samedi 24 août 2013

Barcelona y yo, la memoria

La memoria y la piedra

La luz del sol sobre los muros,
la resaca, las voces que te cercan,
los árboles que al fondo se dibujan,
los recuerdos que secan más tu boca,
el implacable escenario de tu herencia.
Sin embargo has venido, has vuelto
a recobrar tu patrimonio abandonado,
el espectro que tú llamaste vida,
lo que fue, lo que los an͂os han dejado.
Palabras tropezadas de pasión,
violenta lengua, piel derramada entre las manos,
lo que fue, carne entregada, saliva, sangre,
temblor, caliente olor, dos cuerpos enlazados
rodando para siempre hacia la nada.
Aquí, en esta pequen᷉a calle, en ese apartamento
-cuyas paredes todavía se levantan detrás de la memoria-
sentiste el terco aliento del deseo y del odio,
la ternura y la furia recorriendo tu piel y sus rincones,
inventando su camino de fuego entre los muslos,
y aquel pelo y los húmedos, ocultos labios,
y los dientes mordiendo y la mirada ciega.
Hoy has regresado-siempre regresas a esta ciudad
donde la piedra venció al tiempo hace siglos-
y esta man͂ana de agobiante verano,
mirando la nieve lejana en los volcanes,
has buscado, junto a un portal perdido,
tu devastado origen, el territorio de tus suen᷉os.
Mientras enciendes-temblándote la mano-un cigarrillo
sabes que aquí tuviste todo y no tuviste nada,
sino este sol sobre los muros y los árboles.
Igual que ahora, cuando otra vez la luz te ciega
y el humo del cigarrillo rememora borrosas figuras,
vagos gestos con los que te consuelas,
cuando palabras, cuerpos, son ya sólo sombras
-sombras a plena luz, humo en los ojos-,
fantasmas que la resaca solivianta.

                            Juan Luis Panero

mardi 20 août 2013

Jacques Louvain: Barcelona y yo, espejo negro

Jacques Louvain: Barcelona y yo, espejo negro: Espejo negro Dos cuerpos que se acercan y crecen y penetran en la noche de su piel y su sexo, dos oscuridades enlazadas que inven...

Barcelona y yo, espejo negro

Espejo negro

Dos cuerpos que se acercan y crecen
y penetran en la noche de su piel y su sexo,
dos oscuridades enlazadas
que inventan en la sombra su origen y sus dioses,
que dan nombre, rostro a la soledad,
desafían a la muerte porque se saben muertos,
derrotan a la vida porque son su presencia.
Frente a la vida sí, frente a la muerte,
dos cuerpos imponen realidad a los gestos,
brazos, muslos, húmeda tierra,
viento de llamas, estanque de cenizas.
Frente a la vida sí, frente a la muerte,
dos cuerpos han conjurado tercamente al tiempo,
construyen la eternidad que se les niega,
suen᷉an para siempre el suen᷉o que les suen᷉a.
Su noche se repite en un espejo negro.

Miroir noir

Deux corps qui s'approchent et grandissent
et pénètrent dans la nuit de leur peau et de leur sexe,
deux obscurités enlacées
qui inventent dans l'ombre leur origine et leurs dieux,
qui donnent un nom, un visage à la solitude,
défient la mort car ils se savent morts,
détruisent la vie car ils sont sa présence.
Face à la vie oui, face à la mort,
deux corps imposent de la réalité aux gestes,
aux bras, aux cuisses, à la terre humide,
au vent des flammes, au bureau des cendres. (ou bassin, étang)
Face à la vie oui, face à la mort,
deux corps ont conjuré le temps obstinément,
construisent l'éternité qui les nie,
rêvent pour toujours le rêve qui les rêve.

Leur nuit se répète dans un miroir noir.

              Juan Luis Panero

Traduction sur le pouce, autres propositions bienvenues.


