jeudi 8 mars 2018

Omar Youssef Souleimane, Le petit terroriste

Résultat de recherche d'images pour "omar youssef souleimane le petit terroriste"Partisans d'une pratique religieuse rigoriste, les parents d'Omar Youssef Souleimane, dentistes syriens, s'expatrient en Arabie saoudite en 1999. A douze ans, Omar est inscrit dans une école coranique où même la longueur de la djellaba obéit à un règlement strict. L'essentiel de l'enseignement porte évidemment sur le monothéisme et son interprétation, très stricte elle aussi. L'embrigadement est si poussé que le professeur de mathématiques écrit au tableau la phrase " Dieu seul le sait. " quand il résout une équation... Le lavage de cerveau n'est pas moins intense à la maison. Les juifs et leurs alliés occidentaux incarnent le mal absolu. Les attentats du 11-Septembre aux Etats-Unis donnent lieu à d'immenses manifestations de joie. La mère d'Omar regarde en boucle les informations sur Ben Laden. Son père se souvient qu'il rêvait de faire le djihad en Afghanistan dans les années 1980. Omar, pourtant déjà visité par le doute, succombe à l'envoûtement : " Oussama Ben Laden ... avait enfoncé la porte de la peur afin que les jeunes musulmans puissent suivre son exemple. Je me suis imaginé avec lui dans les montagnes de Tora Bora, vêtu à l'afghane, portant une arme. Là-bas, je regarderais les étoiles, dormirais dans les grottes et rien d'autre. Les médias diraient de moi que j'étais un criminel et peut-être le plus petit terroriste du monde."

Fort heureusement, l'imagination du "petit Omar" se laisse traverser par d'autres fièvres, beaucoup moins violentes, beaucoup plus délicieuses. La jeune Mouna laisse entrevoir quelques parties de son corps et un trait de khôl embellit discrètement son regard. Le feuilletage de quelque magazine érotique complète agréablement l'émoi naissant et la masturbation va bon train... dans un univers où le corps est considéré comme diabolique...

Sauvé par la chair fantasmée, Omar l'est aussi par la puissance poétique et musicale de la langue arabe. L'apprentissage du Coran dès l'âge de cinq ans n'assombrit pas son émerveillement à la lecture de nombreuses poésies. Plus tard, la découverte d'Eluard et d'Aragon le métamorphose. " J'imaginais devenir poète. En rentrant à la maison, je songeais aux colombes qui revenaient à leurs nids après avoir porté les messages qu'on leur avait confiés.", écrit l'auteur de Le petit terroriste. Plus tard encore, son père lui ayant offert un ordinateur, Omar s'affranchit définitivement grâce à Internet de toute croyance religieuse alors qu'il aurait pu au contraire basculer dans une radicalité plus aveugle. Non sans humour, il déclare souhaiter rejoindre en enfer les génies Aristote, Platon, Einstein, Edison, Rimbaud... ainsi que Monica Bellucci et Angelina Jolie... parmi tant d'autres sublimes créatures.

Le petit terroriste d'Omar Youssef Souleimane est un récit totalement authentique. Composé de textes brefs, une à six pages, il raconte l'épouvante vécue en Syrie après le retour de la famille au pays. Bachar al-Assad massacre son peuple et Omar devenu journaliste au service de la liberté est exfiltré d'extrême justesse en Jordanie puis exilé à Paris où il réside, cela ne s'invente pas, rue du Paradis...

Au-delà des faits, il pose surtout une question philosophique majeure : Un islam compatible avec les idées de liberté et de démocratie est-il possible ? 

Le petit terroriste d'Omar Youssef Souleimane est publié chez Flammarion et coûte 17 €. L'auteur, qui a par ailleurs édité des livres de poèmes, (Loin de Damas, éd Le Temps des cerises, 2016...), sera présent à l'Escale du livre à Bordeaux début avril. N'hésitez pas à le lire et à le rencontrer.


