samedi 21 décembre 2019

On est plus poreux au temps qu'il fait






Résultat de recherche d'images pour "nicolas de stael paysage"On est plus poreux au temps qu’il fait quand la douleur point. On prend corps avec l’oiseau contre les vents et les pluies. Le sillage des buées sur la vitre coule avant de s’effacer. On pense à tout ce qui s’en va de soi depuis qu’on est né. On pense à toutes les humeurs qui ont raviné la peau. Un bouton écorché saigne encore dans un souvenir de solitude. Il faut parfois beaucoup de solitude pour écorcher un bouton. On avait cinq ans et on ne parlait pas. On regardait le monde et on ne le comprenait pas. Quel monde ? Le monde existe mal sans les mots. Les lignes brouillaient les formes. Le bleu du ciel tombait sur les feuilles des arbres et tout chavirait. L’oiseau, on ne savait même pas son nom pour le saisir. Un bouton à écorcher tenait lieu de refuge. Le sang coulait, qu’on effaçait du doigt, étonné d’avoir un corps.

Aux urgences, la délivrance immédiate de la mécanique du corps. Quelqu’un est venu avec les gestes qui libèrent. On repense au ventre de Courbet percé par une alène. Mais qu’a-t-on pensé à l’instant où la vessie s’est débondée ? Comment le regard a-t-il retouché le décor ? On se souvient qu’on a fermé les yeux pour entendre le reflux de la douleur. Une écaille sera tombée du mur. Les néons auront repris des couleurs. Puis la compagne aimée a pu entrer dans le box. On a dit des mots sans suite. On a souri. Deux heures plus tard on est partis. La ville jaunissait sous les lampadaires. On n’a pas compté les abribus et les barrières. La paix revenue dans le bas du corps demandait de la lenteur. Une lenteur qui permettait l’oubli au cœur des fibres. On a retrouvé le chat effaré et le seringat au fond du jardin. On a souri encore. Tout était bien.

Résultat de recherche d'images pour "nicolas de stael paysage"On marche dans la rue. La sonde cachée sous le pantalon. Le corps peine à se délier le long de la jambe. Les nuages non plus ne glissent pas bien dans le ciel. Les grands arbres ont des lourdeurs au bout des branches. Une fatigue d’être soi peut-être, dans une durée trop lente. On sourit de la comparaison avec ce qu’on vit d’empêchement. On avance. Le décor n’a pas changé d’adresse. Boulangerie. Boucherie. Pharmacie. Intersections et signalisations. Places de stationnement. On s’étonne du flou qui marque les contours. Tout est reconnaissable dans l’instant mais c’est l’instant qui ne tient pas. On regarde comment les gens vont à leurs affaires. On suit longtemps des yeux l’équilibre d’une jeune fille sur son vélo. Le ciel tomberait-il si elle tombait ? Le flou atteindrait-il le cœur des choses ? On avance encore. Le corps et les nuages sont plus souples. Les rumeurs de la ville s’entendent sans brisures dans l’écho. On avance.

La compagne aimée se souvient aussi d’une opération dans le bas du ventre. Un mois de juillet sous la chaleur. Les travaux de rénovation dans la clinique. La chambre sans toilette. Un lavabo dans un coin et l’eau grommelait en coulant. Un crucifix sur le mur dont le blanc avait tourné. Un crucifix pauvre pour que la souffrance reste pauvre. Depuis quand était-il là ? Combien de malades avaient maudit sa présence sans oser le décrocher ? D’autres, peut-être, même sans croire, lui avaient parlé tout bas. Quand la douleur était moins forte.

On retrouve la couverture de laine rouge. On la regarde comme si elle n’était plus tout à fait une chose. On imagine qu’elle gardera un peu de la mémoire du corps. On somnole avec cette idée vaine. Un bruit dans la chambre, venu d’une conduite d’eau ou de gaz, emporte l’imagination vers les vieilles terres des enfances. La laine n’était pas rouge sur les lits. Les bruits descendaient du grenier où des fruits dormaient sur des claies parmi des sacs de blé. Ils avaient des griffes et on avait peur sous l’édredon. Les rengaines des grands-mères prenaient vie avec la fièvre qui sifflait dans les poumons. On ne faisait pas encore d’allégorie avec les oiseaux. On ne prêtait aucun dessein au chat effaré. Comment auraient-ils pu porter secours quand l’eau gelait à la sortie des puits ?

