tu pourrais aussi faire de la Thalasso à Saint-Jean-de-Luz. C'est bien, Saint-Jean-de-Luz.
- Et 30 000 ?
- Euh ! A quoi bon ? Mais si tu y tiens ! Je fais un effort.
- Et 40 000 ?
- Ben non. Je n'aimerais pas avoir 40 000 euros non plus.

J'entends déjà mes lecteurs murmurer : " Houou ! le menteur ! Tout le monde aimerait avoir cette somme."

Et bien, moi, c'est non ! J'en ferais quoi ? (Reprise de Zaz) Je ne vais pas ici ravauder la question trop usée de l'Etre et de l'Avoir. N'étant pas meilleur que quiconque, je pourrais céder aux petites sirènes de la consommation. Changer la Clio d'occasion pour une Mégane neuve par exemple. Histoire de me dire qu'à bientôt soixante-trois ans, un siège en cuir siérait à mon dargif raplapla. Allez ! Soyons fous ! Je ne cracherais pas sur un voyage dans une grande métropole européenne, hébergé dans un hôtel quatre étoiles où quelques canards génétiquement modifiés à cause de l'odeur, ça fait cossu (Reprise de Belmondo qui n'a jamais chanté), pataugeraient dans un bassin à l'entour de la piscine à jets bouillonnants...

Et après ? Ben... Rin... Quèqu' vous v'lez que j'vous dise ? ! Ma retraite d'instituteur même amputée de 40 euros par Monsieur Macron me suffit. Je n'ai pas besoin de plus. Oh ! c'est vrai, si j'ai une rentrée de quelques biftons supplémentaires, je les mets pas à la poubelle. J'en profite pour donner davantage à nos petits-enfants et j'achète un Pléiade. Sinon, rin de rin (Reprise revue et corrigée d'Edith Piaf) !

En fait, ce qui m'interroge, c'est le " J'AIMERAIS ". Je ne comprends pas, dès lors qu'on a les moyens de vivre sans être trop gêné, qu'on puisse aimer avoir une somme aussi importante. Je ne comprends pas la nature de ce désir-là, attaché à de l'argent. Le pognon, c'est pas forcément cradingue, mais je ne perçois pas l'intérêt que j'aurais à posséder d'un seul coup l'équivalent de trois ans de salaire d'une infirmière. A la vérité, j'ignore comment ce pactole serait bienvenu dans ma réalité (Nouvelle reprise de Zaz), forgée et reforgée tout du long de mon existence, avec ses joies comme avec ses repentirs. Il me faudrait beaucoup d'élan pour m'y projeter, la pécune lesterait par trop mes poches, et je me casserais la chetron dans le sable mouvant des illusions.

Je suis trop âgé pour que ma binette soit retouchée au mercure au chrome. Je n'aimerais pas ça. Vraiment, je n'aimerais pas ça !

" M'enfin ! M'sieur Boudou, qu'aimeriez-vous donc ?", demandent mes lecteurs.

Je pourrais leur rétorquer, (paraphrasant Baudelaire qui n'a pas plus chanté que Belmondo), que [haïssant Dieu autant que l'or], j'ignore à quel saint me vouer pour esquisser une réponse. Et pis, hein, si j'en avais une, de réponse, p't'êt' même que j'arrêterais d'écrire ! Alors là, quel arroi me resterait ? mais c'est une autre question. Dans la grande mare sans canards des questions (Reprise allusive de Georges Brassens) !

En attendant, la jolie étudiante continue de se dandiner. Tiens ! Elle a gagné 10 000 balles de plus. Elle connaît son Céline Dion sur le bout du fi... non, c'est pas sympa pour elle, du doigt. De ce doigt qu'on porte à l'oeil quand on ne croit pas quelque chose.