lundi 5 mars 2018

Le long des embrasures


J'ai le plaisir de vous annoncer pour la fin du mois d'avril la parution de Le long des embrasures aux éditions du Cygne. C'est un ensemble d'une cinquantaine de textes dans lesquels j'essaie d'épuiser le même paysage vu depuis un toit de Bordeaux dans le quartier Paul-Bert à différentes heures du jour. Le peintre André Jolivet a illustré trois de ces poèmes dans un livre d'artiste. Jeanne Maillet a repéré le texte lors d'un prix littéraire au Touquet et lui a octroyé une bourse de cinq cents euros. Enfin, Jean-Claude Goiri des éditions Tarmac envisageait de le publier. Ces trois personnes sont les dédicataires de l'ouvrage car "dans mon pays on remercie" comme disait la Grande Citerne Charivarienne. La photo ci-jointe, que j'ai prise à Porto l'an dernier, illustrera la couverture, avec des retouches. J'en reparlerai bien sûr, ne serait-ce que pour l'éditeur qui me fait confiance et que je remercie aussi. Mais vous connaissez mes réserves quant à l'auto promotion intempestive... Je contacterai cependant quelques librairies ou bibliothèques pour des lectures et, accessoirement, quelques ventes.

(La couverture du livre est prête depuis trois mois mais je ne parviens par à la télécharger car c'est du pdf et que mon blog ne le prend pas en réserve.)

dimanche 4 mars 2018

Remonter du sommeil comme d'une glaise

Résultat de recherche d'images pour "galet"Remonter du sommeil comme d'une glaise trop humide. Cette sensation-là dans le soir aperçu par la fenêtre. Un vent fort s'est levé pendant qu'on dormait. La tourbe se sera tassée au pied du seringat. C'est là peut-être qu'on s'est enfoncé, dans un corps indéfini. Sans mémoire de sang.

*

On lit un livre sur les arbres. On lit un livre sur les pierres. L'éternité fragile dans les veines du bois comme dans les veines du galet. On s'apaise à cette idée qui réunit tous les corps. Le souffle accompagne mieux les humeurs dans la sonde. On décide que demain sera un jour étale. Sans éclats. On imagine déjà les traits du paysage qu'on portera en marchant dans la maison. On voit un cerisier au chevet d'un jardin sec. Un pétale tremble dans l'air. Une pointe d'obsidienne luit parmi des gravillons. Quelle entaille dans la rêverie du promeneur ? L'horizon est-il si ténu dans sa fuite ? On ramène sur soi la couverture de laine rouge. On a des fourmis le long des jambes. On pense aux arbres et on pense aux pierres. Au pétale qui n'en finit pas de trembler.

*

On se souvient qu'on a été opéré à douze ans des végétations. On a gardé l'image d'un masque noir sur le visage. Comme un poulpe. Redoutait-on, déjà, les humidités des corps ? On ferme les yeux et le mot végétations vibre d'un sombre écho. Un arbre pousse dans la vessie. Racines de pierre au coeur des plis. Epanchements d'humus mais de quel ventre ? On pense à une mère dans ses fièvres. On noircit l'image. Quelqu'un d'autre aurait la tentation du bleu ou du jaune. A-t-on jamais vraiment aimé le bleu ? N'était-il pas trop vaste là où on a grandi ? Le jaune effrayait-il à ce point l'enfant perdu ? On ne sait plus dire. La mémoire se défait comme une terre pauvre. On ferme les yeux.

image planete-cristal.net
(Cet article est le quatre-centième de ce blog. Je ferai un petit bilan. )

lundi 12 février 2018

L'enfance encore vient déranger

Résultat de recherche d'images pour "salvador dali miroir"L'enfance encore vient déranger le silence. On ne sait pas s'en prémunir. On regarde comme au théâtre le défilé des souvenirs. A-t-on vraiment joué dans cette pièce ? L'a-t-on seulement regardée depuis des coulisses ? On a eu cinq ans puis dix ans. On a en soixante-deux. Les paysages retouchés mentent un peu. La solitude était déjà là, dans le sang. Des brassées d'oiseaux traversaient le ciel et les brumes. Le vent dans les blés de juillet tenait d'étranges conciliabules et on avait peur. Et on prenait du plaisir à cette peur qui faisait vivre la peau. Les blés ont disparu de l'imagier. Le vent n'a que le seringat du jardin pour horizon. Les oiseaux volent par deux à ras de terre. On vieillit. Le corps ne remplit plus tout à fait le corps. La mort travaille le vide.