On est depuis toujours une espèce de contemplatif. On voit et on écoute. On ne peut pas voir si on n’écoute pas. Parfois même, il faudrait toucher. Tendre la main vers un éclat de lumière révélerait un halo tout entier sur la vitre du jardin. On tient ce propos en buvant un verre d’eau pour drainer ce qui reste de sale dans les urines. On ricane. Sottises ! Sottises ! On marche aussi autour des meubles du salon. Ne l’a-t-on pas assez entendu dire, qu’il fallait boire et marcher ! On s’agacerait au passage de l’oiseau s’il venait à chanter. On répudie la beauté de la terre et du ciel. On contemplera plus tard. Quand le corps cessera de grincer.

On repense aux souvenirs d’enfance de Philippe Rahmy. Sa violence pour ne pas être un corps à part. Sa fureur à rouer de coups l’enfant plus faible malgré les os de verre. On se souvient du corps qu’on avait à douze ans. Ses gestes n’étaient pas amples. Sa blancheur faisait malade. Quelle vilenie aurait-on pu commettre si on l’avait chassé ? Saurait-on aujourd’hui le confesser, en écrivant ?

Nicolas de Staël passion-estampes.com
Nicolas de Staël au Havre francemusique.fr













samedi 7 décembre 2019

Emma vacille un peu sous la lumière


Résultat de recherche d'images pour "de kooning"
Emma vacille un peu sous la lumière de midi
Les ombres luisent sous les pavés cirés
Quelques oiseaux trottinent           
Le paysage est-il si rassurant
Quand la rumeur est plus sourde dans la ville
Emma presse un mouchoir contre son nez
Qui a froid
Puis une absence la prend tout entière
Quelque chose du décor a chaviré mais quoi
Et ses yeux papillonnent
Du bleu du vert avec une pointe jaune
Font tinter l’air alangui
Un passant se retourne et s’étonne
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Constance retrouve dans la ville
Le chemin de ses enfances
La rue de l’ormeau mort
Puis les hautes fenêtres de la caserne
Avant le boulevard
Qu’elle traversera craintive
Comme quand elle avait dix ans
Mais sans le parfum doucereux des
Nostalgies
Constance se méfie depuis toujours
Des images qui trompent la mémoire
Elle ne lève pas les yeux vers le ciel
Où vont des gris trop tourmentés
Elle ignore un homme à son balcon
Son sourire est tellement ridicule
Elle fixe au bout de ses bottines un reflet tremblant
On dirait un frisson pense-t-elle
En relevant son col
Le frisson d’une peau émue
Et elle sourit
Sans voir qu’une ombre la dépasse


Nastassia hésite au bord de la foule
Imagine un poulpe qui ondule
Une sueur acre monte à ses narines
Dans quels troubles désirs a-t-elle macéré
Nastassia sent ses nerfs courir sur sa peau
Comment traverser la houle
Et rejoindre sans flétrir
L’homme qui l’attend fiévreux
Comme elle est fiévreuse
Elle ferme les yeux très fort
Les piétinements sont plus sourds
Sous un ciel de cuivre
Des ombres dessinent des chimères
Sur les vitrines où la lumière pisse
Puis d’un ahan hautain ah la belle image
Pour une femme si romanesque
Elle se retrouve de l’autre côté des corps
Quelqu’un la regarde et elle ricane
Déjà prête à la colère


Mathilde vient tous les jours regarder
Les bateaux qui sont comme des châteaux
Un parfum d’œillet à ses cheveux
Fait partie du voyage
Retourner là-bas quand elle pourra
Si loin qu’elle ne parvient plus à nommer
Les hautes herbes qui fléchissent
Au pied de la colline
Avec des remuements de bête
Sa langue aussi est un paysage flou
Dans lequel elle s’efface
Comment s’appartenir quand le rêve est si mou
Que les désirs se fanent
Un marin sur une échelle de coupée
Observe des pas perdus sur le quai
Un promeneur avec son chien
Un autre avec sa solitude


image Willem de Kooning
https://iapref.orange.fr/refresh?EC=true&r=8869801590&sn=webmail1f.orange.fr&pn=%2Fwebmail%2Ffr_FR%2Fread.html%3FFOLDER%3DSF_INBOX%26IDMSG%3D134721%26check%3D%26SORTBY%3D1&h=https://webmail1f.orange.fr/webmail/fr_FR/inbox.html?FromSubmit=true&ty=0https://c.woopic.com/z.gif?APP=elco&access=desktop&loaderLoaded=692&coreLoading=693&coreLoaded=710&libLoading=772&libLoaded=772&rendered=1473&end=1473
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jeudi 28 novembre 2019