Barcelona y yo, el viejo puma

 Une page entière sur le poète Juan Luis Panero dans le quotidien El Mundo.  Un vieux puma de soixante et onze ans qui regarde la vie passer dans son hameau, derrière sa baie vitrée. Un rescapé de la mort après deux cancers pour avoir trop bu trop fumé. Un rebelle. Un misanthrope un tantinet snob. Un poète surtout. Né dans une famille de poètes entourée de poètes. Et c'est ainsi que notre homme sauta tout jeune sur les genoux de Luis Cernuda. Puis rencontra T.S. Eliot, parmi d'autres.
La poésie de Panero est tout entière marquée par le désenchantement et l'omniprésence de la mort. Les titres de ses livres, A través del tiempo, Los trucos de la muerte, Desapariciones et fracasos, Galería de fantasmas, en attestent.
En attendant que la mort accomplisse son oeuvre, le vieux puma au visage couturé écrit à l'occasion des lettres de remerciements aux condoléances que recevra sa future veuve. Et ne boit plus que du vin blanc.
" Todo lo que nos queda, todo y nada, son juegos para aplazar la muerte", écrit-il. Et l'auteur de l'article de conclure : " Con esa autoridad que a ciertos hombres les da el fracaso, Juan Luis Panero ha sabido llegar a un silencioso triunfo".

Je ne connaissais pas ce poète espagnol. Je remercie El Mundo de faire ce que la presse française ne fait plus guère, et notamment Le Monde vérolé par la finance et le goret Alain Minc : consacrer, dans ses pages ordinaires, une page entière à un poète retiré et donc sans actualité. J'essaierai de traduire quelques vers pour vous.

dimanche 18 août 2013

Barcelona y yo, patatas bravs

A Barcelone, bien sûr, pour peu que l'art vous intéresse, vous rencontrerez les univers de Joan Miró, Antoni Tápies et Antonio Gaudí. Mais je préfère parler de la patata brava. Voilà un plat minuscule, (tapa), qui enchante les amateurs de la pomme de terre quand ils n'ont pas la frite. Découpée en morceaux inégaux et légèrement rôtie, elle s'accompagne d'une sauce à l'ail délectable dont l'âpreté est atténuée d'un léger filet de rouille. Je m'en suis régalé quelquefois en buvant du Bacardi-Cola sur la paisible rambla del Poblenou.
Le hasard n'étant jamais en reste dans le flux des voyages, un article de El Mundo du 14 août raconte avec gourmandise l'histoire de cette patate apparue dans les années soixante et aussitôt célèbre jusqu'à New York puisque le Wall Street Journal lui consacra quelques colonnes.
Mais comment faut-il au juste la déguster ? Quatre-vingt-dix pour cent des aficionados la consomment avec salsa secreta (rouille) et alioli (sauce à l'ail) : c'est la doble mixta. Les autres, considérés comme des puristes, la mangent sans alioli car elle serait ainsi plus digestive : c'est la doble picante.
Le sujet, déclare Enric González, nourrit des débats plus virulents que le football ou l'indépendance.

Je ne suis pas qualifié pour intervenir dans cette bataille d'Hernani culinaire. J'ai apprécié les patatas bravas y compris avec du chorizo cuit, en regardant le soir tomber sur les seins mordorés des jeunes filles en fleurs. Puis, de Bacardi-Cola en tinto de Rioja, j'ai aimé être vivant, avec mon amoureuse.

mercredi 24 juillet 2013

Un petit conte pour l'été, 3

Lorsque la Weather&Health a étendu son filet de protection sur l'humanité en 2058, quelques quarterons de centenaires, philosophes oubliés, poètes atrabilaires, ont lancé un appel à l'insurrection. Le parti des Béatitudes, qui disposait déjà d'un étroit maillage de militants ainsi que de puissants relais médiatiques, a eu tôt fait de mouiller le pétard de la révolte.

Le réseau de géo localisation m'annonce que je ne peux pas tourner à gauche et projette sur un holécran la direction à suivre. J'admets volontiers que ma mémoire me lâche de temps en temps mais je suis sûr qu'il y avait une rue à gauche. J'en revois le tracé hésitant entre des immeubles mal alignés. On l'aura condamnée. Je m'arrête un instant. Je cherche sur le mur les marques d'un bouchage au ciment. Qui conforterait mon souvenir. Il n'y a rien. Je me suis trompé de quartier peut-être. J'obéis aux indications de l'holécran. Comme tout le monde.

Je vais jusqu'à la place des Béatitudes où l'on donne un spectacle de cloud movies. Une attraction nouvelle qui fait fureur. Les images sont sculptées dans la matière des nuages. Cerclées par un laser iridescent, elles offrent aux badauds ébahis une infinité de couleurs changeantes. D'immenses oiseaux muets vont ainsi de ramure en ramure, construisent des nids qui sont des châteaux où éclosent au ralenti des oeufs tout rebondis. Les applaudissements crépitent. La liesse pétille dans les yeux. Je m'éloigne discrètement.