*

Il y a une semaine on traversait la ville la nuit. Les boulevards baignaient dans un jaune usé. Les abribus étaient déserts. Un long trait de jazz aurait pu suivre le trajet de la maison à l'hôpital. Tout allait bien. La mélancolie se tenait loin des regards et des chiens. Quelques trouées claires entre les nuages allégeaient le poids du ciel. L'accueil était prêt sous les lampes du bloc. Des écrans veillaient. Des lignes vertes couraient avec des lignes bleues. Des visages passaient. Des voix parlaient. Un ballet de bleu de vert de blanc. A-t-on inventé aussi un peu de rose sur le mur soudain ajouré d'un fenestron ? A-t-on rêvé la vie de l'anesthésiste qui venait de Lituanie ? A-t-on seulement pensé dans le passage au noir ?

*

Nettoyer. Désinfecter. Maintenir le corps propre. On épure les gestes. L'oeil cherche un raccourci dans les distances. La main effleure avant de prendre. Le temps au ralenti n'égare pas l'esprit. Un reflet pourtant, d'où vient-il, compose un visage au miroir. On s'arrête. On cherche l'équilibre de la pause. L'image a comme des impatiences dans ses bougés. Lumière du reflet contre lumière du tain. On manque de mouvement pour saisir les lignes. Le visage n'est pas sûr. Aucune langue ne viendra jusqu'à lui. On reprend le travail d'ablution qui paraît plus lent. La fatigue passe dans la peau. On s'est attardé au miroir sans nommer les contours. On a refusé de s'y reconnaître. A quoi bon ce vain combat ? Aurait-on besoin de souffrir davantage ?

(Merci à Salvador que j'ai tant aimé.)

samedi 27 janvier 2018

La compagne aimée demande

Résultat de recherche d'images pour "planches d'entomologie"La compagne aimée demande si la douleur n'est pas trop forte. Ses lèvres dessinent des papillons roses et butinent les calices du bouquet dans son vase. Il faudrait qu'il ait un col de cygne pour que l'image soit totalement sucrée. On sourit et la douleur reflue. On pense aux années déjà partagées, à celles qui viendront encore. Avec leurs mots pour épauler les corps. En attendant.

*

Le poète Joe Bousquet est resté alité de 1918 à 1950. On imagine mal l'insurrection de sa jeunesse fauchée par un fusil quelques mois avant la fin de la guerre. On ignore comment ont pu avoir lieu des accommodements raisonnables avec l'absurde. Les grandes douleurs sont-elles vraiment muettes ? Quel poète serait devenu Joe Bousquet si la tragédie avait surgi d'un autre hasard ? On passe avec cette question un moment filandreux. Qui épaissit l'esprit. Le corps aussi s'engourdit. On tirerait volontiers les rideaux dans la chambre. Que soient submergées toutes les ombres sous le lit et la peau ! Joe Bousquet aura souhaité cela parmi des milliers d'autres souhaits. Dans la colère. Dans la malédiction de toutes les boucheries humaines. Etre cloué à vingt ans comme un coléoptère sur une planche ! Puis dans quelque chose comme un apaisement nécessaire. Un apaisement qui ne s'est pas résigné. Qui a continué à faire vivre les restes du corps. Inexorablement.

*

On vide toutes les heures une poche remplie d'urine et de sang. On mire la couleur du liquide comme autrefois on mirait les oeufs fécondés. Piètre comparaison. Où se trouve la vie dans ce caillot qui glisse si mal le long du tuyau en silicone ? Et la mort, que trame-t-elle dans les plis les plus sombres ? On s'agace. On referme le robinet de la poche. On s'en retourne à la couche. Tout est calme dans la maison. Les objets restent à leur place d'objets, ne contrarient pas les gestes rétrécis. Le bouton d'un tiroir jette un ou deux éclats de nacre. La lampe du salon n'organise aucun mystère avec des ombres fausses. On tiendra jusqu'au soir sans les tromperies des questions. On saura faire respirer l'esprit au creux du ventre.