Se retirer dans un jardin

Résultat de recherche d'images pour "soulage peintre"Se retirer dans un jardin
Et regarder un canard en plastique
Un enfant l'aura perdu
Sa laideur pour un peu nous ferait du bien
Les rumeurs de la ville gargouillent encore
Les lumières sont flasques sur les visages
Où passent des envies déjà vieilles
Petites géographies de la sueur
Et du désir inassouvi
Mais que vivre dans ce havre en toc
Où les ombres ne vont jamais debout
Les oiseaux ricanent à nos soupirs
Les ricochets sur l'étang font des flops
On tourne de guingois
Autour d'un banc qui nous repousse
Et l'ennui grommelle dans la gorge
Il faudrait retrouver l'allonge ordinaire
Des mots qui étreignent
La joie
S'abreuver de nouveau aux humeurs
Qui allègent
Le ciel n'est pas si bas
Et l'horizon garde la ligne
Quand le corps se déplie

Soulages slash-paris.com




mardi 19 novembre 2019

Se retourner sur un visage

Résultat de recherche d'images pour "soulage peintre"
Se retourner sur un visage
Ce geste dans la foule
Quand le bruit assourdit
Quelques traits nous restent
Qu'on voudrait assemblés avec la fatigue
Dans la fabrique d'un souvenir à sa mesure
Mais on presse le pas
On n'a rien reconnu de ce qui hante la peur
Si au moins il pleuvait
Si le tumulte poissait
Les peaux blanches et les yeux délavés
On comprendrait que la mélancolie soit risible
On reprendra bientôt la marche et l'ennui
Parmi les ombres sans soupirs
On ne sait pas vouloir autre chose
Chercher dans la multitude
Cet autre qu'on ne sera jamais
Notre désarroi n'a pas assez de flou
Pour trouver un visage

image Pierre Soulages

mercredi 6 novembre 2019

Hideo Furukawa, Soundtrack

Résultat de recherche d'images pour "soundtrack furukawa"Comment dire ? Lorsque les mots viennent à manquer pour définir un roman, tant ils sont nombreux, c'est que le chroniqueur se trouve en présence d'un phénomène rare.
Soundtrack, du Japonais Hideo Furukawa, est, à tout le moins, une bande-son particulière. Peut-être faudrait-il, pour en préciser le mouvement, recourir au talent du pornoaste du livre ! Mais ce serait aller vite en besogne. Commençons par la scène inaugurale. D'avant le commencement. Le lecteur pourra s'imaginer dans un récit de Daniel de Foe.
Une île déserte. Un jeune Robinson de six ans, Touta, s'y trouve violemment projeté. Presque dans le même temps, une jeune Robinsonne, quatre ans et demi, Hitsijuko, y accoste aussi. Tiens donc ! Adam et Eve annonceraient-ils leur retour ? 
Nous sommes à la fin du vingtième siècle. Le paradis a du plomb dans l'aile (de corbeau) au Japon comme ailleurs. Le réchauffement climatique transforme la mégalopole de Tokyo, dans ses entrailles comme dans ses altitudes, en un enfer inextricable. La ville inondée est submergée par toutes sortes de migrations humaines et animales. Des milices fascistes s'arment lourdement dans les souterrains désaffectés du métro et sèment la terreur avec la complicité de la police ou des yakusas. Des mères de famille défilent fièrement dans les rues avec leurs nouveau-nés cent pour cent japonais... Mais, cependant que les citadins les plus fortunés cherchent à fuir ou à tirer profit du naufrage, des résistances s'organisent. Un ancien technicien du réseau électrique répare gratuitement des installations endommagées. Des prostituées enfilent des blouses d'infirmière et se mettent au service d'un chirurgien immigré de Bogota. 
L'espoir n'a pas dit son dernier mot. Après moult péripéties, Touta et Hitsijuko, désormais adolescents dans les années deux mille, prennent leur destin en main. Chacun à sa façon toute d'étrangeté. Le long séjour passé sur l'île a imprégné différemment leur corps et leur conscience. Avec d'autres personnages tout aussi singuliers, dont le corvidé Kroy juché sur l'épaule de Léni au sexe indéfini, pourront-ils survivre dans le grand chamboulement ? Le silence de la danse de Hitsijuko et de sa compagnie de girlz sera-t-il aussi efficace que le bazooka de Touta l'exterminateur ? 
Comment savoir puisque le réel est aussi insaisissable que les milliards de moustiques qui infestent la ville ? 
Le lecteur pourra peut-être lever un coin du voile avec la postface de l'auteur et les propos du traducteur Patrick Honnoré. Hideo Furukawa déclare que son roman ne se situe pas dans un futur proche mais dans un passé proche. "Ici a commencé le chant", précise-t-il avant d'exhorter au courage de faire le monde. 
Patrick Honnoré évoque un roman mythologique empreint de chamanisme comme moyen d'agir et cite en référence les deux Murakami, Haruki et Ryû, ainsi que Thomas Pynchon. 
Comment un lecteur de 2050 s'emparera-t-il de cette oeuvre ? Comment saura-t-il se constituer un présent s'il n'est pas capable de soutenir le regard d'un corbeau éploré, s'il n'a jamais pu apprivoiser le silence des images dans sa tête ?
De toute évidence, quelque chose d'autre a déjà commencé. De nouvelles voies maritimes apparaissent avec de nouvelles îles. Les humains n'en ont pas fini de marcher. Les corbeaux n'en ont pas fini de voler.