image franceculture.fr (ça fait cossu itou)

jeudi 26 avril 2018

Julien Thèves, Le pays d'où l'on ne revient jamais

Résultat de recherche d'images pour "le pays d'ou l'on ne revient jamais"" Cette histoire n'est peut-être qu'une fiction pure, relation de faits étranges, probables, supposés, racontés, réinventés avec les photos, retranscription de choses qu'on m'a dites...", écrit Julien Thèves dans son récit Le pays d'où l'on ne revient jamais. Le lecteur comprend vite que ce pays est l'enfance. Cette enfance si souvent invitée à la table des mots par la plupart des auteurs. Pour l'apprivoiser dans ses laideurs comme dans ses beautés. Et ils n'en reviennent pas d'y revenir sans cesse tout en sachant qu'on n'en revient jamais, qu'elle colle à la semelle des souvenirs quoiqu'on s'en défende.
Julien Thèves ne fait pas exception à la règle mais il a une conscience très aiguë d'arpenter une voie sans issue. Il ressasse, il rumine, il piétine la mémoire de la banalité qui jamais ne fut un lieu sûr. Au point d'être empêché dans son écriture même.
" Plus ce livre avance, et moins le pronom se précise, il se dissout dans la foule de la côte, dans les souvenirs minces... Les pronoms sont brouillés car la mère ne disait jamais "je", jamais "tu", mais toujours "on" : un ON énorme et englobant qui dissolvait toute identité..."
Au demeurant, l'auteur-narrateur ne réussit à dire franchement JE qu'au milieu du livre. Mais l'incertitude poursuit son travail de sape. Comment affirmer qu'on a eu une enfance heureuse ? Comment affirmer au contraire qu'elle ne le fut pas ? Si on est de surcroît incapable d'écrire en entier le nom de la ville où on a grandi.
Cette ville de H. est pourtant un "personnage" qui compte dans ce récit fragmenté. Sa situation frontalière entre la France et l'Espagne accentue le brouillage des dits et des non dits. Il est bien difficile de la percevoir dans ses changements invisibles tout au long des années mille neuf cent quatre-vingt. Mais il y a la mer et la pluie, de cela on est sûr. Il y a aussi "une vieille gare abandonnée", "un cinéma abandonné, "un hôtel abandonné". Répétitions, ruminations...
Et c'est l'écriture de Julien Thèves qui répète et rumine, qui s'agence dans le bégaiement comme celle de Laurent Mauvignier dans ses tout premiers textes. La mer avec sa "grande plage abandonnée" assourdit ses échos puis les reprend jusqu'au bout de la fatigue et de l'ennui. Alors, oui, voilà une écriture de ressac à marée montante. Elle recouvre puis recouvre encore, un peu plus loin à chacun de ses passages, un peu plus profondément dans ce qui reste à creuser de l'oubli, ce qui n'a jamais peut-être eu lieu : L'enf...
Lisez comme un puzzle sans contours Le pays d'où l'on ne revient jamais de Julien Thèves publié chez Christophe Lucquin éditeur (19 €) et abandonnez-vous sans vous dissoudre à ses beautés.

P.S. : N'ayant pas lu le roman d'André Dhôtel auquel Julien Thèves adresse un clin d'oeil, je n'en parle pas.

image christophelucquin.editeur

mercredi 18 avril 2018

Réaménagez vos combles pour huit euros, 1

Résultat de recherche d'images pour "bétaillère"Comme d'aucuns le savent, j'ai auto publié mon roman La tentation des combles sur la plateforme numérique du groupe Kobo. Le prix est modique, huit euros, mais l'ouvrage n'a aucune visibilité car il figure sur le site parmi des centaines de milliers d'autres. De plus, mon lectorat est davantage habitué à lire sur papier que sur écran. C'est aussi mon cas même si je possède une liseuse. N'ayant vendu en trois semaines que trois exemplaires, (je connais les noms des acheteurs !), je me résigne à faire un peu de publicité en vous offrant cet extrait dit de la bétaillère :