(Ces textes font partie d'un ensemble imprévu, qui a commencé à s'écrire le 11 janvier. Et voilà qu'ils sont déjà une cinquantaine. 
Autre chose, mon recueil Le long des embrasures paraîtra fin avril aux éditions du Cygne que je remercie.)

image entomocollection-blogspot.com

mercredi 24 janvier 2018

Dormir pour apprivoiser

Résultat de recherche d'images pour "bouteille d'eau"Dormir pour apprivoiser ce qui résiste dans le corps. L'oiseau idéal drainera les sanies et le ciel sera un drap bleu au réveil. Sourire. Tenir avec les mots les plus simples. On l'a deviné il y a longtemps. Un grain de plâtre tombé du mur nous l'aura dit mais c'est plus tard qu'on l'aura compris. En suivant le chat qui jouait à la feuille morte. Un jour de novembre. Etait-ce vraiment l'automne  dans la terre meuble du seringat ? Le vent avait-il quelque saute à murmurer dans les branches ? Et voilà retrouvé, dans le fil des questions, le souffle du sang. La nuit peut tomber.

*

C'est un dimanche de lumière sale. On se réfugie sous une couverture de laine rouge. Tout sera plus long. Laver le corps. Désinfecter le corps. Habiller le corps. Détendre l'esprit dans sa grande solitude. On guette un mouvement par la fenêtre trop immobile. Rien ne bouge et rien ne bruit. La vie aura quitté le monde. L'oiseau las, le chat taciturne se seront dégoûtés du silence. On s'amuse un moment de cette image d'animaux qui renoncent. On se souvient de la dissipation de la vie dans un roman italien. Un seul témoin pour dire l'effroi du vide mais à qui ? Le silence n'est d'aucun secours s'il est trop silencieux. Le corps se remet à geindre. Il faudrait se lever. Dresser la liste des gestes qui ouvriraient le chemin jusqu'au fruit sur la table du salon, jusqu'à la bouteille d'eau à remplir encore. Il faudrait cela dans la lumière sale. Et la paix viendrait dans le sang. Mais un volet qui grince recompose l'espace de la chambre. Tout sera plus long. Plus loin.

*

On pense peu aux grands souffrants qui résistent toute une vie. Leurs actes sont des leçons. Leurs paroles sont des leçons. Construisez votre joie comme nous construisons la nôtre, disent-elles. Oui. Bien sûr. On donnerait de la force à l'oiseau contre le vent. La lumière blesserait moins les yeux tristes. La douleur aurait l'aiguillon plus doux. Bien sûr. Et pourtant. Cette réticence qu'on a. Le dépassement de soi tresse des lauriers à la chaîne. Frappe des médailles sur la poitrine des valeureux. On n'est pas valeureux. On craint le sang qui s'épanche. On redoute les urines retenues dans la vessie. Et l'oiseau ne tient pas debout sur le muret du jardin. Il a peur. La pluie pourrait tomber. Une branche casser. Et ce serait l'aubaine du chat tendu vers sa proie. L'autre leçon du pire.

image lematin.ch

samedi 20 janvier 2018

Le corps dépose parfois l'esprit

Résultat de recherche d'images pour "sonde urinaire"Le corps dépose parfois l'esprit dans une grande solitude. Les pensées manquent de mots. Les traverses sont trop loin de la fatigue. Le ventre pèse où macère le sang noir. On veut vivre pourtant. Les yeux s'en vont vers les oiseaux qui croisent au large. La lumière s'avive sous l'allège dans la chambre. On retrouve là les signes perdus de l'enfance. Une bille de terre s'invente au creux d'une rainure. Les restes d'une clisse luisent sombrement au souvenir du grenier. Le ciel est bas soudain et l'oiseau n'est plus une promesse. On veut vivre pourtant. Eprouver le mouvement qui retient les plis contre la peau. Pour un peu on rirait des mièvreries qu'on envisage. Une ombre passe au bout des cils. Elle ne dessine aucune ramure sur fond d'azur. Elle ne dit pas que c'était beau quand on avait dix ans. C'est avec elle qu'on se tiendra tout le long du jour. Dans le répit des chairs. On est vivant.