Soundtrack de Hideo Furukawa est disponible aux éditions Picquier poche et coûte 13 euros.

image babelio.com

samedi 26 octobre 2019

François Mauget, ouvrier de l'impossible



François Mauget, qui aimait autant la terre que les étoiles, vient de nous quitter à l’âge de soixante-huit ans. Fondateur du théâtre des Tafurs à Bordeaux, il est également le créateur du festival de poésie Demandez l’impossible en 1999. Pendant près de vingt ans, dans toutes sortes de lieux, (halles, amphithéâtres, base sous-marine, musées, rues et places, aires de gens du voyage, écoles, bibliothèques et même autobus…), ses comédiens et lui-même, accompagnés de musiciens, ont mis en voix et gestes des dizaines de poètes contemporains venus de tous les continents, de tous les horizons. Les auteurs présents prolongeaient le spectacle par la lecture d’inédits et embrassaient, émus, l’homme qui venait de donner du corps à leurs vers.
Résultat de recherche d'images pour "françois mauget"La poésie selon François Mauget ne se haussait pas du col avec la bouche en cul de poule. Elle prenait le monde à plein cœur, faisait ribote avec Jean-Claude Pirotte puis, sensible aussi au mysticisme païen, arpentait les premiers chemins de l’homme avec Françoise Hàn.
Dans le même temps, sous la lumière encore un peu grise de mars, la compagnie des Tafurs ouvrait la porte des écoles qui souhaitaient inviter le printemps à la table des mots. Dans les couloirs et sous les préaux, avec parfois les poètes eux-mêmes, les élèves retrouvaient leur enfance grave et légère. Ils écrivaient en prose ou en vers dans la liberté la plus totale puis, juin venant, un recueil de tous les textes était publié et des ballons porteurs de rimes étaient lâchés dans l’azur, applaudis par les familles et les passants réunis. Avant de boire un verre et de savourer quelques amuse-gueules.
François Mauget, qui ne désespérait pas de l’humanité malgré ses turpitudes, a gardé toute sa vie son pouvoir d’indignation et, cela va souvent de pair, son pouvoir d’aimer. Sa volonté a fait le reste qui n’est pas que littérature, la gratuité des spectacles notamment. Il a offert, en ouvrier tenace, l’impossible aux hommes et aux femmes venus l’écouter : ouvrir à tous les semaisons du poème. Dans la mélancolie comme dans la joie.

Outre Jean-Claude Pirotte et Françoise Hàn, les auteurs suivants ont été mis en voix par François Mauget et ses comédiens : Valérie Rouzeau, Seyhmus Dagtekin, Raymond Federman, Frankétienne, Anise Koltz, Salah Al Hamdani, Tania Langlais, Murièle Modély, Raúl Nieto de la Torre, Albane Gellé, Lionel Bourg, Isabelle Lévesque, Ritta Baddoura, Marcel Moreau, Antonio Placer, Jean-Paul Michel, Christian Prigent, Michel Ohl, Antoine Emaz, Jacques Abeille, Donatien Garnier, Abdallah Zrika, Mohammed El Amraoui, Thierry Metz, Florence Vanoli, Brigitte Giraud, Max Rippon, Jyrki Kiiskinen et Abbas Beydoun… parmi bien d’autres…


photo jeanpoustis.over-blog.com