J'éprouve soudain l'urgence de rentrer. Quelque chose ne tourne pas rond. Ce n'est pas d'aujourd'hui que j'ai ce pressentiment. Je passe, indifférent, devant d'autres ribambelles adolescentes qui se tortillent et se déhanchent sur de la musique infra sonore. Le tramway aérien arrive. Il est midi. Vite. Retrouver chez moi un vieux plan de la ville. Il date des années deux mille vingt. Rue Mauriac. Oui, c'est ça. Il est impossible qu'elle ait disparu.

Je fais tout le trajet avec cette idée de disparition qui me taraude. Si les rues disparaissent, les corps aussi le peuvent. Un matin, je me lèverai et je ne verrai plus mes bras. Auront-ils vraiment disparu ou seront-ils seulement devenus invisibles ? La rue Mauriac n'a pas été rayée de la carte mais on ne peut plus la voir. Il y a une raison à cela, qui m'échappe.


Demain, à la première heure du jour, quand ni les passants ni les robots ne sont trop nombreux à battre le pavé, je retournerai à Saint-Pierre. Le mystère ne me résistera pas.

lundi 22 juillet 2013

Petit conte pour l'été, 2

Le cocktail cellulaire me fait du bien. Mon corps se délie au mieux dans la marche et j'ai le moral au beau fixe. La moitié des cent mille nano implants sont dévolus au check up du cerveau. Les neurotransmetteurs revivifiés préviennent ainsi les moindres chutes de régime. Les maladies mentales, comme les autres, ont disparu. Les hôpitaux ont été transformés en centres de loisirs thématiques et le public est nombreux à s'y rendre.

Je m'enfonce dans ce qu'on appelait jadis le vieux Bordeaux. Je croise des militants du parti des Béatitudes qui vont bras dessus bras dessous en chantant. Des gens à leur fenêtre leur adressent des signes amicaux. Je souris. J'esquisse moi aussi un signe. Mais voilà que ma jambe droite glisse sur le pavé. j'étouffe un cri dans ma main. Un militant aussitôt accourt, me demande si je ne suis pas blessé. Je lui assure que non. Je suppose qu'un capteur du pavage rétractile de la rue est défectueux. Je souris encore. Le militant appelle un robot réparateur.

Des adolescents jouent avec leurs holocats autour de la fontaine Steve Jobs. Un concerts de miaulements se mêle aux piailleries juvéniles. Le pelage des animaux scintille sous le soleil. La mode des holocats durera-t-elle autant que celle des holodogs ? Alors que des holobirds sont annoncés pour l'an prochain ? Qu'importe ! En 2116, l'adolescence est un âge heureux, comme tous les âges de l'existence humaine, et c'est ainsi que le monde exulte.

La réalité radieuse, si bien organisée soit-elle par les programmateurs de la Weather&Health, montre depuis quelque temps de menus signes de faiblesse. Un homme, qui proférait des paroles aussi crépusculaires que décousues, a été arrêté sur la Cinquième avenue à New York. Trois cas de suicide ont été identifiés à Berlin et, à Paris, une jeune femme est morte en pleine rue. Le World Report a consacré une dizaine de secondes à chacun de ces faits divers. L'Indice de Bonheur Universel a chuté de cinq centièmes. Cela ne s'était jamais vu.

Je continue ma promenade dans les entrailles de l'ancienne ville. Onze heures sonnent au clocher de l'église Saint-Pierre. Les robots architectes qui en ont construit la réplique n'ont négligé aucun détail. Un graffiti amoureux des années 1960 a même été conservé. L'amour, ce tourment obsolète qui enténébrait les coeurs, voire les poussait au crime, ne cède plus de nos jours au dérèglement des sens. Le poison de la jalousie reste sous le contrôle des cocktails cellulaires et personne ne s'en plaint.


dimanche 21 juillet 2013

Petit conte pour l'été, 1

 Juillet 2116. Dix heures du matin. Le soleil brille dans le ciel bleu. Depuis une vingtaine d'années, le soleil brille tous les jours partout sur la terre. L'humanité, enfin, a réussi à maîtriser le temps qu'il fait. Les ordinateurs de la Weather&Health exécutent leur partition météorologique sans fausse note. Le calibrage des pluies et des vents, l'équilibre entre le froid et le chaud, la mesure des bleus célestes piquetés de blanc maintiennent au plus haut le bonheur des populations.
Un indice de bonheur élevé est le garant de la bonne marche des affaires du monde, dans les chambres à coucher comme dans les chambres de commerce. Les militants du parti des Béatitudes, sourire jusqu'au bout des doigts qui grattent l'oud et le sitar, plus sautillants que des cabris sur un semis de pervenches, répandent du matin au soir leurs promesses d'un ici-bas meilleur.