*

On vit depuis deux jours appareillé d'un tuyau au bas du ventre. Le temps s'écoule moins vite que les humeurs. Les gestes cherchent la mesure la plus sûre. Pour que le repos vienne dans l'attirail du corps. On ferme les yeux. Les bruits de la maison montent par l'escalier comme le chat effaré. L'émail est plus lourd, la céramique plus légère. Un froissement de chiffon en barbouille l'écho. On ferme les yeux. On devine le visage inquiet de la compagne aimée. Elle regarde le jardin se lever dans le matin. Quel tri pourrait-elle faire parmi les ombres à partager ? On reste longtemps avec cette question du fardeau qui leste nos pas. On pleurerait presque. On se retient. Des rumeurs viennent de la rue, qui nous étonnent.Elles ne sont pas exactement de ce monde. Plus sourdes ou plus feutrées, on reconnaît mal ce qu'elles disent des hautes solitudes. On ferme les yeux.

*

La douleur passe dans toute la chair. Elle ne s'attarde pas autour des fibres. Elle est comme un instant de lumière blanche égarée dans la nuit. La fatigue retourne longuement cette image après qu'elle a passé. La mémoire sème le trouble dans les souvenirs qui bégaient. On ne sait plus trop quand l'enfance a vécu un semblable empêchement. On s'attarde au trait de lumière blanche. On rejoue le film lent d'une détresse. Les phares d'une voiture peinent à trouer le brouillard sur une route de campagne. Des peupliers trop penchés dérobent le chemin. Une femme crie dans la voiture. Sa main tremble sur un accoudoir. Un homme à côté d'elle cherche un refuge. Le film pourrait durer encore. La lumière serait plus coupante. Des nuées de bêtes rouges viendraient y conspirer. La douleur de nouveau là taille dans le ventre. L'homme ne dira rien.

dimanche 7 janvier 2018

Rémi Caritey, Les vertiges de la forêt

Résultat de recherche d'images pour "rémi caritey"Enfant, déjà, Rémi Caritey répondait à "l'appel de la forêt" dans ses Vosges natales. Adulte, la magie des arbres est toujours sa compagne. Depuis les racines fouissant les humus jusqu'aux plus hautes branches qu'il explore afin de prélever des graines destinées au reboisement.

Biologiste et botaniste, Rémi Caritey est dans le même temps poète, historien des mythes sylvestres et philosophe proche de l'Américain Thoreau. Ses pérégrinations dans les forêts de France font écho aux lenteurs africaines où murmurent les arbres à palabres. En solitaire ou en groupe très restreint, il escalade aussi bien le fromager que le chêne, écoute le petit peuple des insectes sous l'écorce et le cerf qui brame, recueille les mille et un langages des troncs et des houppiers. Parfois, tout en partageant le vin et les histoires, il "construit un feu" qui ajoute encore au mystère de la création.

Les vertiges de la forêt de Rémi Caritey, introduit par un long exergue de Claude Lévi-Strauss, est un livre ardent dans son humilité même. L'homme n'est qu'un maillon parmi d'autres dans le grand agencement de l'univers. Mais, il faut plus que jamais le rappeler, le plus redoutable des prédateurs. Tel arbre dans la savane peut se défendre si un koudou trop gourmand dévore tous ses fruits. Il ne peut rien en revanche contre les tronçonneuses des multinationales de la filière bois.
Un jour qui sait, n'en pouvant plus des humains, Rémi Caritey imitera l'un de ses héros favoris, le baron perché d'Italo Calvino : il ne descendra plus de son arbre. C'est un bel endroit pour donner des leçons de sciences et de philosophie. Sur la longévité fragile de l'olivier ou du baobab. Sur les frémissements  de la lumière et des ombres éparpillées parmi les branches. Sur le visible et son revers à deviner.

Extrait :

" Un souffle sur les cimes et me voici fourmi rivée à un brin d'herbe. La futaie ondule en balancements lents et décalés. L'arbre exprime ici sa capacité d'abandon aux caprices du vent, et sa confiance ultime dans la force de cohésion du groupe. J'aimerais entendre ce qui se passe au coeur du bois, les frictions micrométriques de chacune des fibres lignifiées dont les chaînes s'étirent et se contractent. Mais à vif, au contact de l'écorce, le message est physique : l'arbre se joue de mon poids. Je me grise de l'ondulation puissante, de la souplesse organique du tronc, comme agrippé au col d'un troll endormi, dodelinant d'un sommeil antique. "

Le lecteur appréciera ici le subtil mélange des notations scientifiques et des envolées poétiques ancrées à la cohorte des siècles. Des souvenirs lui viendront des lectures de Reclus et de Thoreau, accompagnés d'un peu de joie pour accomplir les besognes du jour.