Je serais bien incapable de dire en quelle année j'ai rencontré Catherine tant j'ai l'impression de l'avoir toujours connue. Avais-je déjà, à cette époque, commencé à espionner mes voisins avec des jumelles ? Je n'en sais rien non plus. Je garde en revanche un souvenir précis de l'endroit et des circonstances. J'avais décidé d'aller à M***, une station balnéaire où le tapage était presque supportable, pour me promener au bord de la mer. Je n'étais pas spécialement attiré par les houles océanes, je détestais les baigneurs transformés en sardines à l'huile, les joueurs de frisbee et leurs bonds ridicules,  mais j'aimais voir bouger la ligne d'horizon. Ses rapprochements, ses éloignements au hasard de la marche me procuraient une inexplicable sensation de paix intérieure.
         Pendant longtemps j'ai roulé derrière une bétaillère qui transportait des cochons. Véhicule poussif. Route sinueuse et bande médiane effacée. Bas-côtés trop sablonneux. Il m'était impossible de doubler sans risque. Les animaux semblaient dormir debout. Leurs têtes avaient les tressautements réguliers des jouets mécaniques. La bétaillère exhalait un énorme nuage de fumée et mon pare-brise se recouvrait de particules charbonneuses. Les essuie-glaces de la voiture, même avec le soutien d'un liquide savonneux qui fleurait bon la fraise des bois, peinaient à les balayer. J'aurais dû m'arrêter car mon champ visuel rétrécissait dangereusement. Mais quelque chose en moi souhaitait rester en contact avec ces cochons qui dodelinaient. Comme si la condition humaine et la condition porcine entretenaient depuis des temps immémoriaux une liaison secrète. Je me suis rapproché autant que j'ai pu de la bétaillère. J'ai essayé de fixer les yeux rouges d'un verrat qui venait de se réveiller. J'ai voulu surprendre le regard du chauffeur dans le rétroviseur, deviner en lui un rapport intime avec ses animaux. Quand j'ai abandonné cette question que le docteur Klamm aurait expédiée d'un trait sur un avion en papier, la bétaillère avait disparu.
Résultat de recherche d'images pour "blockhaus mimizan"         J'ai continué à rouler en fumant des cigarettes et en écoutant la radio. De vieilles chansons françaises diffusaient leur nostalgie de bastringue. Elles m'étourdissaient. Une fatigue sournoise montait en moi, s'agrippait à mon cou. Je me suis arrêté à une station-service pour boire un café et manger un sandwich. Mais il n'y avait ni café ni sandwichs. Seulement de la bière dont la mousse sentait l'éther. J'ai vidé deux canettes et j'ai repris la route encore plus étourdi. Le soleil commençait à cogner dur sur le paysage. Des villages, des silos à grains, des coupes de pins dans des sentiers forestiers ont défilé sans que je m'en aperçoive. Puis je suis arrivé à M***. J'ai garé la voiture sur le front de mer et j'ai couru vers les flots. Les touristes me regardaient un peu comme un extraterrestre. Je portais des souliers jaunes et des chaussettes noires en tire-bouchon sur mes chevilles. Ma chemise était boutonnée de travers et ses pans froissés grimaçaient sur mon pantalon trop large. Qu'importe ! La brise marine secouait ma torpeur. L'horizon dansait au loin et j'aimais ça. J'ai marché jusqu'aux rochers les plus proches, croisé quelques rondouillards à la peau rouge, des joueurs de volley et des joueurs de badminton tout aussi ridicules que les adeptes du frisbee, une chienne qui tirait sa langue toute bleue en rotant et je me suis assis sur la plus haute pierre. J'étais maintenant complètement réveillé. Mon cerveau avait retrouvé toute sa plasticité et j'ai repensé à la bétaillère. Les cochons partaient sans doute à l'abattoir. Ils n'avaient aucune conscience de leur fin prochaine. Et nous, me suis-je demandé ? Où se trouve l'abattoir vers lequel nous nous dirigeons ? Combien d'entre nous ont vraiment conscience de leur fin prochaine, une conscience aiguë qui transfigure leurs perceptions, leurs émotions, leurs actes ? J'ai observé des gens qui mangeaient des œufs trempés de mayonnaise, assis en rond autour d'une serviette. Ils n'étaient pas laids. Ils se tenaient sans s'avachir et leurs gestes étaient presque délicats quand ils portaient les victuailles à la bouche. Ils gardaient le contrôle de la mayonnaise qui gouttait parfois. Ils ne parlaient pas fort et leurs plaisanteries, même un peu lestes, restaient dans la limite de la décence. J'ai cependant pensé qu'ils étaient des porcs. Je les ai imaginés en train de faire l'amour, se grimpant dessus, se suçant dessous, dans une cacophonie de gloussements caoutchouteux. J'ai eu bien du mal à me retenir de rire. Il m'apparaissait que j'étais aussi animal qu'eux et c'est dans cet état inconfortable de la comparaison que j'ai rencontré Catherine.