Bercé par la brise des ionisateurs suspendus dans les palmiers, j'arpente, légèrement rêveur, la plage de Bordeaux.  Je lève les yeux vers le fil de l'horizon. Je pense au temps lointain où la ville n'était pas côtière, au paysage qu'il fallait traverser pour aller se baigner dans l'océan. Je retiens un soupir. Les robots nettoyeurs qui purifient le sable avant la ruée des touristes pourraient l'entendre.

Je bois le dernier cocktail cellulaire à la mode. J'ai choisi le plus fort, celui dosé à cent mille nano implants avec sélection aléatoire du goût. Des saveurs de pêche et de goyave succèdent à des délices de poire et de kiwi. Mes papilles se dilatent comme des spores. Une douce fraîcheur m'envahit. Sur la rambla, les voitures et le tramway aérien tintinnabulent. Leur musique n'est jamais la même.  Les ordinateurs de la Weather&Health sont aussi des artistes.

Vous vous souvenez, mademoiselle, du temps où il y avait des embouteillages ? La serveuse m'offre son plus parfait sourire et continue de vaquer entre les tables de la terrasse. Non, bien sûr, vous êtes trop jeune. Vous n'avez pas connu le monde ancien. Nous ne sommes plus très nombreux à l'avoir connu. Je finis mon verre sans avoir obtenu de réponse. Parler d'autrefois ne fait pas partie des conversations courantes. C'est même déconseillé.

Les adeptes des bains de mer matinaux font sagement la queue devant le portique qui délivre l'accès à la plage. Dès qu'une lumière rouge clignote, un robot soigneur s'approche. Un examen complémentaire est nécessaire. La température de l'eau est certes garantie à vingt-cinq degrés jusqu'à cent mètres du rivage mais la technologie du chauffage marin n'est pas encore totalement sûre. Il y a eu un accident l'an dernier. Il ne faudrait pas qu'il y en ait un autre.

mercredi 17 juillet 2013

Mon poème

Mon poème se retire lentement comme mon sang se retire lentement dans mes veines. Ce n'est pas là comparaison d'ornement. Il me faut pour composer avec la fatigue une force qui a disparu de mon corps. Soulever la peau des choses à vif. Fouiller leurs fibres et en traquer les mots. Saisir au passage une idée buissonnière. Y verrai-je un quelconque enchantement ? qui abreuverait les besoins d'écriture ? Un oiseau, dont les ailes pèsent comme de vieilles épaules, me regarde depuis son promontoire de lierre. Une taie sur ses yeux a le battement lourd d'un drap qu'une vaine colère aurait tordu. Je rentre dans mon sang. Les grumeaux de sa rouille me font parfois sursauter. Il faut dormir maintenant. Je ne vois pas d'autre issue à ce jour abattu.

samedi 13 juillet 2013

Eté philo avec Pierre Reverdy

" On a dit autrefois que tout homme porte en lui un poète mort jeune à qui l'homme survit - je dirai que tout homme recèle en lui au moins des traces de poésie et que, lorsqu'il va vers les choses, c'est grâce à ces traces de poésie qu'il porte en lui et dont il les pare qu'il y va avec plaisir. Parce que, comme il a mis la poésie dans le monde, l'homme sait pourquoi il doit, à tout prix, l'y maintenir. Il sait combien elle lui est utile, et son instinct et son intelligence le préservent de jamais pouvoir réellement croire à son inutilité. C'est qu'elle est le plan où se libère sa conscience - où celle-ci cesse de se connaître seulement pour s'interroger sans pouvoir se justifier, s'expliquer. Elle est l'état où ses facultés s'exercent sans le moindre souci d'agir pour autre chose qu'agir - elle est l'acte pur - l'acte suprême de libération - le seul par lequel un homme, en tant que poète, puisse se donner profondément à lui-même le sentiment d'exister en toute liberté.
La conscience spécifie l'homme - le degré de conscience spécifie le poète... Doué de conscience et privé de poésie, par quoi il la décharge et la libère en s'exprimant en dehors de toute contrainte, l'homme ne serait plus sur la terre que le plus misérable et le plus mal établi des animaux."