Les vertiges de la forêt, sous-titrés "Petite déclaration d'amour aux mousses, aux fougères et aux arbres" est publié par les éditions Transboréal dans la collection "Petite philosophie du voyage". Il coûte 8 €.

image transboreal.fr


jeudi 4 janvier 2018

Jim Harrison, Nord-Michigan

Résultat de recherche d'images pour "nord michigan harrison"Joseph, fils d'immigrés suédois et estropié, enseigne sans conviction dans une école du Michigan. Il occupe son temps libre aux travaux de la ferme familiale mais préfère la pêche comme son père prématurément décédé. Il boit beaucoup aussi, en compagnie du médecin de famille, philosophe désenchanté. Il lit ses poètes préférés, Withman et Keats, écoute de la musique classique et répare obstinément le vieux cuir d'une vieille selle. Depuis plus de vingt ans, il a une liaison amoureuse avec sa collègue Rosealee. Une liaison trop tranquille. Qui finira par un mariage mais quand ?

L'irruption de Catherine dans le train train de Joseph chamboule tout. Elle est son élève, n'a que dix-sept ans et un corps de rêve. Elle aime faire l'amour dans toutes les positions et toutes les circonstances. Danger. Grand danger. La société rurale des années cinquante n'est pas portée sur la gaudriole, a fortiori avec des mineures. Tôt ou tard, les frasques de Joseph seront connues de tous... Danger. Grand danger.

Sachant que la mère de Jim Harrison était d'origine suédoise et que son père travaillait dans le domaine agricole, le lecteur peut deviner dans Nord-Michigan de nombreux éléments autobiographiques. La mort d'une jeune soeur notamment. Il appréciera aussi les descriptions de paysages giboyeux, les scènes de genre à la taverne ou à la chasse, les évocations de la guerre en Corée, les espoirs de vie meilleure après les privations de la crise économique.

Du bon Harrison. Disponible en 10/18.

dimanche 17 décembre 2017

Mario Rigoni Stern, Les saisons de Giacomo

Résultat de recherche d'images pour "les saisons de giacomo"Lire et relire Mario Rigoni Stern est toujours un enchantement. Dans Les saisons de Giacomo, il évoque la vie laborieuse d'un village de haute montagne en Vénétie pendant les années trente. Giacomo et sa mère récupèrent les métaux enfouis dans le sol depuis la fin de la Grande guerre, cependant que le père travaille en France pour améliorer, un peu, l'ordinaire à son retour. Le cuivre, particulièrement recherché, rapporte jusqu'à deux lires le kilo. Les cartouches, quand elles sont intactes et en nombre suffisant, constituent un gain appréciable. 
Souvent, autour d'un squelette, (et ils sont nombreux), un reste de vareuse ou un brodequin hors d'usage apparaissent. Plus rarement un médaillon, une montre. Les mines des récupérateurs se font plus graves. Des morts en souvenir. Des morts à venir. Une autre guerre se prépare, vingt ans à peine après la première. Giacomo, tout juste sorti de l'adolescence, y survivra-t-il ? Que deviendra Irene, son amoureuse, occupée à constituer petit à petit son trousseau de mariage ?
Mario Rigoni Stern, "documentariste" autant que romancier, décrit précisément les travaux des montagnards et leur gain, la construction d'un monument à la gloire des soldats morts au combat (et du Duce), les beautés des paysages sous la neige ou le chant du coucou lorsque le printemps reverdit. Il détaille aussi les ramifications administratives de l'Etat fasciste et son emprise sur les esprits dès l'école dont les enseignants en uniforme organisent des marches au pas de l'oie.
Primo Levi déclarait que "le fait que Mario Rigoni Stern existe est en soi miraculeux". Paolo Cognetti auteur de Les Huit montagnes lui voue une admiration sans bornes. Nous ne doutons pas, en effet, du caractère universel de cette oeuvre qui témoigne de l'humilité des hommes devant les fracas de l'Histoire avec sa grande hache.
Les saisons de Giacomo de Mario Rigoni Stern sont disponibles en Pavillons poche des éditions Robert Laffont pour la somme de 8, 50 €. Notons également que les belles éditions de La fosse aux ours ont récemment republié ses recueils de nouvelles.

image laffont.fr