image de blockhaus à Capbreton, non loin de M***. Ce détail du blockhaus a son importance.

mardi 17 avril 2018

L'imagination prend le pouvoir


Résultat de recherche d'images pour "mai 68 affiche" (Le samedi 26 mai à onze heures à la bibliothèque de Bacalan à Bordeaux, Brigitte Giraud (voix), Gérard Hello (guitare, accordéon), Marc Buffan (contrebasse), et moi-même (voix), donnerons une lecture théâtralisée de textes sur et autour des événements de mai 1968.  Nous espérons que vous serez nombreux à venir boire notre bouillon. Ci-dessous ce petit montage en guise d'apéro.)

La lutte des travailleurs et des étudiants qui est née dans la rue s’étend maintenant aux lieux de travail et aux pseudo-valeurs de la société de consommation.
Le théâtre, le cinéma, la peinture, la littérature sont devenus des industries accaparées  par une élite dans un but d’aliénation et de mercantilisme.
Aliénation. Aliénation.
Mercantilisme. Mercantilisme.
Sabotez l’industrie culturelle !
Réinventez la vie !
L’art, c’est vous !
On ne matraque pas l’imagination.
Le bourgeois n’est pas un ouvrier qui a réussi : c’est un état d’esprit. Le problème est de changer les structures profondes, être des gens qui pensent. L’ouvrier américain a un grand confort mais il ne pense pas.
Quoi qu’il arrive, la flamme de la révolution populaire ne doit s’éteindre et ne s’éteindra pas. Demain comme aujourd’hui nous parlerons.
On ne matraque pas l’imagination.
L’art c’est vous ! Vous ! Vous ! Vous ! Vous !
Réinventez la vie !
Demain comme aujourd’hui nous parlerons.
Le théâtre est devenu une industrie. Le cinéma est devenu une industrie. La peinture est devenue une industrie. La littérature est devenue une industrie.
Une industrie accaparée. Accaparée par une élite dans un but d’aliénation et de mercantilisme.
Résultat de recherche d'images pour "mai 68 affiche"La flamme de la révolution populaire ne s’éteindra pas.
Ne s’éteindra pas.
Ne s’éteindra pas.
Le bourgeois est un état d’esprit.
Les valeurs de la société de consommation sont des pseudo valeurs.
Pseudo valeurs.
Pseudo valeurs.
Pseudo.
Pseudo.
L’art c’est vous. Et vous ! Et vous ! Ici c’est vous ! Là c’est vous ! Aujourd’hui c’est vous. Demain c’est vous. Demain c’est maintenant. Aujourd’hui et demain partout.
Dans la rue et sur les places.
Dans les usines.
Dans les bureaux.
Dans les gares et dans les cafés.
Dans les théâtres.
Dans les amphithéâtres.
Dans les champs et dans les jardins.
Vous et personne d’autre. Ou que ce soit et quand que ce soit.
On ne matraque pas l’imagination.
On ne matraque pas.
Pas ! Pas ! Pas ! Pas ! Pas ! Pas ! Pas ! Pas !
L’imagination.
L’imagination.
Réinventez la vie !
Prenez le pouvoir !

(montage réalisé et augmenté à partir de paroles étudiantes et ouvrières au théâtre de l’Odéon en mai 1968)

linternaute.com
franceculture.com

dimanche 15 avril 2018

Un nouveau cadeau de Luciné

Résultat de recherche d'images pour "franco fontana"Luciné vit désormais à Pau avec sa famille car il n'y a plus de place dans les cadas* de la région bordelaise. Depuis peu, elle est accueillie dans un collège en classe de quatrième. Elle surprend ses professeurs par sa détermination à apprendre le français et se montre également douée en mathématiques. Nul doute que cette adolescente, si la demande d'asile est accordée à sa famille, réussira ses études et sa vie personnelle. Car Luciné a deux qualités fondamentales pour entrer dans tous les domaines de la connaissance : la curiosité et l'étonnement.

Résultat de recherche d'images pour "franco fontana"Je me souviens de sa visite chez nous avec son père et son oncle venus récupérer une table de camping. Les yeux de Luciné, tels des gyroscopes, ont balayé tous les murs de la maison avant de se transformer en regard. Les tableaux de Claude Bellan et d'Herta Lebk, ceux de Brigitte puis de quelques autres ont retenu son attention. Une tête de harpe égyptienne l'a particulièrement intéressée. Elle a posé des questions sur la matière de l'oeuvre et sa signification. Ensuite, elle a souhaité voir l'ouvrage d'art Terra da leggere du photographe Franco Fontana. J'ai lentement tourné les lourdes pages noires comme on ouvre les portes du buffet de Rimbaud. Luciné a suivi le mouvement des lignes des paysages et saisi le dépouillement de leur lecture. Elle a compris mes explications que son oncle lui traduisait. Et nous sentions que son intérêt était authentique.

Maintenant, et c'est un nouveau cadeau qu'elle s'offre et nous offre, elle lit et recopie sans faute ni rature mon recueil Dans la durée des oiseaux. Elle s'arrange pour le traduire en arménien (peut-être via le russe) afin de s'approcher au plus près du sens du texte.

Mille bravos, Luciné ! Brigitte et moi-même t'embrassons en cet avril prometteur.

cada : centre d'accueil des demandeurs d'asile
francofontanaphotographer.com

jeudi 29 mars 2018

L'image d'un coteau quand la lumière chavire


Résultat de recherche d'images pour "coteau"L'image d'un coteau quand la lumière chavire : l'enfant est seul sous l'arbre seul avec des mots sans suite. Et soudain monte le bruit des mantes comme un frisson d'échine. Aucun secours ne viendra de la fille aux tresses bleues en bas du chemin : elle fait des niches aux ronces et s’enivre de miel. L'effroi reste sans partage. L'oiseau s'est tu dans les plis du jardin. Une bête blanche rejoint l'ombre d'un caillou. L'enfant rit. Il va se consumer. Qu'a-t-il entendu du silence sous ses pas ? Comment s'en délivrer ? La fenêtre assombrit le plancher de sa chambre fermée ; un grain de plâtre tombera sur les poussières allongées près du lit et les ombres auront des charivaris. Je rassemble ici, entre chambre et coteau, mes enfances de berges et de margelles, de courtilières courant sous les humus, de corps figés dans la langue. Mais le cercle de la lampe se défait déjà. Le silence ne tient plus mes mémoires.
Les mots ont du sang sur mes lèvres.
Le regard ne tient plus dans la marche. Des plis de linge blanc traversent la mémoire. Il a fallu acharner sur eux le fer à chaud, oublier jusqu’à l’oubli des taches coupables. Le printemps porte l'aube des souvenirs quand sonnaient les beffrois et que l'enfance avait rétréci les gestes. L'arbre n'y pouvait rien dans sa relègue. Ses promesses étaient trompeuses dans le silence des dimanches raidis depuis toujours.
Il fallait boire jusqu'au fond du corps toute la lie.
Les oiseaux s'étaient couchés dans les guérets. Des sucs étranges pleuraient sous les écorces. Le ciel allait s'ouvrir et mes genoux tremblaient, ma peau prenait son mauvais grain des mauvais souvenirs. N'importe quoi pouvait surgir des taillis où crissaient les ronciers, courtilière noire et mante verte, nœud de serpent à mon cou.
Je n’ai plus dix ans depuis longtemps. Le silence reste à l’étroit sous les fenêtres du jardin.  L'herbe retient son souffle au passage des bêtes sans mémoire. L'oiseau se détourne encore du chant. J’ai fait trop de rêves trop rêches, mon corps s'est abruti si souvent comme une masse. Il faudrait courir dans le jour qui monte, adresser au ciel des élans et des joies, délivrer l'herbe et l'oiseau des signes trompeurs au fond des combes.
Le silence pourrait se déplier entre les peaux mortes. Les ombres n’auraient plus de faux bonds dans la marche. Un peu de paix s’écrirait dans les traverses du poème. Enfin.

La tentation des combles

Franchir le pas de l'auto édition numérique demande une longue réflexion préalable et l'abandon de tout orgueil. J'ai écrit mon roman La tentation des combles il y a dix ans. Un éditeur l'a trouvé intéressant mais trop artificiel à la fin. Une éditrice m'a proposé de densifier certains passages avant de le soumettre à sa direction éditoriale. Mon application n'a pas suffi. Une autre éditrice a trouvé que l'ensemble manquait de pathos malgré ses qualités évidentes. 
Bref, j'en ai conclu que ce roman ne laissait pas indifférents les quelques éditeurs qui ont bien voulu m'adresser leurs remarques.
Récemment, grâce aux conseils avisés d'une amie universitaire spécialisée dans la littérature espagnole, j'ai repris le texte. Il est plus nerveux, plus rapide. Tout en gardant son étrangeté et ses cocasseries.
J'espère qu'il saura vous plaire si vous ne redoutez pas la lecture sur écran. En voici la quatrième de couverture :

"Catherine n'a rien perdu de son franc-parler. Elle n'aime pas les cons et encore moins les porcs. Elle n'aime pas sa mère non plus mais c'est une autre histoire. Encore que. La femme trouvée morte sur la plage de M*** a peut-être un rapport avec les mères qu'on n'aime pas. Comment savoir ? L'enquête de la gendarmerie piétine.
J'espionne mes voisins, je pédale à toute vitesse dans mon réduit aménagé sous les combles, je fais un long voyage avec un oiseau pour essayer de comprendre ce qui a pu arriver. Mais je ne comprends rien à rien. Catherine est superbe dans sa robe à fleurs et le gris de ses yeux me subjugue mais elle ne m'aide pas. Quant aux méthodes du docteur Klamm, elles sont vraiment trop spéciales !"

Le roman est disponible sur le site de la librairie Kobo au prix de 8 €.

vendredi 16 mars 2018

Le cadeau de Luciné

Résultat de recherche d'images pour "mont ararat"La vie a parfois des sourires dont on devine qu'on les gardera toujours en soi. Dans un étonnement qui ravive la croyance en l'humain.

Luciné, quatorze ans, vient de quitter l'Arménie avec sa famille. L'horizon ne tient plus ses promesses à l'entour du mont Ararat. L'asile en France pourrait lui redonner des couleurs...
En attendant la décision des autorités administratives, Luciné ne perd pas ses journées à pianoter sur une tablette, ne s'abrutit pas de vidéos postées sur les réseaux sociaux.

Luciné lit de la poésie. Luciné lit Passage au bleu de Brigitte Giraud et recopie des extraits sur des feuilles qu'elle assemble avec des agrafes. Elle s'applique à bien former les lettres. Elle veille à ce qu'il n'y ait aucune faute. Puis, grâce à Internet, elle s'arrange pour traduire les textes en arménien, avec l'infinie patience des chercheurs d'or.

Je suis très ému quand Luciné me montre son travail. Par l'intermédiaire de sa tante qui parle français, nous parvenons à échanger autour de la poésie. Je mentionne Parouir Sevak et le visage de l'adolescente s'illumine. Elle prend conscience que traduire de la poésie est quasiment une mission impossible car, me dit-elle en joignant le geste à la parole, la poésie c'est dans la tête, c'est de l'intériorité. Rien n'est plus difficile à traduire que l'intériorité. Puis Luciné me confie qu'elle veut lire aussi mes livres. Plus tard, peut-être, elle écrira.

Il fait nuit quand je quitte Luciné et sa famille. Je ne sens pas la pluie brassée par les sautes du vent. Je ne vois pas les feux rouges et les feux verts qui dansent sur le pare-brise. Je pense au moment rare que je viens de vivre. Une jeune fille, Luciné, aime la poésie et apprend le français avec elle. C'est un cadeau. Un sourire de la vie. Quelques touches de bleu ouvrent l'horizon. L'espoir n'est pas qu'un brin de paille. Vive la poésie. Vive Luciné.

mont Ararat geo.fr